Twitter Files, partie 12  : comment toute question autour de l’origine du Sars-CoV-2 a été discréditée

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FranceSoir
Publié le 08 février 2023 - 16:00
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Angela Weiss
Les révélations quant à la face obscure de Twitter se poursuivent.
Angela Weiss

#TWITTERFILES - Dans un second "thread" publié le 3 janvier 2023, après avoir exposé la porosité du réseau social à l’armada des services américains, Matt Taibbi décrit le rôle central du Federal Bureau of Investigation (FBI). Agence nouvelle venue, le Global Engagement Center a œuvré afin d’amalgamer toute interrogation émise à propos de l’origine du coronavirus à de la “propagande étrangère”. Par exemple à l’aide d’une surveillance qui, en France, a ciblé des utilisateurs intéressés par... les Gilets jaunes.

“Deux épisodes pour le prix d’un !”. Dans un tweet adressé à Elon Musk le 3 janvier 2023, Matt Taibbi annonce deux nouveaux “threads” (une suite de messages diffusés sur la plateforme Twitter) autour des Twitter Files.  

Qui contrôle la modération contrôle l’information  

Le premier “fil” du journaliste indépendant présente la mise en cage de l’oiseau bleu par les services étasuniens du renseignement et détaille comment Twitter s’est retrouvé court-circuité par des agences publiques ou privées, faisant fi des instances directrices du réseau social. Leur méthode : réaliser des listes de comptes dits “suspects” selon leurs propres critères, notamment en matière “d’interférence” étrangère. 

L’interférence présumée peut être chinoise. Mais elle est souvent russe. Si cette dernière n’a jamais été démontrée, une énième agence du renseignement se prépare à poursuivre des investigations qui n’ont auparavant jamais donné de résultat probant, the Global Engagement Center (GEC - “Centre d’engagement mondial”).  

Cette agence fraîchement créée à l’époque a pour mission de surveiller la propagande anti-américaine. En février 2020, elle va diffuser auprès des médias un rapport intitulé “Les outils de la désinformation russes tirent avantage des préoccupations liées au coronavirus”.  

Agences sans frontières et Gilets Jaunes 

Cette fois, il ne s’agit plus de chercher quelques comptes russes qui auraient interféré avec l’élection présidentielle américaine de 2016. Alors que le Sars-CoV-2 commence à faire parler de lui, ce document propose une liste d’associations, d’entreprises ou d’individus soupçonnés de développer un doute critique quant à son origine “officielle” (soit, en résumé, le mythe du pangolin).  

La méthodologie du GEC afin de cibler les “éléments perturbateurs” - autrement dit celles et ceux qui souhaiteraient se poser des questions - se base sur la recherche d’un faisceau étonnant de critères.  

Il s’agit par exemple de recenser les prises de positions passées d’un utilisateur de Twitter (probablement via ses “retweets” - rediffuser un Tweet - ou “likes” - aimer un Tweet) au sujet de conflits socio-économiques à l’échelle du monde : les protestations contre le pouvoir chilien, le conflit syrien ou... les Gilets Jaunes (GJ).  

Ainsi, une agence du renseignement made in America se préoccupe de comptes Twitter eux-mêmes intéressés à l’information autour des Gilets Jaunes, donc vraisemblablement français, pour déterminer le profil de propagandistes “anti-Oncle Sam”. 

https://t.co/BcFhHCvjAE February, 2020, as COVID broke out, the Global Engagement Center – a fledgling analytic/intelligence arms of the State Department – went to the media with a report called, “Russian Disinformation Apparatus Taking Advantage of Coronavirus Concerns.” pic.twitter.com/KjUeE8vejt

— Matt Taibbi (@mtaibbi) January 3, 2023

La piste d’une fuite de laboratoire censurée 

Identiquement, les tweetos qui décrivent le coronavirus comme “une arme biologique artificielle” sont immédiatement tracés à l’instar de ceux qui “blâment la recherche à l’institut de Wuhan” ou qui attribuent “l’apparition du virus à la Central Intelligence Agency (CIA)”.  

Si ces éléments ne sont pas tous démontrés (c’est une évidence), l’hypothèse d’une fuite du Sars-CoV-2 de l’un des laboratoires de Wuhan est quant à elle aujourd’hui considérée comme la plus plausible cause de la pandémie.  

Cette piste qui était pourtant à explorer avec une argumentation scientifique raisonnée (les fuites dans des laboratoires, y compris de “haute sécurité” ne sont pas rares) a donc été censurée, sans préavis.  

4.The GEC flagged accounts as “Russian personas and proxies” based on criteria like, “Describing the Coronavirus as an engineered bioweapon,” blaming “research conducted at the Wuhan institute,” and “attributing the appearance of the virus to the CIA.” pic.twitter.com/a4xBotQZ2m

— Matt Taibbi (@mtaibbi) January 3, 2023

Autre activité de surveillance réalisée par le GEC, la publication (toujours en 2020) d’une liste de 5 500 comptes qui ont été présentés comme des amplificateurs de "la propagande et (de) la désinformation chinoises" à propos de la Covid. Cette façon d’agir, à l’image du mécanisme pour mettre la pression sur le réseau social, a “exaspéré” les analystes de l’oiseau bleu.  

