Guerres au Moyen-Orient : les Twitter Files dévoilent comment la plateforme a protégé la propagande du Pentagone pendant des années
En attendant que le nouveau patron du réseau social, Elon Musk, quitte son poste de PDG... ou pas, les divulgations se poursuivent. Cette fois-ci, c’est un autre journaliste d’investigation, Lee Fang, qui prend le relais. La partie 8 s’intéresse à la relation entre Twitter et le Pentagone.
Dans ce thread, Lee Fang explique comment Twitter a aidé les campagnes d’opérations d'influence psychologique en ligne du Département américain de la Défense, en faisant fi de ses promesses - devant le Congrès notamment - de déployer des “efforts concertés” pour faire obstacle aux réseaux secrets de propagande gérés par l’État.
“Dans les coulisses, Twitter a donné son approbation, voire “une protection spéciale aux opérations d'influence psychologique en ligne de l'armée américaine. Sachant que les comptes de propagande du Pentagone utilisaient des identités secrètes, Twitter n'en a pas suspendu beaucoup pendant environ 2 ans ou plus”, écrit le journaliste d’investigation.
1. TWITTER FILES PART 8
— Lee Fang (@lhfang) December 20, 2022
*How Twitter Quietly Aided the Pentagon’s Covert Online PsyOp Campaign*
Despite promises to shut down covert state-run propaganda networks, Twitter docs show that the social media giant directly assisted the U.S. military’s influence operations.
Une capture d’écran montre comment un responsable du Commandement central américain (CENTCOM) a transmis aux dirigeants de Twitter, en 2017, une liste de 52 comptes en langue arabe, “utilisés pour amplifier certains messages”. Le fonctionnaire du CENTCOM, Kahlet Nathaniel, a demandé un service prioritaire pour six comptes, une vérification pour l'un et une mise en “liste blanche” pour les autres. Cette liste blanche, explique Fang, offre un statut de vérification qui leur permet d’être exemptés de suspensions pour spam et d’être plus visibles, y compris dans les trends.
Les comptes listés publiaient des tweets de propagande qui portaient essentiellement sur les priorités militaires des États-Unis au Moyen-Orient : par exemple, des messages anti-iraniens ou pro-Arabie Saoudite dans le cadre de la guerre menée conjointement au Yémen.
Lee Fang affirme avoir interrogé un dirigeant de Twitter qui lui a déclaré avoir été “trompé” par ces changements”. Pourtant, poursuit ce quatrième participant dans la divulgation des Twitter Files, “de nombreux e-mails tout au long de 2020 montrent que les hauts dirigeants du réseau social étaient bien conscients du vaste réseau de faux comptes et de propagande secrète du Département de la Défense (DOD) et n'ont pas suspendu les comptes”. Aucune capture de ces emails n’a toutefois été diffusée dans son thread.
Il cite le cas de l’incontournable personnalité de ces Twitter Files, Jim Baker, que Musk a vite licencié. L’ex-avocat du FBI et de Twitter “avait évoqué dans un e-mail de juillet 2020, à propos d'une prochaine réunion du DoD, que le Pentagone avait utilisé un "mauvais tradecraft" (techniques, méthodes et technologies d’espionnage, NDLR) pour mettre en place son réseau et cherchait des stratégies pour ne pas exposer les comptes qui sont "liés les uns aux autres ou au Pentagone”.
Pour protéger son activité, le Pentagone désirait même un SCIT (Sensitive compartmented information facility, une chambre à l'intérieur d'un bâtiment utilisée pour traiter des types d'informations classifiées sensibles, NDLR), un canal sécurisé, pour classer ses activités sur les réseaux sociaux et les ‘surclassifier’ afin d'éviter l’embarras.
