Passe sanitaire : le Conseil d'État laisse la main au Conseil constitutionnel
C’est par un communiqué de presse du 28 juillet 2021 que Me Krikorian informe ce jour que le juge des référés du Conseil d’État vient de rejeter la requête déposée le 21 juillet en son nom avec l’intervention de l’association BonSens. Cette requête visait à obtenir du Conseil d'État une réserve d'interprétation du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire qui était alors discuté par les parlementaires et qui a depuis été voté. Le rescrit présidentiel sollicité aurait permis de maintenir les gestes barrière (distanciation physique ; port du masque ; désinfection des mains), comme autant d'équivalents des trois modalités du passe sanitaire (certificat de vaccination ; attestation de rétablissement ; test négatif de moins de quarante-huit heures). Cette décision intervient quelques jours après le refus d’une autre action des avocats du Cercle Droit et Liberté.
Me Krikorian déclare dans la conclusion de son communiqué :
Il appartient désormais au Conseil constitutionnel d'apporter à la loi définitivement adoptée par le Parlement le 25 Juillet 2021 cette réserve d'interprétation (mesures barrière = passe sanitaire), seule de nature, sauf invalidation totale ou partielle du texte à lui déféré, de sauvegarder les droits et libertés fondamentaux de nos concitoyens et des personnes qui relèvent de la juridiction de la France.
« La France étant, aux termes de l'article 1er de la Constitution du 04 Octobre 1958, « (…) une République indivisible (…) », tout ferment de sa division doit être banni avec la plus grande fermeté. »
Le texte complet du communiqué est retranscrit et fournit une analyse complète de la décision et des conséquences :
On peut, dès lors, dans un premier temps, être critique de la décision de rejet du 27 Juillet 2021, en tant qu'elle contredit l'ordonnance n°453505 rendue le 06 Juillet 2021 dernier par laquelle le juge des référés du Conseil d'État demandait implicitement au Gouvernement de ne pas porter atteinte aux activités de la vie quotidienne.
Nous y perdons, peut-être, l'espoir d'une solution à court terme du conflit sociétal qui fracture notre Nation française depuis plusieurs mois.
Nous y gagnons, cependant, une motivation, riche d'enseignements pour la suite de la discussion juridique portée désormais devant le Conseil constitutionnel.
Le juge des référés avance, ainsi, deux raisons justifiant, à ses yeux, le rejet de la requête, les mesures demandées n'étant pas, selon lui, « (…) de la nature de celles que le juge des référés peut utilement ordonner sur le fondement de cet article. » :
1) « D'une part, en effet, une intervention télévisée d'un Président de la République ne constitue pas une mesure dont la suspension puisse être demandée. »
2) « D'autre part, il n'appartient pas au juge des référés d'adresser une injonction à l'État pour qu'il prenne un texte réglementaire précisant l'interprétation à donner d'un texte législatif qui, au demeurant et en tout état de cause, n'a à ce jour pas été promulgué. »
Cette motivation n'emporte, toutefois, pas la conviction.
Il peut, en effet, y être répondu :
1) En premier lieu, qu'un simple communiqué de presse peut, comme en l'espèce, receler une véritable décision de l'administration.
2) En second lieu, que le rescrit présidentiel qui était attendu ne visait pas la loi dont la promulgation a été suspendue par la saisine du Conseil constitutionnel, à l'initiative du Premier ministre lui-même, mais le projet de loi que celui-ci avait déposé, le 20 Juillet 2021. Or, il revient à l'auteur d'un texte d'en livrer l'interprétation requise par les circonstances.
En annonçant aux Français, dès le 12 Juillet 2021, l'extension du passe sanitaire aux activités de la vie quotidienne, que ne visait pas la loi n°2021-689 du 31 Mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire (JORF 1er Juin 2021, Texte 1 sur 109) et qui avaient été expressément réservées par le juge des référés du Conseil d'État dans son ordonnance précitée du 06 Juillet 2021, le Président de la République a anticipé sur la nouvelle loi, au moyen d'un acte ayant valeur de décret. La Constitution n'investit, cependant, pas le Chef de l'État de compétences législatives en dehors des circonstances exceptionnelles régies par son article 16.
