Syrie  : appel poignant de la Mère Agnès-Mariam – "c'est un génocide, nous sommes en danger"

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France-Soir
Publié le 10 mars 2025 - 14:00
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Mère Agnès-Mariam de la Croix
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Syrie : appel à l’aide international par Mère Agnès-Mariam – "c'est un génocide, nous sommes en danger"
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Une crise persistante aux lourdes conséquences

Depuis la chute de Bachar al-Assad en décembre 2024, marquée par la prise de Damas par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), une coalition djihadiste issue de l’ancienne branche syrienne d’Al-Qaïda, la Syrie traverse une nouvelle phase de chaos. Après plus de treize ans de guerre civile, le pays, déjà exsangue avec des centaines de milliers de morts et des millions de déplacés, fait face à une transition incertaine sous un pouvoir islamiste radical. Cette situation a des répercussions profondes, tant sur le plan humanitaire que géopolitique, tandis que des voix comme celle de Mère Agnès-Mariam de la Croix, religieuse melkite et figure controversée, continuent de s’élever pour alerter sur les exactions en cours.

La situation actuelle : un pouvoir fragile et des violences persistantes

En mars 2025, HTS, dirigé par Abou Mohammed al-Joulani, tente de consolider son contrôle sur la Syrie. Après avoir renversé le régime Assad avec une rapidité surprenante, le groupe a instauré un gouvernement intérimaire, promettant une gouvernance inclusive et la fin des persécutions sectaires. Cependant, la réalité sur le terrain contredit ces déclarations. Des rapports font état de massacres ciblant les minorités religieuses, notamment les alaouites (soutiens historiques d’Assad) et les chrétiens, perpétrés par des factions djihadistes alliées ou incontrôlées. Les zones autrefois sous contrôle gouvernemental, comme Damas et Homs, sont devenues des théâtres d’exécutions sommaires et de pillages.

La population syrienne, épuisée par des années de conflit, vit dans une précarité extrême. L’économie est en ruines : la livre syrienne s’est effondrée, l’inflation est galopante, et les infrastructures, déjà dévastées, peinent à être reconstruites. Les sanctions internationales, maintenues contre HTS en raison de son passé terroriste, aggravent la crise humanitaire. Selon les Nations unies, plus de 15 millions de Syriens dépendent de l’aide extérieure, mais l’accès des ONG est entravé par l’insécurité et les restrictions imposées par le nouveau pouvoir.

Sur le plan géopolitique, la chute d’Assad a bouleversé les équilibres régionaux. La Russie, alliée historique du régime, a vu son influence diminuer, bien que ses bases militaires à Tartous et Hmeimim restent opérationnelles sous un statut incertain. La Turquie, qui soutient HTS, renforce sa mainmise sur le nord du pays, tandis que les États-Unis maintiennent une présence limitée à l’est, près des champs pétroliers, pour contrer l’État islamique. L’Iran, autre pilier d’Assad, a perdu un levier stratégique, accentuant les tensions avec Israël, qui intensifie ses frappes contre les milices pro-iraniennes encore présentes.

 

Conséquences : un pays fracturé et une menace globale

Les conséquences de cette nouvelle donne sont multiples. À l’intérieur, la Syrie reste un pays fracturé, où les divisions ethniques et religieuses, exacerbées par des décennies de politiques discriminatoires et de guerre, empêchent toute réconciliation nationale. Les alaouites et les chrétiens, qui représentaient environ 10 % et 5 % de la population avant le conflit, craignent une campagne de vengeance systématique. Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent des exécutions publiques et des profanations de lieux saints, alimentant ces peurs.

À l’échelle internationale, la prise de pouvoir par HTS ravive le spectre du terrorisme global. Bien que Joulani tente de se présenter comme un dirigeant pragmatique, rompant avec l’idéologie d’Al-Qaïda, des factions extrémistes au sein de HTS ou en marge du groupe pourraient relancer des attaques au-delà des frontières syriennes. L’Europe, déjà confrontée à des vagues migratoires massives depuis 2015, redoute un nouvel exode, tandis que les pays voisins, comme le Liban et la Jordanie, sont au bord de l’effondrement sous le poids des réfugiés.

L’interview de Mère Agnès-Mariam sur RT : un cri d’alarme controversé

Dans ce contexte, Mère Agnès-Mariam de la Croix, supérieure du monastère Saint-Jacques le Mutilé à Qara, s’est exprimée récemment sur RT, le 8 mars 2025. Cette religieuse, connue pour son rôle dans l’initiative Mussalaha (« Réconciliation ») pendant la guerre, a livré un témoignage alarmant sur la situation des minorités. Elle a décrit des « massacres » en cours contre les chrétiens et les alaouites, accusant les factions djihadistes de semer la terreur avec la complicité tacite de certaines puissances occidentales.

Dans cette interview, elle a déploré l’absence de la Russie, qui, selon elle, jouait un rôle stabilisateur avant décembre 2024. « La Russie nous manque », a-t-elle déclaré, soulignant le vide laissé par le retrait partiel de Moscou. Elle a également critiqué les médias occidentaux pour leur silence ou leur biais, une position qu’elle défend depuis des années. Pour Mère Agnès-Mariam, le narratif dominant occulte les souffrances des minorités au profit d’une vision idéalisée de la chute d’Assad comme une victoire démocratique.