Les opérations psychologiques se sont poursuivies en 2020 et le CENTCOM a partagé la même liste de comptes de 2017 en plus de 157 autres comptes dans le même but : diffuser des messages de propagande sur les guerres au Moyen-Orient, en partageant de fausses informations contre la Russie, la Chine et d'autres pays étrangers, ou en accusant l'Iran de "menacer la sécurité de l'eau en Irak” et de prélever les organes de réfugiés afghans, lit-on.
Des comptes jamais inquiétés
Des captures d’emails entre des responsables de Twitter et le Département de la Défense démontraient les échanges de listes de comptes “fournis ou découverts” entre le réseau social et le Pentagone.
Fee Lang explique que “beaucoup de ces comptes secrets de propagande militaire américaine, malgré leur détection par Twitter jusqu'en 2020 (peut-être plus tôt), ont continué à tweeter tout au long de cette année”. Il affirme que “certains n'ayant été suspendus qu'en mai 2022 ou plus tard, selon les dossiers que j'ai examinés”.
Des comptes qu’un rapport de l’Observatoire d’Internet de Stanford avait en partie détectés en août 2022, lorsqu'il a “révélé un réseau de propagande secrète de l'armée américaine sur Facebook, Telegram, Twitter et d'autres applications utilisant de faux portails d'information et de fausses images et memes”.
À l’issue de ce rapport, “Twitter a été présenté comme un héros impartial pour avoir supprimé un réseau de faux comptes d'utilisateurs faisant la promotion de positions politiques pro-occidentales", dit Fang. “(...) La réalité est beaucoup plus trouble. Twitter a activement aidé le réseau de CENTCOM depuis 2017 et jusqu'en 2020, la plateforme savait que ces comptes étaient secrets et créés pour tromper et manipuler le discours, une violation des politiques et des promesses de Twitter”, rappelle-t-il.
Elon Musk (déjà) prêt à céder son poste de PDG
Les Twitter Files en ont-ils fini avec le scandale de Hunter Biden ? Dans la partie 7, l’auteur Michael Shellenberger a expliqué comment le FBI a discrédité les informations sur les affaires du fils de Joe Biden à l’étranger, “avant et après” la publication par le New York Post d'un article sur le scandale lié au contenu de son ordinateur portable.
Les autres parties ont démontré l’intrusion du bureau fédéral dans la modération des contenus sur Twitter et la pression qu’il exerçait sur les dirigeants de la plateforme, comme s’il s’agissait d’une filiale de la police fédérale. Les chapitres précédents expliquent comment des responsables de Twitter ont violé leurs propres règles pour bannir Donald Trump, mettant à nu les techniques utilisées pour suspendre des comptes ou réduire leur visibilité, comme les listes noires.
La première série de documents des Twitter Files a été dévoilée le 2 décembre par Elon Musk, pour prouver une “ingérence” de Twitter dans les précédentes élections américaines à travers le scandale lié à l'ordinateur portable de Hunter Biden, le fils de l’actuel président des États-Unis Joe Biden.
Cette huitième partie intervient au lendemain d’un tweet du patron de Tesla, dans lequel il a annoncé qu’il céderait la direction de Twitter dès qu’il “trouverait quelqu’un aussi fou que lui pour la reprendre”. “Après cela, je dirigerai simplement les équipes de logiciels et de serveurs”, a-t-il écrit.
Le propriétaire de la plateforme a réagi au résultat du sondage qu'il avait lui-même initié lundi sur Twitter, demandant s'il devait se retirer de la tête de l'entreprise ou non. 57% des 17 millions de votants ont répondu par l'affirmative.
Peu avant, il laissait entrevoir un rejet des résultats en évoquant “un léger problème de bots sur Twitter”. L’homme d'affaires a déjà respecté les résultats de sondages, lorsqu’il a réactivé, par exemple, le compte de l'ancien président américain Donald Trump, ainsi que d'autres utilisateurs suspendus.
Un retrait de la direction influencera-t-il l’éventuelle suite des Twitter Files ou s’agit-il d’un coup de bluff ?
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