L'annonce présidentielle a conduit, de fait, des milliers de personnes à se faire vacciner, dans l'ignorance du futur contenu obligationnel, craignant, sans doute, les sanctions directes et indirectes (en termes de pertes d'avantages de citoyenneté) prévues par la future loi, avant même qu'elle n'entre en vigueur.
Dans ces conditions, en ne précisant pas que les gestes barrière seraient maintenus comme l'équivalent du passe sanitaire, le Chef de l'État a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et de venir, ainsi qu'au droit au respect de la vie privée et familiale, circonstances qui autorisaient l'intervention du juge des référés, en application de l'article L. 521-2 CJA. Cette disposition législative attribue en effet, au juge des référés le pouvoir d'« ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (…) aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (…) »
La procédure devant le juge des référés doit, aux termes de l'article L. 522-1 CJA, être « contradictoire écrite ou orale. » (alinéa 1er), ce qui commande, dans le principe, la communication de la requête à l'administration et l'information des parties « de la date et de l'heure de l'audience publique. » (alinéa 2).
À titre exceptionnel, selon l'article L. 522-3 CJA, « Lorsque la demande ne présente pas un caractere d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1.
Autrement dit, le juge des référés doit ouvrir une procédure contradictoire, sauf à considérer que l'urgence est absente, que la demande ne relève manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative (mais, sous-entendu, de celle d'un autre ordre de juridiction, judiciaire ou constitutionnel, ou d'aucun d'entre eux), qu'elle est manifestement irrecevable ou qu'elle est manifestement infondée.
Or, dans son ordonnance du 27 Juillet 2021, le juge des référés se borne à relever « (…) qu'il est manifeste que la requête de M. Krikorian ne peut être accueillie. (…) » ( § 4 ), sans caractériser la ou les causes limitativement énumérées par l'article L. 522-3 CJA justifiant le rejet de la requête sans instruction ni audience.
Il eût été souhaitable, pour une meilleure lisibilité de la décision que son auteur précisât, le cas échéant :
1) Soit, que la demande de réserve d'interprétation de la loi relève du seul Conseil constitutionnel
2) Soit, que le projet de loi, tel qu'il a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, le 20 Juillet 2021, ne comporte aucune disposition menaçant les libertés fondamentales.
De telles assertions auraient été difficilement soutenables, sauf à pratiquer l'oxymoron, dans la mesure où, comme susdit, dans son ordonnance n°453505 rendue le 06 Juillet 2021, le juge des référés du Conseil d'État a très clairement exclu qu'une atteinte aux activités de la vie quotidienne puisse légalement résulter du dispositif dit passe sanitaire.
La tentative du pouvoir exécutif d'obtenir une habilitation législative ne fait que déplacer le problème. Le décret d'application ne sera pas légal si la loi qu'il met en œuvre est elle-même contraire à la Constitution, comme sa lecture l'indique clairement.
Il n'est pas étonnant, dès lors, que nombre de critiques s'élèvent depuis lors, dénonçant un texte inconstitutionnel. Parmi elles, celles du Professeur Dominique ROUSSEAU, éminent constitutionnaliste (interview sur France Inter publiée le 27 Juillet 2021, à 06h09).
Il appartient désormais au Conseil constitutionnel d'apporter à la loi définitivement adoptée par le Parlement le 25 Juillet 2021 cette réserve d'interprétation (mesures barrière = passe sanitaire), seule de nature, sauf invalidation totale ou partielle du texte à lui déféré, de sauvegarder les droits et libertés fondamentaux de nos concitoyens et des personnes qui relèvent de la juridiction de la France.
La France étant, aux termes de l'article 1er de la Constitution du 04 Octobre 1958, « (…) une République indivisible (…) », tout ferment de sa division doit être banni avec la plus grande fermeté.
À LIRE AUSSI
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.