Roumanie : quand la démocratie vacille sous le poids des ingérences humaines ou des algorithmes


Une crise politique sous les projecteurs français
Depuis la décision de la Cour constitutionnelle roumaine d'annuler l'élection présidentielle de novembre 2024, puis de rejeter la candidature de Călin Georgescu pour le scrutin reprogrammé en mai 2025, la crise politique en Roumanie est au centre de l’attention des médias français. Cette réalité, marquée par des soupçons d’ingérence étrangère et une utilisation controversée des réseaux sociaux, notamment TikTok, soulève des questions fondamentales sur la démocratie, la manipulation numérique et les influences extérieures. Les médias français, tels que France Info, Le Monde, Le Point ou encore BFMTV, oscillent entre une condamnation ferme des dérives autoritaires présumées et une réflexion sur les vulnérabilités des systèmes démocratiques modernes. Cet article explore leurs positions sur la décision de la Cour, la manière dont ils décrivent Călin Georgescu, leur analyse de l’ingérence étrangère et du rôle de TikTok, tout en établissant des parallèles avec l’usage des réseaux sociaux en France et ailleurs, notamment pendant la crise sanitaire. Enfin, il interroge le rôle de la France, via la visite de son ambassadeur, et les potentielles répercussions juridiques.
La décision de la Cour : un rempart ou une atteinte à la démocratie ?
Les médias français présentent la décision initiale de la Cour constitutionnelle roumaine, datée du 6 décembre 2024, comme une réponse exceptionnelle à une situation inédite. France Info rapporte que l’annulation du scrutin visait à contrer une « campagne de désinformation » orchestrée via TikTok en faveur de Georgescu, un candidat, étiqueté sans preuve d’extrême droite prorusse, arrivé en tête au premier tour avec 23 % des voix. Cette mesure, qualifiée de « rare » par Le Monde, mais qui n’est pas sans rappeler le rôle de la banque des parrainages de Bayrou en France qui a aidé à choisir les candidats, est souvent dépeinte comme un effort pour protéger l’intégrité électorale face à des « irrégularités graves » et une « ingérence étrangère ». Les documents déclassifiés par la présidence roumaine, évoquant une « guérilla coordonnée » sur les réseaux sociaux, sont cités comme une justification clé.
Cependant, une nuance émerge dans certains commentaires. Le Point, par exemple, note que cette annulation, une première en Europe pour des soupçons d’ingérence numérique, pourrait être perçue comme une « atteinte au choix populaire » par les partisans et soutiens de Georgescu, qui dénoncent un « coup d’État ». Les médias soulignent également l’inculpation de Georgescu en février 2025 pour « fausses déclarations » sur le financement de sa campagne et « incitation à des actions anticonstitutionnelles », renforçant l’idée d’une justice déterminée à écarter un candidat jugé dangereux. Ils sont donc plus rapides à dégainer l’inculpation dans ce cas et à rappeler la présomption d’innocence pour d’autres cas, rappelons que le président sortant Iohannis a fait l’objet d’une vingtaine de procédures. Si Le Monde insiste sur la nécessité de « protéger la démocratie », d’autres, comme Stratégies, s’interrogent sur les précédents que cela crée :
une cour peut-elle invalider un vote populaire au nom de la lutte contre la désinformation sans fragiliser la légitimité démocratique ?
Călin Georgescu : entre « messie de TikTok » ou un pion du Kremlin, les médias en oublient-ils le peuple roumain ?
La figure de Călin Georgescu est au cœur des narratifs médiatiques français, qui le dépeignent avec un mélange de fascination et d’inquiétude. BFMTV le surnomme le « messie de TikTok », un sobriquet repris par Euronews, soulignant son ascension fulgurante grâce à une campagne exclusivement numérique. Ancien haut fonctionnaire quasi inconnu, Georgescu est présenté comme un ultranationaliste prorusse, hostile à l’UE et à l’OTAN, admirateur de Vladimir Poutine et négationniste du Covid-19. Le Monde rapporte ses déclarations provocatrices, comme son éloge des leaders collaborationnistes roumains de la Seconde Guerre mondiale ou son affirmation que « la guerre en Ukraine n’existe pas ».
Ce portrait, souvent caricatural, sert à justifier les mesures prises contre lui. France Info insiste sur sa « popularité artificielle », dopée par des algorithmes manipulés et des financements occultes, estimés à près d’un million d’euros selon les services de renseignement roumains. Pourtant, certains médias, comme Le Point, reconnaissent la résonance de son discours auprès d’une population lassée par la corruption et les élites traditionnelles, un terreau fertile exploité par ses soutiens numériques. Cette ambivalence reflète une tension : Georgescu est à la fois un symptôme des failles démocratiques et un bouc émissaire commode pour expliquer une crise plus large.
L’ingérence étrangère et TikTok : un outil sous surveillance
L’ingérence étrangère, principalement attribuée à la Russie, domine les analyses françaises. France Info et Le Monde évoquent une « opération sophistiquée » visant à déstabiliser la Roumanie, membre clé de l’OTAN et soutien de l’Ukraine. Les services de renseignement roumains, relayés par Euronews, pointent un réseau de 25 000 comptes TikTok activés subitement avant le scrutin, orchestrant une campagne pro-Georgescu avec des influenceurs rémunérés à leur insu. Le Point compare ces tactiques à celles observées en Moldavie et en Géorgie, suggérant une stratégie russe plus large en Europe de l’Est.