Des listes de comptes à gogo 

Autre liste dressée par l’agence, celle de 250 000 comptes qui poseraient problème. Avec quelle méthodologie ? Trouver des comptes qui suivaient “deux ou plusieurs” comptes diplomatiques chinois.  

Automatiquement, cela a inclu de nombreux comptes “grand public”, faisant apparaître - pris dans ces filets de chalutiers ratisseurs des fonds twitteriens - des responsables canadiens et un compte de la chaîne de télévision CNN.

Toute personne originaire de n’importe quel pays, intéressée un tant soit peu par l’actualité en Chine, en somme... Cet événement a été l’une des rares fois“Twitter a contesté publiquement les positions de responsables officiels”.

De facto, les méthodes du GEC posaient un problème à Yoel Roth, l’ex-chef de la sécurité de Twitter. Si la direction du réseau social était prévenue des annonces publiques des fameuses listes, cela était réalisé dans un délai beaucoup trop court pour que la plateforme puisse réagir : "Le delta entre le moment où ils partagent du matériel et le moment où ils s'adressent à la presse continue d'être problématique", a écrit un responsable de la communication. 

13.The GEC was soon agreeing to loop in Twitter before going public, but they were using a technique that had boxed in Twitter before. “The delta between when they share material and when they go to the press continues to be problematic,” wrote one comms official. pic.twitter.com/ONn9BfYybi

— Matt Taibbi (@mtaibbi) January 3, 2023

Deux poids, deux mesures 

Des raisons plus profondes amenaient Roth à ne pas vouloir collaborer plus étroitement avec le GEC. Selon lui, le DHS et le FBI peuvent être considérés comme des entités “apolitiques”. Alors que le GEC était “politique” : “Le mandat du GEC est de promouvoir les intérêts américains”, ajoute-t-il. 

16.Facebook, Google, and Twitter executives were united in opposition to GEC’s inclusion, with ostensible reasons including, “The GEC’s mandate for offensive IO to promote American interests.” pic.twitter.com/jvZxPYTIE6

— Matt Taibbi (@mtaibbi) January 3, 2023

Un ancien responsable du ministère de la Défense interrogé par Matt Taibbi analyse bien différemment cette soudaine prudence. "Je crois qu'ils (twitter) pensaient que le FBI était moins Trumpy", avance-t-il. (Trump, dans l’une de ses fracassantes déclarations, avait émis l’idée d’une responsabilité chinoise quant à la “diffusion” du coronavirus.)  

Cet avis émet l’idée d’un “deux poids, deux mesures” selon le bord partisan présumé de l’agence ordonnant à Twitter de modérer le contenu des utilisateurs. 

Un élément factuel renforce cette opinion. Soudainement, Yoel Roth s’inquiète de la proximité avec la date des élections et du risque d’une influence causée par l’activité de cette agence nouvelle venue. Pourtant, selon Matt Taibbi, le directeur de la sécurité ne s’était pas opposé auparavant avec véhémence aux multiples requêtes déjà évoquées de “chasse aux comptes russes” estimées comme provenant du camp démocrate. 

18.After spending years rolling over for Democratic Party requests for “action” on “Russia-linked” accounts, Twitter was suddenly playing tough. Why? Because, as Roth put it, it would pose “major risks” to bring the GEC in, “especially as the election heats up.” pic.twitter.com/tAd6lVh2KH

— Matt Taibbi (@mtaibbi) January 3, 2023

Le FBI sort du bois 

Et lorsqu’une avocate, Stacia Cardille intervient dans cette sorte de “guerre” des agences de renseignements, celle-ci réclame un interlocuteur, Elvis Chan, déjà présenté dans des épisodes précédents des Twitter Files et agent FBI de son état. Laura Dehmlow, la chef d’unité de la taskforce dédiée à l’influence étrangère, personnel légitime à traiter de cette affaire, est mise sur la touche. 
 
Cette mise en évidence de “qui est le patron ?” finit par faire sortir du bois le FBI. Ce dernier interpelle Yoel Roth au sujet d’un “compromis” : si d’autres agences étasuniennes peuvent intervenir dans la modération (musclée) de Twitter, le FBI et le Department of Homeland Security (DHS) doit impérativement garder l’œil sur toutes les interventions.  

Conclusion, le Federal Bureau of Investigation et le DHS doivent former le “nombril de Twitter”. Un “Belly Button” qui doit rester au centre des opérations de surveillance et de contrôle des contenus informatifs, soit de l’information elle-même. 