Cette intervention n’est pas sans controverse. Si certains saluent son courage, d’autres, comme des observateurs critiques sur X, la qualifient de propagandiste, rappelant son soutien passé au régime Assad et ses liens avec des médias prorusses. Son discours, souvent repris par des figures d’extrême droite en Europe, divise : pour les uns, elle est une voix authentique de la Syrie profonde ; pour les autres, une figure instrumentalisée par des agendas géopolitiques.

Réactions sur X : le tweet de François Fillon et au-delà

François Fillon, ancien Premier ministre français, a publié un tweet ce 9 mars 2025 qui a attiré l’attention : « Je viens de parler au téléphone avec la mère supérieure du couvent carmélite de Maaloula en Syrie. Elle appelle la France au secours devant les massacres de civils Alaouites et chrétiens en cours en Syrie. Ces massacres sont perpétrés par des factions djihadistes qui agissent avec la complicité du nouveau pouvoir syrien. Dans la ville de Banya plus d’un millier de personnes dont des femmes et des enfants ont été assassinés. J’en appelle au président de la République pour agir sur le gouvernement syrien qui ne peut pas se prévaloir de ses relations avec la France tout en laissant cyniquement faire ce qui pourrait devenir une opération d’élimination systématique des populations alaouites et chrétiennes.». Ce tweet reflète une préoccupation croissante en France face à la situation syrienne. Il contient cependant une petite erreur : Mère Agnès-Mariam n’est pas basée à Maaloula, mais à Qara.

Sur X, les réactions sont variées. Certains utilisateurs saluent Fillon pour avoir relayé cet appel, voyant en lui un homme d’État sensible aux chrétiens d’Orient, une cause qu’il a défendue par le passé. D’autres critiquent son intervention, l’accusant de nostalgie pro-Assad ou de relayer un discours partial. Des posts mentionnent également l’interview sur RT, certains la louant comme une « vérité cachée », d’autres la dénonçant comme de la « désinformation russe ». Cette polarisation reflète le débat plus large sur la crédibilité de Mère Agnès-Mariam et sur la lecture de la crise syrienne.

Un debriefing complet sur France-Soir sur la situation

Dans ce debriefing exclusif pour France-Soir, Mère Agnès-Mariam de la Croix, de nationalité française et docteur de la Sorbonne, met en lumière la situation qu'elle estime désastreuse en Syrie, où un changement de pouvoir a entraîné une crise humanitaire sévère. Depuis le 8 décembre 2024, le pays serait, selon elle, sous l'emprise des factions islamistes radicales, notamment après la prise de pouvoir par Al-Julani, un chef islamiste d'Idlib, devenu président. Ce bouleversement a provoqué un chaos total, selon Mère Agnès-Mariam, avec la destruction de l'armée syrienne et l'absence de services publics, laissant le pays dans un vide sécuritaire.

Elle décrit la Syrie comme un pays où des factions armées radicales imposent une interprétation stricte de la loi islamique, entraînant des actes barbares tels que des amputations et des lapidations. « Toute la Syrie n'est pas takfiri », souligne-t-elle, expliquant que la majorité des Syriens sont des musulmans sunnites modérés. Cependant, l'influence des groupes fondamentalistes wahhabites et salafistes gagne du terrain, menaçant la diversité religieuse historique du pays.

Mère Agnès-Mariam a lancé un cri d'alarme face à ce qu'elle décrit comme un génocide, avec des actes de nettoyage ethnique perpétrés contre les communautés alaouites et chrétiennes. Elle estime qu'entre 6 000 et 10 000 personnes ont été tuées, évoquant un plan orchestré de changement démographique en Syrie. Elle dénonce également la complicité tacite des autorités locales avec ces factions violentes, soulignant que « les autorités locales ne disent pas la vérité ».

Elle appelle la communauté internationale à intervenir, non pour une action militaire, mais pour garantir la protection des civils et mener une enquête sur les crimes contre l'humanité commis. Elle critique les médias pour leur silence, affirmant que « les médias suivent les puissances, les États qui payent ». Mère Agnès-Mariam conclut en exprimant son désir de voir la Syrie retrouver sa place de berceau de civilisations et appelle à la compassion et au soutien international.

La réalité du terrain est tout autre que ce que l’on veut bien raconter dans les médias. Notre entretien fut interrompu pour une interview « capture de verbatim » par BFMTV qui s'est terminé par un « je n'ai plus le temps car je dois rendre la cabine réservée pour l'interview » - il sera donc intéressant de regarder les extraits choisis par BFMTV et leur usage.

 

Un avenir incertain

La Syrie de 2025 est un pays à la croisée des chemins. Entre les espoirs d’une reconstruction et les réalités d’un pouvoir islamiste contesté, les défis sont immenses. Les conséquences humanitaires et géopolitiques de cette transition pèseront lourd sur la région et le monde. L’interview de Mère Agnès-Mariam sur RT, relayée par des figures comme François Fillon, met en lumière les angoisses des minorités, mais soulève aussi des questions sur les narratifs en compétition. Alors que la communauté internationale tergiverse, une chose est sûre : sans une action concertée, la Syrie risque de sombrer davantage dans l’abîme. Dans son debriefing pour France-Soir, elle appelle à la communauté internationale pour mener une enquête complète et surtout assurer la protection des communautés à risque dans ce nouveau régime syrien.

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