Macron et sa nouvelle "Communauté Européenne de Défense"


Macron vient, selon certains commentateurs, de trouver une occasion, ce qu’il affectionnerait, de faire parler de lui. Puisque les USA se désengagent de l’OTAN2 et que, selon le même Macron, V. Poutin serait épouvantable et la Russie piafferait d’impatience d’attaquer3. Et, évidemment (disent les mêmes), selon la bonne vieille méthode consistant à parler de guerre (voire à la préparer) pour détourner les yeux de l’électorat de la situation interne. Situation interne qui, s’agissant de la France en 2025, n’est pas bonne, et qui s’est détériorée dans de nombreux domaines ces dernières années.
Selon les souhaits et les entreprises d’Emmanuel Macron, une défense européenne serait mise sur pied, dans laquelle serait transférée la force nucléaire française.
Cette nouvelle organisation est nécessairement appelée à prendre la forme de textes. Textes qui doivent nécessairement fixer des objectifs, mettre en place des organes de décision et d’exécution, organiser le financement, et qui doivent prévoir les cas dans lesquels les organes dotés d’un pouvoir de décision, engageront tel moyen militaire, contre qui et à quelles conditions. Textes qui devront un jour, être soumis à des approbations diverses : par les classes politiques des États membres de l’Union européenne, et par les organes de cette organisation.
Jean Monnet n’étant plus là pour veiller au contenu, E. Macron et son entourage ministériel pourraient sortir des anathèmes3 sur l’ennemi potentiel, et formaliser leurs desseins sur le papier, fut-ce en faisant appel… par exemple au cabinet Mac Kinsey, dont les collaborateurs ont du savoir-faire.
On aimerait bien connaître le contenu de ces derniers.
C’est qu’une défense « commune » n’est envisageable que dans un contexte d’un État à commandement central (unitaire ou fédéral). Or, ce qui n’est pas (encore) le cas de ce qui est appelé « l’Union européenne »4. Sans compter que des signes apparaissent qui font se demander si le système tel qu’il est et tel qu’il agit… ne bat pas quelque peu de l’aile.
Comment, hors de ce contexte de gouvernement central, et d’État nation unique, un État (encore) « souverain » accepterait-il d’être engagé dans un conflit qui ne concernerait pas de manière sérieuse ses propres intérêts ?
C’est ce qu’avait évidemment observé le général de Gaulle qui en a déduit5 la nécessité pour la France de ne compter que sur elle, et de se doter pour se faire, avec la « bombe atomique », d’un argument dissuasif et… protecteur.
Un autre point devant être relevé des déclarations de E. Macron porte sur le fait que la France transférerait la bombe atomique française à « l’Europe », mais en subordonnerait l’usage à la décision de ce dernier.
1/ Que la France mette sa bombe au service des autres et se conserve la maîtrise de l’utilisation de cette dernière est pour le moins paradoxal. On aimerait que, spécialement sur ce point, les experts de Mc Kinsey (ou les personnes qui pensent pour les gens du gouvernement) proposent une formulation astucieuse qui ne donne pas l’impression à l’opinion publique nationale ou étrangère, qu’on se moque d’elle6.
2/ Et puis, comment les chefs d’États peuvent-ils remettre le sort de leurs populations à une décision d’un chef d’État tiers, gouvernant un autre peuple ?
Surtout quand la personnalité du chef d’État tiers en question peut-être - ou peut devenir - (ne serait-ce que d’un point de vue théorique) une personnalité « à problème »7.
Il sera intéressant d’analyser les réactions au projet Macron. Quand celui-ci sera explicité (en tout cas s'il l’est) et de voir si, au lieu de le remettre en selle, il n’aura pas contribué à le faire tomber.8
Marcel-M. MONIN
Ancien maître de conférences des universités.
(1) « Communauté Européenne de Défense » ; projet de traité visant à la création d’une armée européenne avec des institutions sui generis supra nationales, dont l’autorisation de le ratifier a été rejetée par les députés français le 30 août 1954.