20.Eventually the FBI argued, first to Facebook, for a compromise solution: other USG agencies could participate in the “industry” calls, but the FBI and DHS would act as sole “conduits.” pic.twitter.com/uJSFzqj52x

— Matt Taibbi (@mtaibbi) January 3, 2023

De son côté, Yoel Roth se confie à Elvis Chan et confirme ce constat. Il espère que les acteurs du renseignement avec qui il échange puissent rester au sein d’un “petit cercle de confiance”. L’agent du FBI Elvis Chan tente de rassurer Roth que la chaîne de communication entre les agences du renseignement ne s’effectuerait pas dans tous les sens : certaines resteraient en mode d’écoute, passives.   

Adam Schiff : la clef pour saisir sa chasse aux comptes ? 

Une fois tombés d’accord, Chan envoie à Roth une liste de numéros de téléphone comprenant les responsables du FBI chargés de la modération sur la plateforme. Mais Twitter a commencé à recevoir des demandes de divers organismes gouvernementaux, à commencer par le Comité sénatorial du renseignement (SSCI) - particulièrement attentionné à ce que le FBI tienne bien sa position prédominante au sein de Twitter, la National Security Agency (NSA), le Departement of Health and Human Services (HHS). 

En plus des agences du renseignement, des officiels ou d’autres personnes seules sollicitent le bannissement de personnes “qu’ils n’aimaient pas”. Par exemple le démocrate Adam Schiff, du SSCI, dont la requête était de supprimer le compte du journaliste Paul Sperry. Si Twitter a répondu “on ne fait pas ça”, le compte a bien été banni peu de temps après. 

En fait, toutes les requêtes finissent par être appliquées, y compris celle du GEC, par exemple pour les (décidément inévitables) liens avec la Russie. 

27.They also received an astonishing variety of requests from officials asking for individuals they didn’t like to be banned. Here, the office for Democrat and House Intel Committee chief Adam Schiff asks Twitter to ban journalist Paul Sperry: pic.twitter.com/SXI1ekqi13

— Matt Taibbi (@mtaibbi) January 3, 2023

Indépendance de Twitter, game over 

Les employés de Twitter ne sont pas dupes de ce qui se passe, a fortiori un ancien de la CIA recruté par l’oiseau bleu : l’“indépendance” du réseau social est révolue. 

En 2020, les agences inondaient Twitter de demandes de suppression de comptes. Certains rapports ne faisaient qu'un paragraphe ou ne comportaient qu’un document Excel sans autre explication. 

31.Remember the 2017 “internal guidance” in which Twitter decided to remove any user “identified by the U.S. intelligence community” as a state-sponsored entity committing cyber operations? By 2020 such identifications came in bulk. pic.twitter.com/OrSC1uwgm8

— Matt Taibbi (@mtaibbi) January 3, 2023

Les demandes de l’US Citizenship and Immigration Services (USIC) débutaient par exemple par un “nous évaluons” suivi de listes. Les “acteurs étatiques” sont visés pour désinformation présumée. La Russie, sans surprise, en fait partie.  

Parfois, les demandes de censure se passaient de toute explication. Lorsqu’un livre écrit par un procureur ukrainien au sujet de la “corruption de Biden” s’annonce, le processus de suspension surgit identiquement.  

Frénésie de bannissements... 

Peu avant les élections de 2020, les requêtes étaient tellement nombreuses que Twitter a dû demander à Chan, le représentant du FBI, où se trouvaient les requêtes issues de son bureau au milieu de celles de toutes les autres agences.  

Cette frénésie de la demande de suppression de compte est entendue comme “une charge supplémentaire de travail” par les requérants. Pour autant, si Twitter n’agit pas, ces derniers sont toujours prêts à demander des comptes... L’avocate Stacia Cardille en a perdu le bon fonctionnement de sa boîte mail, saturée
 
Qu’est-ce à dire ? Que la situation décrite dans un ancien épisode des Twitter Files par le journaliste Michael Shellenberger, soit celle d’un paiement du FBI à Twitter pour services rendus en matière de surveillance et de contrôle de contenus était bien exacte. Mais au vu de la somme de travail accomplie, elle était simplement... trop basse.  

https://t.co/08M51rg2BM all led to the situation described by @ShellenbergerMD two weeks ago, in which Twitter was paid $3,415,323, essentially for being an overwhelmed subcontractor.

Twitter wasn’t just paid. For the amount of work they did for government, they were underpaid.

— Matt Taibbi (@mtaibbi) January 3, 2023

...qui coûte bien plus cher qu’annoncé 

Cette vision du problème par Matt Taibbi oublie peut-être de préciser un élément-clef (qui pourrait surgir éventuellement au sein des prochaines révélations liées aux Twitter Files) : sous l’impulsion de l’administration Obama, puis de Biden, les Big Techs sont devenues des acteurs d’État. Autrement dit, aucun fournisseur d’accès ou transporteur de données ne peut les facturer.

Ce sont les citoyens américains qui payent pour tous les acteurs du numérique. Que ces derniers ne soient plus intéressés par Twitter ou Facebook (ou d’autres sites), ils financent identiquement leur fonctionnement, à hauteur de 150 milliards de dollars par an. Voilà qui fait cher le droit d’être au final banni ou censuré d'un réseau social en croyant ne pas avoir respecté les conditions d’utilisation d’une entreprise privée.

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