Brésil - Le cirque accusatoire : quand le narratif prime sur les preuves
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Cet article est traduit de la tribune préparée par l'avocat Leonardo Corrêa (1) qui propose une analyse de la mise en examen de Jair Bolsonaro ancien président du Brésil. L'information a été annoncée par divers médias dont CNN et @MarioNawfal sur X :
🚨🇧🇷 BOLSONARO CHARGED IN ALLEGED COUP PLOT TO OVERTURN 2022 ELECTION
Brazil’s former President Bolsonaro has been charged with conspiracy to overturn the 2022 election, along with 33 others.
Prosecutors accuse him of plotting to discredit the country’s electoral system and… https://t.co/PGgrh9ttT9 pic.twitter.com/XnsTiO12Fw— Mario Nawfal (@MarioNawfal) February 19, 2025
Originellement publié en portuguais, il a été traduit par Antoine Bachelin Sena et France-Soir.
.Résumé
L'article « Le cirque accusatoire : quand le narratif prime sur les preuves » de Léonardo Corrêa aborde la manière dont les accusations criminelles peuvent être déformées par la narration plutôt que par les preuves : Corrêa analyse la récente mise en examen par le Ministério Público Federal qui accuse des individus de conspiration contre l'État démocratique sans montrer de preuves concrètes.
Il critique cette approche pour sa logique circulaire où la culpabilité est présupposée avant d'être démontrée, utilisant des techniques rhétoriques comme la pétition de principe. Il souligne que la critique du système électoral est interprétée comme une conspiration, restreignant la liberté de débat. Corrêa évoque également les erreurs logiques comme la confusion entre corrélation et causalité, et critique l'organisation hiérarchique présumée de ceux accusés d'être des « conspirateurs », qui semble plus fictive que réelle.
" cette dénonciation n'est pas une accusation juridiquement solide, mais une construction narrative destinée à condamner des idées politiques dissidentes. "
Analyse
Jair Messias Bolsonaro est mis en examen pour avoir contribué à une tentative de conspiration et de coup d'État par le PGR (Procurateur général de la République du Brésil). C'est l'institution au Brésil responsable des affaires juridiques de l'État et de la représentation judiciaire de l'Union.
Avant tout, un éclaircissement :
" Je ne suis pas bolsonariste. Je reconnais que le gouvernement de Jair Bolsonaro a eu ses erreurs et ses réussites."
Si quelqu’un souhaite m’accuser de partialité, je recommande de lire d’abord les critiques que j’ai faites par le passé sur l’opération Lavajato ou Nettoyage. C'est l'enquête de la Police fédérale sur le scandale de corruption de Petrobras au Brésil en 2014.
En gardant impartialité et indépendance vis à vis de celui qui est au centre de l’attention, il est évident que toute accusation pénale doit être menée avec un extrême rigorisme, car c’est dans ce domaine que le pouvoir de l’État s’impose de manière la plus brutale sur les individus. N'ayant pas eu accès aux preuves des dossiers, j’analyse donc l'acte d'accusation avec une approche logique et d'un point de vue de la cohérence juridique.
Le Ministère Public Fédéral a récemment présenté une accusation qui, sous prétexte de protéger la démocratie, construit un labyrinthe rhétorique où toute remise en question du système électoral est automatiquement transformée en preuve d’une conspiration criminelle. S’il y a un mérite dans ce document, c’est de démontrer comment la logique peut être tordue pour servir une narration préétablie, dans laquelle la culpabilité précède les preuves, et où l’accusation naît déjà comme une condamnation.
Sherlock Holmes a un jour déclaré que « c’est une erreur capitale de théoriser avant d’avoir toutes les preuves. Cela affecte le jugement. » L’avertissement d’un personnage issu de la littérature peut sembler non pertinent dans un débat juridique, mais il s’applique bien ici :
l'accusation commence par un verdict et part ensuite à la recherche de justifications pour le soutenir.
Plutôt qu’une exposition rigoureuse des faits, elle impose un cadre et ajuste les éléments en conséquence, sans laisser de place aux contradictions ou aux nuances.
L'accusation commence par une affirmation catégorique : l’existence d’une organisation criminelle visant à saboter l’État de Droit Démocratique. Cependant, cette prémisse n’est pas démontrée, elle est seulement déclarée, et à partir de là, toute l’argumentation se développe comme si c’était un fait accompli.
Cette stratégie, connue sous le nom de petitio principii ou pétition de principe, est un tour classique : plutôt que de prouver qu’il y avait une conspiration, la dénonciation la présume déjà comme vraie et modèle les faits pour la soutenir. En d’autres termes, le célèbre « c’est comme ça parce que c’est comme ça». (ndlr : cela repose donc sur une logique qui serait fallacieuse).
De plus, le MPF présente une vision binaire des événements : soit les accusés ont accepté inconditionnellement le système électoral, soit ils étaient impliqués dans un coup d’État. Cette fable de la fausse dichotomie exclut la possibilité d’un débat légitime sur le processus électoral, transformant toute critique en subversion. Aucune place n'existe pour un désaccord légitime, le choix laissé est donc se soumettre aux accusations de conspiration.
Une autre erreur fondamentale est la confusion entre corrélation et causalité. Le fait que certains individus expriment leur mécontentement face au système électoral est présenté comme une preuve qu’ils faisaient partie d’un plan de coup d’État, comme si des idées similaires ne pouvaient pas émerger indépendamment. Si cette logique était appliquée de manière cohérente, tout groupe critiquant le gouvernement, participant à des réunions ou tenant des discours enflammés pourrait être accusé de conspiration criminelle.
