Le projet MK-Ultra, 20 ans de sombres expériences de contrôle mental, 50 ans de révélations qui ne disent toujours pas tout
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70 ans après, la lumière n'est pas encore entièrement faite sur le projet MK-Ultra de la CIA. Fin décembre dernier, environ 1 200 nouveaux documents sur ce programme controversé de contrôle mental ont été déclassifiés par la Digital National Security Archive de l'Université George Washington. De nouvelles informations sur l’utilisation de drogues hallucinogènes comme le LSD ainsi que des techniques d’hypnose et de narcose pour manipuler des personnes sans leur consentement ont ainsi été dévoilées. 50 ans après les premières révélations, le programme MK-Ultra suscite toujours aussi bien l’intérêt que la controverse. De quoi s’agissait-il et que sait-on aujourd’hui sur ce sombre épisode de l’histoire américaine ?
Le projet MK-Ultra, dont les origines remontent à la Seconde Guerre mondiale à travers plusieurs expériences antérieures, a été mené par la CIA sous l’impulsion de Richard Helms, membre de l'Office of Strategic Services, et sous la direction du Dr. Sidney Gottlieb à partir de 1953, après pour une durée de vingt ans, avant d’être interrompu et révélé dans la presse en 1974, grâce à une série d’articles du journaliste d’investigation Seymour Hersh.
Accomplir un assassinat “contre sa volonté”
Ce programme se voulait une réponse aux préoccupations concernant les techniques de contrôle mental utilisées par l'URSS pendant la guerre de Corée (1950-1953). L'objectif était de développer des méthodes pour extraire des informations et contrôler les esprits par la torture psychologique et le lavage de cerveau, ou par un “sérum de vérité”. Les expériences ont inclus l'administration secrète de drogues psychoactives, des électrochocs, la privation sensorielle, et d'autres formes de torture psychologique.
Dans un document déclassifié du sous-projet ARTICHOKE, lancé en 1951 avant d’être intégré au MK-ULTRA, il est fait mention de l'un des scénarios envisagés par la CIA. Les efforts et les expérimentations connexes se sont d’abord focalisés sur la manière, à titre d’exemple, de “pousser un individu”, à l’aide de sbstances chimiques et d’électrochocs, “âgé d’environ 35 ans, bien éduqué, maîtrisant l'anglais et bien établi socialement et politiquement dans le gouvernement [censuré], soit amené sous ARTICHOKE à accomplir un acte, contre sa volonté, de tentative d'assassinat contre un éminent politicien [de nationalité censurée] ou, si nécessaire, contre un fonctionnaire américain”.
Au fil des ans, la liste des techniques testées par la CIA pour contrôler l'esprit humain s'est allongée. Les opérations controversées aussi. Et si les premières expérimentations s’étaient déroulées dans des établissements de santé, les lieux publics devenaient peu à peu les terrains privilégiés par la CIA. Parmi les méthodes les plus connues et largement utilisées figure le LSD, qui est souvent associé au projet MK-Ultra, notamment dans des expériences comme l'opération Midnight Climax. Celle-ci consistait à droguer des personnes rencontrées dans des lieux publics et les attirer vers des planques équipées de systèmes de caméras de surveillance, notamment à New York et San Francisco, parfois avec l'aide de prostituées, afin de leur administrer, via la nourriture, boissons ou des cigarettes, du LSD avant d’observer ses effets.
Le programme s’est vite “exporté”, notamment en Allemagne, où des installations nazies ainsi que des scientifiques du Troisième Reich ont été mobilisées par la CIA, qui a administré de nombreuses substances à des prisonniers, dont le metrazol, le seconal, la dexedrine et l'amytal sodium, utilisés à cette période-là pour des effets psychiatriques, neurologiques ou comme dépresseurs/stimulants. Au Canada, les expérimentations ont ciblé des patients de l'Institut psychiatrique Allan Mémorial de Montréal.
