Royaume-Uni : Même dépourvue d’un cadre légal, la reconnaissance faciale se généralise chez les commerçants

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France-Soir
Publié le 18 février 2025 - 11:39
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S’ils appréhendent particulièrement le recours à la reconnaissance faciale par les autorités, les Britanniques, particulièrement ceux qui sont hostiles à cette technologie, se retrouvent dans une situation inattendue. La reconnaissance faciale se généralise surtout dans le secteur privé, particulièrement dans les commerces, dans un pays où la régulation juridique de cette activité reste encore à consolider, voire à mettre en place. Une société en particulier, FaceWatch, domine ce marché et distribue ses solutions aussi bien aux commerçants qu’aux autorités londoniennes. Les ONG réitèrent leurs inquiétudes, tant pour la collecte des données que pour les erreurs potentielles de la reconnaissance faciale, dont les antécédents ne cessent de s’accumuler. 

“Avant Facewatch, nous avions des vols deux ou trois fois par jour, parfois plus. Il s'agissait souvent des mêmes personnes. Maintenant, nous en sommes à deux ou trois vols par semaine, relate le propriétaire du magasin. Nous recevons des alertes de Facewatch lorsque des voleurs qu'on a déjà repérés essaient encore d'entrer dans notre magasin”, raconte un commerçant londonien à RFI. 

La reconnaissance faciale aux mains des commerçants 

FaceWatch, c’est une entreprise britannique spécialisée dans la technologie de reconnaissance faciale. Ses caméras capturent les visages des clients entrant dans les magasins, les convertissent en données biométriques et les comparent à une base de données commune de personnes fichées pour vol.  

Fondée en 2010, la société, fondée par un certain Simon Gordon, permettait à ses utilisateurs au Royaume-Uni de déposer des signalements à la police automatiquement après avoir été témoins d’un crime. Les utilisateurs recevaient “immédiatement un numéro de référence pour le crime” afin de pouvoir “suivre les détails de leur affaire en ligne”. Ce n’est qu’en 2020, lorsque la reconnaissance faciale se généralisait dans la capitale britannique sous prétexte de pandémie de COVID-19, que FaceWatch annonçait avoir réussi à développer une technologie de reconnaissance faciale capable d'identifier les individus portant des masques. 

Pourtant, le cadre légal pour cette activité, interdite en Europe, faisait défaut. Un projet de loi avait été déposé en février 2020 par un sénateur pour interdire cette technologie dans les lieux publics mais le texte est encore, à nos jours, en seconde lecture. Sa proposition concernait toutefois l’usage public, donnant la pleine liberté au secteur privé.  

Les commerçants sont tenus de préciser à leur clientèle que des caméras de reconnaissance faciale sont installées mais selon des ONG comme Statewatch, ils ne respectent pas tous cette obligation.  

Résultat : des Britanniques sont non seulement filmés à leur insu mais leurs images sont converties en données biométriques, enregistrées dans la base de données de FaceWatch. En mai 2024 déjà, le système montrait des défaillances et identifiait de faux coupables.  

La BBC rapportait déjà à cette période-là le témoignage d’une habitante accusée par la société de vols à l’étalage, priée à chaque fois de quitter les magasins dotés de caméras de reconnaissance faciale de FaceWatch, qui a admis avoir commis une erreur et dont les solutions sont jugées “conformes à la législation britannique sur la protection des données” par l’Information Commissioner's Office (ICO), l'autorité britannique de protection des données. 

“Coupable jusqu’à preuve du contraire” 

La société suscite tout de même la controverse de par sa collaboration avec la police londonienne et le ministère de l’Intérieur. Un haut fonctionnaire de ce corps déclarait à la BBC que les images sont supprimées automatiquement si FaceWatch ne trouvait aucune correspondance dans sa base de données mais quid des images collectées par les commerçants ? 

Sur son site, il est précisé que les données sont conservées 7 jours dans sa base de données, appelée “Subjects of Interest”, afin “de pousser les vérifications et d'améliorer l’exactitude” de la technologie. La société est aussi soumise à des exigences de protection des données, telles que celles imposées par le Règlement général sur la protection des données du Royaume-Uni (UK GDPR) en matière de durée de conservation de la data.  

Pas de quoi calmer les inquiétudes, qui sont nombreuses. Les ONG comme Statewatch insistent surtout sur le cadre juridique pour l’usage privé de la reconnaissance faciale. “C'est très dangereux pour une société de voir les moyens de sécurité privés se multiplier à ce point. Car il est censé y avoir un seul ensemble de lois pour tous, appliqué de manière égale par le système de justice pénale, a déclaré Chris Jones, directeur de l'ONG, à RFI. “On s'éloigne de plus en plus de l'idéal d'une société fondée sur l'État de droit”, déplore-t-il.  

Outre la généralisation de cette technologie à des individus, dont les installations pourraient être peu contrôlées, la proximité de la société avec les autorités soulève d’autres appréhensions.  

La BBC rapportait qu’au total, plus de 192 arrestations dans le grand Londres ont eu lieu début 2024. Mais des personnes, identifiées à tort par la technologie comme des individus "recherchés par la police", ont témoigné de leur mésaventure, jugeant le système “très intrusif”. Silkie Carlo, directrice de Big Brother Watch, avait assisté à l’interpellation d’une victime. "Si une alerte correspondante est déclenchée, alors la police interviendra, pourra potentiellement les détenir, les interroger et leur demander de prouver leur innocence”.  

En plus des erreurs, que la police londonienne affirme être “rares”, ce recours à la reconnaissance faciale, y compris celle basée sur l’IA, soulève par ailleurs des questions liées à la surveillance de masse à l’aide des données biométriques collectées dans les espaces publics.

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