(2) S’agissant de l’OTAN, les Américains qui en avaient le commandement, pouvaient espérer que les États membres viennent à leur rescousse, spécialement dans les opérations militaires qu’ils menaient çà et là dans leur intérêt. Penser que les Américains auraient mis leurs ressources et la vie de leurs hommes en jeu pour aller défendre un État, si l’opération n’avait pas d’intérêt ou avait des inconvénients pour eux (comme celui de prendre une bombe nucléaire sur leur territoire) , est probablement une vue de l’esprit.
(3) Pourquoi cet homme d’État est-il épouvantable et le pays constitue-t-il une menace mortelle immédiate ? Déjà parce que E. Macron l’affirme. Ensuite parce que c’est répété complaisamment. Comme Saddam Hussein « avait » des armes de destruction massive parce que le secrétaire d’État américain le disait. Et que ce dernier l’avait fait croire.
(4) NB. Ce qui peut être surmonté du point de vue de la technique juridique, (- laquelle peut ne pas prend pas en compte les questions liées à l’histoire, à la dignité des gouvernants, à la notion de démocratie, ou aux intérêts des différents peuples comme au respect du droit à rester en vie dans un contexte de paix-). Par l’abandon par les États de leur compétence en matière de défense et le transfert de cette compétence à des organes supra nationaux. Lesquels prendront tôt ou tard les décisions à la majorité. Sur le (seul) modèle connu : v. celui de la CED, de la CECA, ou celui de l’Union européenne. Il sera amusant de découvrir si E. Macron et les siens ont - ou auront - des idées originales en la matière ou s’ils se conteront de copier ces vieilles recettes.
(5) Rappel : lors de la dernière guerre mondiale, les USA sont intervenus très tardivement contre les puissances de l’Axe : quand ils ont estimé que c’était leur intérêt, NB. Alors que les Russes, au contact des troupes hitlériennes, ont combattu ces dernières bien avant, et au prix de millions de morts.
(6) Et que la « communauté de défense Macron » n’a, d’aventure, pas un autre autre objectif que la défense proprement dite. Comme par exemple, l’ouverture de nouveaux marchés aux industriels de l’armement, (opération assortie d’argumentaires laissant espérer ou croire : 1. que ces industriels seront « européens » et 2. qu’ils créeront des emplois ; … et, évidemment, qu’ils ne pousseront pas à la guerre pour renouveler leurs ventes).
(7) Avec comme cas pratique, les traits de caractère d’E. Macron qui font l’objet d'ouvrages de nombreux auteurs français et de jugements de dirigeants politiques français et étrangers … L’ensemble étant, sous un certain rapport et eu égard aux conclusions des premières et aux qualificatifs utilisés par les autres, de nature à inciter à traiter les idées d’E. Macron sur le rôle du président français dans le système qu’il prône… Sans précipitation.
(8) On sait que les citoyens entretiennent, dans des proportions probablement jamais atteintes, un rapport négatif (parfois haineux) avec l’actuel président de la République. (Qui, de ce point de vue, ne dispose actuellement pas de ce qui fonde la « légitimité », même s’il tient son poste de la mise en œuvre, mais un jour passé, de dispositions arrêtées par la loi). On observe malgré tout que les citoyens sont passifs. Comme la classe politique (une partie suffisante de celle-ci) qui semble faire tout ce qu’elle peut pour conserver à E. Macron la « tête hors de l’eau » : rejet de la motion sur sa destitution, une seule motion de censure - alors que les suivantes et le refus d’entrer en relation avec le nouveau gouvernement l’auraient possiblement incité à démissionner ; - pas d’opposition à la nomination de tel personnage à la présidence du Conseil constitutionnel.
Mais voilà que de très nombreux officiers (les militaires ne sont traditionnellement pas des « Gilets Jaunes » que l’on peut calmer en faisant donner la police) marquent leur désaccord avec E. Macron sur la question qui porte sur la sauvegarde et la défense du pays, de l’abandon de la dissuasion nucléaire. Il sera donc interessant de voir si l’éventuelle sortie anticipée de fonctions d’E. Macron (ce que beaucoup espèrent dans la logique de ce qui a été relevé ci-dessus) prendra sa source directement ou indirectement, dans cette sorte de mouvement « d’insubordination intellectuelle » d’une partie de l’Armée.
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