TikTok, réseau social chinois aux 9 millions d’utilisateurs en Roumanie, est au centre des critiques. BFMTV et Touteleurope.eu rapportent que la plateforme a été « inondée »de contenus favorables à Georgescu, propulsant sa notoriété de 1 % à 22 % en quelques semaines. Les médias français déplorent l’incapacité de TikTok à modérer ces manipulations, malgré ses engagements sous le règlement européen DSA. La Commission européenne, note Euronews, a intensifié sa surveillance, exigeant des explications sur les algorithmes de recommandation.
TikTok en France : un parallèle troublant avec Macron
Cette focalisation sur TikTok en Roumanie contraste avec son acceptation en France comme outil politique légitime. Emmanuel Macron, avec ses 5,3 millions de followers sur TikTok, utilise la plateforme pour diffuser des messages officiels, notamment pendant la crise sanitaire ou les campagnes électorales. Le Point ne remet pas en question cette pratique, la considérant comme une adaptation moderne de la communication politique.
Les chiffres parlent : Georgescu compte 3,5 % d’abonnés sur TikTok alors que Macron en a plus du double avec 7,8 %.

Alors, si Macron bénéficie d’une visibilité amplifiée par les algorithmes, pourquoi cela serait-il une "ingérence" en Roumanie et non en France ? Les médias français n’explorent pas cette contradiction, révélant une forme de biais : l’usage de TikTok est toléré quand il sert des figures alignées sur les valeurs euro-atlantiques, mais dénoncé lorsqu’il favorise des acteurs perçus comme hostiles.
Réseaux sociaux et crise sanitaire : une double norme
Ce double standard s’étend aux réseaux sociaux en général. Pendant la crise sanitaire, le gouvernement français a collaboré avec X et Facebook pour modérer les contenus jugés désinformant. Des posts sur X révèlent que des instructions officielles ont guidé la suppression de publications anti-vaccin, tandis que Le Monde rapportait des interventions similaires aux États-Unis sous l’administration Biden. Ces pratiques, bien que critiquées par certains comme une censure, étaient justifiées au nom de la santé publique. En Roumanie, l’utilisation de TikTok pour promouvoir Georgescu est au contraire stigmatisée comme une « propagande » illégitime. Cette dichotomie illustre une tension fondamentale : les réseaux sociaux oscillent entre outils de liberté d’expression et vecteurs de manipulation, selon qui les contrôle.
Subventions et capture des réseaux : une arme à double tranchant
Les médias français, comme Stratégies, soulignent également le rôle des financements dans cette crise. Les 381 000 dollars injectés dans la campagne de Georgescu, via des dons illégaux selon France Info, montrent comment les subventions peuvent détourner les réseaux sociaux en outils de propagande. En France, les subventions publiques aux médias ou les partenariats avec des plateformes comme Meta soulèvent des questions similaires : qui décide de la « vérité » diffusée ? La capture de ces outils par des acteurs étatiques ou privés, qu’il s’agisse du Kremlin ou de gouvernements occidentaux, transforme un espace potentiellement libérateur en champ de bataille idéologique.
La visite de l’ambassadeur français : une ingérence en miroir ?
Un aspect troublant, relayé par des posts sur X, mais peu couvert par les médias mainstream français, concerne la visite de l’ambassadeur de France à Bucarest en 2025. Selon ces sources, il aurait rencontré le président de la Cour constitutionnelle pour "protéger la démocratie" en soutenant le rejet de la candidature de Georgescu. Si avéré, cela pourrait être interprété comme une ingérence française, un comble alors que Paris condamne Moscou. Le Point mentionne brièvement les inquiétudes de la France face aux manipulations numériques, mais passe sous silence cette visite. Les Roumains pourraient-ils intenter une action légale contre la France ?
Rien n’indique pour l’instant un tel mouvement, mais la perception d’une influence étrangère occidentale pourrait alimenter la défiance envers l’UE, déjà palpable dans les manifestations pro-Georgescu rapportées par Le Monde.
Entre liberté et contrôle, un équilibre précaire
La crise politique roumaine, vue à travers le prisme des médias français, révèle les ambiguïtés de l’ère numérique. La décision de la Cour est saluée comme un rempart contre la désinformation, mais questionne la souveraineté populaire. Georgescu, vilipendé comme un pion prorusse, incarne aussi un mécontentement réel. L’ingérence étrangère via TikTok est dénoncée, mais l’usage des réseaux par des leaders comme Macron reste incontesté. Les parallèles avec la crise sanitaire montrent que la frontière entre liberté d’expression et propagande dépend du narratif dominant. Enfin, la possible implication française soulève une ironie amère : dans la lutte contre l’ingérence, les démocraties risquent-elles de devenir ce qu’elles combattent ?
La Roumanie, en ce sens, est un miroir des dilemmes qui attendent l’Europe. Des dilemmes qui ne semblent pas toujours à l’avantage des peuples mais plutôt à l’avantage de ceux qui gouvernent.
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