L'acte d'accusation et la mise en examen deviennent encore plus fragiles lorsqu’ils présentent les supposés conspirateurs comme étant organisés dans une structure hiérarchique presque mystique, comme s’ils étaient tous parfaitement synchronisés dans un plan infaillible. Mais, cette accusation repose sur des suppositions et des conjectures, pas sur des preuves concrètes.
Il y a un effort évident pour faire rentrer les faits dans le moule prédéfini d’une organisation criminelle, ce qui en soi rapproche davantage l'acte d'accusation d’une narration conspirationniste que d’un travail juridique sérieux.
Le ton alarmiste de l'accusation, combiné à la répétition incessante des événements du 8 janvier 2023 comme s’ils étaient le summum d’un plan méticuleusement orchestré, transforme le texte en un pamphlet politique.
L’heuristique de la disponibilité est utilisée à outrance comme mode de raisonnement : à chaque instant, l’invasion des bâtiments des Três Poderes (Trois Pouvoirs : executif, legislatif, judiciaire) est évoquée pour ancrer dans l’esprit du lecteur l’idée que les accusés en sont responsables, même sans preuves directes les reliant aux actes de vandalisme de ce jour-là.
En outre, l'accusation recourt au biais de confirmation, sélectionnant des déclarations et des actions qui renforcent la thèse de la conspiration et ignorant tout élément qui pourrait la contredire. (ndlr : normalement un tel acte doit se faire à charge et à décharge). L’argumentation part de l’hypothèse que toute phrase critique envers le système électoral a été prononcée avec des intentions de coup d’État, sans prendre en compte le droit à la liberté d’expression et à la contestation politique, tous deux protégés par la Constitution.
L’aspect le plus révélateur de l'acte d'accusation se trouve peut-être dans l'idée qui revient sans cesse que « remettre en question la légitimité du processus électoral aurait été une préparation psychologique à un coup d’État ».
Ce type de raisonnement reflète un biais autoritaire : ce qui devrait être débattu devient un crime, et ce qui est criminalisé naît déjà condamné.
L'accusation tente de transformer le droit à la critique en délit, plaçant sous suspicion quiconque aurait osé s’opposer.
Mais le problème va au-delà des sophismes logiques et d'une rhétorique enflammée. Le cadre juridique adopté par le MPF présente de graves lacunes.
Tout d'abord sur les crimes imputés – abolition violente de l’État de Droit Démocratique (art. 359-L du CP), tentative de renverser un gouvernement légitimement élu (art. 359-M du CP) et organisation criminelle (Loi 12.850/2013) – ils exigent des actes concrets et avérés d’exécution, mais l'accusation repose uniquement sur des discours politiques et des conjectures sur les intentions.
Pour constituer le crime d’abolition violente, il faut l’emploi de violence ou de graves menaces, ce qui ne se vérifie tout simplement pas dans ce cas. De même, la tentative de coup d’État exige le début d’actes exécutoires, ce qui n’a pas eu lieu.
L’application de la Loi sur les Organisations Criminelles semble également non applicable ici. En effet, il n’existe pas de structure hiérarchique stable organisée spécialement pour commettre des crimes, seulement des articulations politiques et qui en plus respectent les limites démocratiques.
De plus, tenir les accusés responsables des actes de vandalisme du 8 janvier 2023 sans preuve concrète qu’ils les aient ordonnés ou facilités viole le principe de la responsabilité pénale individualisée.
Le résultat est un usage expansif et dangereux du Droit Pénal pour criminaliser les dissidences politiques, créant un précédent où la rhétorique prédomine sur les limites légales.
En fin de compte, nous ne sommes pas en présence d'une accusation juridiquement solide, mais d'un exercice rhétorique de manipulation logique et émotionnelle. L'acte ne cherche pas à prouver un crime, mais à construire un narratif, une histoire, un récit, dans lequel la culpabilité est déjà décidée à l’avance, et les faits sont ajustés pour la soutenir.
Les membres du Ministère Public, en assumant leurs fonctions, ont juré de défendre la Constitution, qui protège la liberté d’expression – y compris lorsqu’il s’agit d’idées impopulaires ou même absurdes.
Le Droit Pénal, plus que tout, doit se préoccuper des conduites criminelles, pas des opinions ou des divergences politiques.
Le véritable attentat à la démocratie n’est pas la liberté d’expression ou la contestation politique, mais bien la tentative d’étouffer le débat et de transformer la dissidence en délit.
Comme le souligne bien l’éditorial d’Estadão d’aujourd’hui, c’est le ministre Barroso lui-même qui, en se positionnant personnellement comme l’un des responsables de la mission de « battre le bolsonarisme », a contribué à nourrir la méfiance sur l’impartialité institutionnelle.
Lorsque les juges adoptent une attitude militante, le sens de la justice laisse place à la polarisation, et les tribunaux, qui devraient apaiser les conflits, deviennent un autre théâtre de batailles politiques.
Si ce processus continue dans cette direction – commencée par un acte d'accusation digne d’un cirque –, nous serons face à un jugement digne d’Alice au Pays des Merveilles – où la sentence précède le verdict, et la reine crie « Coupez-lui la tête ! » avant même que le procès n'ait commencé.
(1) Leonardo Corrêa – Avocat,diplômé LL.M de l’Université de Pennsylvanie, Associé de 3C LAW | Corrêa & Conforti Avocats, Fondateur et Président de Lexum.
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