Place du Palais - Les Maraudes épisode 018
Bonjour à tous, fidèles lecteurs de ces Maraudes
Mercredi 16 octobre 2024, je suis allé au tribunal judiciaire de Paris, en curieux, assister au procès dont Marine Le Pen est l'objet, en correctionnelle.
Rassurez-vous, je ne vais pas vous faire ici ce que mes collègues chroniqueurs eux judiciaires, appellent un compte-rendu d'audience. C'était juste pour vous expliquer pourquoi, à la nuit tombée, je me suis retrouvé à parler, sur les marches du palais, avec un homme qui lui est un habitué du lieu.
Attention ! Pas en tant que repris de justice. Non. En tant que repris « de justesse », lui. (1)
Et d'ailleurs, c'est géographiquement, lui, qu'il passe souvent devant le tribunal, et non pas « devant », en tant que personne qui y compare.
Voici pourquoi et voilà comment.
Clément (2) a vécu un drame. Néanmoins, comme il le dit lui-même : « Mais dans mon malheur, j'ai eu de la chance. » Oh que oui ! Je vous fais la version courte. C'est arrivé en juillet 2023. Clément se promenait à vélo, vers 21 heures, avenue de la porte de Clichy, justement. (3) Et c'est là qu'il a été violemment renversé par un chauffard. Le choc fut terrible. Percuté de plein fouet, il a été propulsé à plusieurs mètres. Traumatisme crânien, fracture du bassin, un bras cassé et de multiples contusions un peu partout sur le corps et sur le visage, ce à quoi il faut ajouter l'éclatement de la rate qui fut diagnostiqué à son arrivée, quinze minutes plus tard, à l'hôpital Beaujon. Quinze minutes seulement, car heureusement pour lui, un bon samaritain passait par là, pile à ce moment précis.
Oui. C'est en ceci que Clément, dans son malheur, a eu de la chance.
Sans Paul (2) sur les lieux, qui sait combien de temps aurait passé avant que les secours n'arrivassent, si tant est que quelqu'un les eût prévenus à temps. Les prévenir immédiatement, c'est ce que Paul fit juste après avoir positionné Clément en PLS (4), et surtout après avoir fait aussi cela au préalable : extirper du gosier de Clément, sa langue qu'à l'impact il avait avalée, ce qui faisait qu'il s'étouffait.
C'est Paul qui a narré l'anecdote à Clément, l'une des premières fois (5) où il est venu lui rendre visite à l'hôpital, durant sa convalescence, ce qu'il a fait à bien des reprises.
« Je viens voir que je n'ai pas fait tout ça pour rien. », avait-il dit, goguenard, à Clément, la toute première de ces moult fois où il est passé s'enquérir de son état de santé. Ce fut, ma foi, c'est vrai, une formule amusante, pour indiquer à Clément qu'il était content de savoir qu'il était tiré d'affaire. Que grâce aux soins qui lui furent prodigués ensuite par les secours, Paul avait réussi à arracher Clément aux griffes de la faucheuse. (6) Du moins à reporter à nettement plus tard, le rendez-vous que nous, mortels, avons tous avec elle.
Et Clément m'a également dit que Paul n'a jamais voulu accepter quoi que ce soit d'autre de sa part, en guise de récompense, que la poignée de mains qu'ils ont échangée à leur première rencontre. « La seconde ! », rectifia-t-il immédiatement avec véhémence et exactitude. Car bien qu'il n'en garde aucun souvenir étant donné qu'il était inconscient, leur première rencontre intervint bel et bien le soir de l'accident.
Toutefois, Clément m'a fait savoir que, ayant insisté et insisté auprès de Paul pour pouvoir lui offrir quelque chose, ou faire quelque chose qui lui ferait plaisir, histoire de marquer le coup, Paul a eu l'idée suivante.
« Si vous tenez absolument à faire quelque chose « pour me récompenser », comme vous dites, faites ça : allez rendre visite à mon père, vous aussi, de temps en temps. Et si vous voyez des SDF, donnez-leur une petite pièce. Ça fera plaisir à la fois à eux et à mon père, et donc aussi à moi. »
Lui rendre visite où ? Au cimetière des Batignolles.
Ce cimetière parisien est coincé entre le boulevard périphérique et la rue Pierre Rebière, c'est-à-dire à quelques décamètres du Palais de Justice de Paris. Quant au pourquoi du comment de cette idée que Paul a eue, l'explication m'a été fournie là encore par Clément. Un Clément me reproduisant alors celle que Paul lui a donnée :
« J'allais rentre visite à mon père. Il est enterré là-bas. J'y vais toujours assez tard dans la soirée, voire, parfois, au beau milieu de la nuit. Déjà pour ne pas déranger les voisins, et aussi parce que, le soir, souvent, aux abords du cimetière, il y a des SDF. Ils viennent profiter du calme, d'une part, j'imagine, et surtout parce que c'est un endroit où, s'ils ne font pas de bruit, la police ne vient pas les chercher. Mon père donnait toujours une petite pièce aux nécessiteux quand il en voyait. Donc je fais pareil, histoire de perpétrer ce qu'on peut appeler, quelque part, « une tradition familiale », et histoire aussi de rendre ainsi hommage à mon Papa, à ma façon. »
Clément s'en souvient par cœur. Il m'a livré cela telle une récitation. Une récitation parfaitement maîtrisée s'agissant du texte, et interprétée de bout en bout avec le bon ton. Avec émotion. L'émotion communicative dont Paul était pris, j'imagine, lorsqu'il la lui a donné, cette explication.
Aller rendre visite au père de Paul est un engagement auquel Clément se tient « scrupuleusement », m'a-t-il dit, depuis sa sortie de l'hôpital. Puis d'en attester fièrement : « J'y vais tous les mercredis ! »
Et se rendre au cimetière des Batignolles, c'est précisément ce qu'il allait faire, mercredi soir, lorsque nous sommes sortis du Tribunal.
Maraudeur dans l'âme, je l'ai accompagné au cimetière. Et, effectivement, il y avait des SDF.
Je vous raconterai cela dans le prochain épisode de nos maraudes. Aussi je vous donne rendez-vous la semaine prochaine, et, d'ici là, bon courage à tous, et merci de m'accompagner dans ces aventures.
1) les repris « de justesse » : l'expression est de Coluche.
2) les prénoms ont été changés.
3) c'est avenue de la porte de Clichy, dans le 17ème arrondissement de Paris, qu'est le « nouveau » tribunal judiciaire. Nouveau entre guillemets, car cela fait cinq ans qu'il a été inauguré. Le 1er avril 2019. Un poisson d'avril qui est resté sur l'estomac de tous ceux se sont mis la rate au court-bouillon d'avoir à y comparaître, sachant qu'en fait, ils n'avaient rien à se reprocher. (7)
4) PLS : position latérale de sécurité.
5) Clément ne se souvient plus exactement, si Paul lui a dit ça la première fois où il est venu le voir à l'hôpital, ou si c'était la deuxième.
6) à l'époque où la peste noire faisait des ravages, la faucheuse représentait un être terrifiant venu happer les vivants d'un coup de lame.
7) « Se mettre la rate au court-bouillon : s'inquiéter excessivement et surtout inutilement. »
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