En France, c’est “l’affaire du pain maudit” en 1951, une folie collective qui affecte le village français de Pont-Saint-Esprit dans le Gard, qui est associé au projet MK-Ultra, ou plutôt au projet connexe MK-NAOMI.
Tout comme le MK-Ultra est associé au LSD, le projet est associé à des visages, les victimes les plus connues. Parmi lesquelles figurent Frank Olson, un biochimiste de l'armée américaine, mort dans des circonstances mystérieuses le 28 novembre 1953 à New York. Une semaine auparavant, il avait involontairement ingéré du LSD lors d'une expérience menée par la CIA dans le cadre du projet MK-Ultra. Après cette expérience, Olson a montré des signes de paranoïa et de dépression, et a demandé à quitter son poste.
Des révélations de 1974 ... à nos jours
Cependant, ses supérieurs l'ont envoyé à New York pour consulter un psychiatre. La police a initialement conclu à un suicide par défenestration, mais des révélations ultérieures ont mis en lumière l'implication de la CIA.
C’est à partir du début des années 1960 que les expérimentations, jusque-là clandestines, commencent à émerger. C’est d’abord l'inspecteur général de la CIA qui en fait la découverte et qui demande l'arrêt des expérimentations sur des individus sans leur consentement, ce qui est considéré comme “contraire à l’éthique”. Les activités du projet MK-ULTRA diminuent peu à peu et devient MK-SEARCH, qui se poursuit jusqu’au début des années 1970 sous une CIA dirigée par Richard Helms, qui ordonne en 1972 la destruction des documents du projet, qui a regroupé au total 150 sous-projets et expérimentations connexes.
Après les révélations de Seymour Hersh, à la demande du président Gerald Ford, trois commissions parlementaires sont créées pour enquêter sur le MK-ULTRA. Il s’agit de celle de Nelson Rockefeller, vice-président, de Frank Church, sénateur démocrate sous lequel plus de huit cents témoins sont interrogés et près de 110 000 documents en lien avec des programmes secrets destinés au stockage d’agents chimiques sont analysés, et celle d’un enquêteur indépendant, John Marks, un fonctionnaire du Département d'État, qui publie plusieurs milliers de pages en vertu du Freedom of Information Act.
Pour le cas de Frank Olsen, le président Gerald Ford présente des excuses officielles à la famille en 1975, leur octroyant une compensation financière de 750 000 dollars en échange de l'abandon des poursuites judiciaires. D’autres personnes, affirmant avoir été victimes du programme, ont tenté de poursuivre la CIA.
En décembre dernier, la Digital National Security Archive de l'Université George Washington a compilé et publié une collection de plus de 1 200 documents détaillant les expériences de contrôle comportemental et mental menées par la CIA de 1953 jusqu'aux années 1970. Ces documents proviennent en grande partie des archives rassemblées par John Marks,qui avait initié les premières demandes d'accès à l'information sur ce sujet.
Si l’agence n’a jamais dévoilé des preuves ou communiqué sur le succès de ses opérations, les nouveaux documents divulgués donnent des pistes. Un mémo de 1952 décrit l'utilisation "réussie" de techniques d'interrogatoire combinant "narcose" et "hypnose" dans le cadre du projet ARTICHOKE pour induire une régression et une amnésie ultérieure chez des "agents russes soupçonnés d'être doubles".
On y apprend également que des volontaires de la prison fédérale d’Atlanta se sont vu administrer de fortes doses de LSD en 1956. D’autres documents font état de l'utilisation de drogues comme le pentothal de sodium (un barbiturique sédatif à action rapide) et la Desoxyn (un stimulant à base de méthamphétamine) dans des expériences d'intégration narco-hypnotique.
Aujourd’hui encore, ce sombre programme a été si marquant que ses expérimentations suscitent encore les controverses et les interrogations. Après la tentative d’assassinat du président Trump pendant sa campagne en juillet dernier par Thomas Matthew Crooks, de nombreuses personnes ont relié ce tireur au projet MK-ULTRA.
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