“Outrage en ligne” : Un nouveau délit jugé liberticide fait son entrée dans le projet de loi numérique SREN

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France-Soir
Publié le 03 avril 2024 - 17:04
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“Outrage en ligne” : Un nouveau délit jugé liberticide fait son entrée dans le projet de loi numérique SREN
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La saga du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN) continue. Après un long chemin entre les différentes chambres du Parlement depuis l’été 2023, le texte, élaboré et adopté en commission mixte paritaire puis par le Sénat mardi 2 avril, sera soumis au vote le 10 avril prochain à l’Assemblée nationale. Plusieurs mois après la polémique liée à une proposition d’amendement du parti Renaissance, visant à “interdire” l’usage des réseaux privés virtuels (VPN), une autre proposition, jugée bien plus liberticide cette fois-ci, soulève des préoccupations. Il s’agit du "délit d'outrage en ligne" ajouté à l’article 5 bis du texte, qui vise à punir, par une amende et un an d’emprisonnement, sans passer par un tribunal, quiconque diffuse en ligne un contenu à “caractère injurieux”.  

Adopté à l’unanimité en juillet 2023 par le Sénat puis en octobre par l’Assemblée nationale, le projet de loi SREN, qui entend "sécuriser Internet" et adapter le droit français aux nouveaux règlements européens, particulièrement le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA), a nécessité un travail de fond. La Commission européenne avait mis en garde contre un risque de “surtransposition” du droit européen : deux lois du SREN entrent en collision avec le DSA et ne respectent pas le principe de pays d’origine. Il s’agit de la vérification de l’âge et du contrôle des très grandes plateformes.  

Sur les réseaux sociaux ou dans les discussions privées 

Une commission mixte paritaire (CMP) a été mise sur pied en octobre et n’est parvenue à un accord que le mardi 26 mars 2024. Le projet de loi, qui rassemble de nombreuses mesures comme le renforcement de la lutte contre l’accès des mineurs aux sites pornographiques, la création de "filtres anti-arnaques", la lutte contre les "deepfakes" et même le "bannissement” des réseaux sociaux", est encore une fois sujet aux critiques. 

La faute, une fois de plus, à une modification qui pourrait valoir au texte une censure de la part du Conseil constitutionnel. Un nouvel élément à l’Article 5 bis, évoque le chantage en ligne, notamment à caractère sexuel et contient désormais la section 4 bis qui instaure le “délit d’outrage en ligne”.  

“Est puni de 3 750 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement le fait (...) de diffuser en ligne tout contenu qui, soit porte atteinte à la dignité d’une personne ou présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant, soit créée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante”, lit-on.  

Le projet de loi poursuit dans le deuxième alinéa : “Est considéré comme diffusé en ligne au sens du présent article tout contenu transmis au moyen d’un service de plateforme en ligne”. Cela signifie que l’ensemble des technologies de communication en ligne sont visées, non seulement les réseaux sociaux mais également les messageries privées, comme WhatsApp ou Telegram.  

A travers cette nouvelle section de l’article 5 bis contre le cyberharcèlement, ce serait une lutte contre un phénomène massif qui touche énormément de nos compatriotes, sans jamais qu’on puisse y répondre”.  L’intérêt de l’article, “réside dans la possibilité de recourir à l’AFD (amende forfaitaire délictuelle), qui répond à l’inefficacité des procédures judiciaires classiques pour injure et harcèlement”. Cette mesure permet, “une réponse pénale rapide, mais qui “suppose de l’auteur l’acceptation de la peine”. “Si l’auteur n’accepte pas l’AFD, il y aura une judiciarisation classique”, dit-il encore.  

Vers l’autocensure chez les journalistes ? 

Les problématiques de ce “délit d’outrage en ligne” sont nombreuses. Un tel ajout suscite des interrogations dans la mesure où les infractions évoquées sont déjà punies par la loi, comme l’injure et la diffamation, prévues dans la loi de 1881. En outre, les définitions de certaines notions sont jugées subjectives. “La notion de ‘situation intimidante, hostile ou offensante’ renvoie au ressenti de la personne visée par les propos. Elle est très subjective. Or, en matière pénale, les infractions doivent être précisément rédigées pour éviter l’arbitraire”, explique Tewfik Bouzenoune, avocat, à MediaPart.  

Un avis partagé par Arié Alimi, avocat et membre du bureau national de la Ligue des droits de l’homme, qui voit dans cet article “un nouvel outil extrêmement lourd de restriction de la liberté d’expression”. Ce “délit d’outrage en ligne” pose le risque de l’arbitraire dans les poursuites, en écartant “le procureur et le juge pour donner un pouvoir considérable à la police et à la gendarmerie”, fait remarquer, de son côté, Claire Hédon, Défenseure des droits depuis 2020. 

Cette partie de l’article 5 bis peut ainsi faire l’objet d’une censure de la part du Conseil constitutionnel. Marina Ferrari, secrétaire d'État chargée du numérique, qui ne cache pas du tout son accord à elle et celui du gouvernement pour une telle démarche, dit être “dubitative” quant à la “sécurité juridique et constitutionnelle de la démarche”.  

Ce délit “d’outrage en ligne” figurait déjà dans la version antérieure du SREN mais les députés s’y étaient opposés. Son retour suscite de vives inquiétudes, puisque l’article en question, jugé liberticide, menace ouvertement la liberté d’expression sur Internet. L’on craint notamment son usage à outrance pour réprimer critiques et enquêtes, particulièrement dans la presse, où cela favorisera une certaine autocensure pour les uns, procès en vue pour les autres... Si la loi de 1881 protège la liberté d’expression, le SREN ne prévoit pas de mesures particulières dans ce sens. Les diatribes pamphlets et satires pourraient bien être poursuivies au titre de deux textes juridiques. Cherche-t-on à museler une certaine presse, à empêcher d'informer, de caricaturer ou moquer. Qu’en sera-t-il des lanceurs d’alertes, à l’heure où le destin de Julien Assange n’est qu’une grande incertitude. Quel mauvais message. 

La vie de la cité ne chercherait-elle pas à ce qu’on ne la perçoive que sous ses plus beaux atours ? 

Cette mouture sera-t-elle rejetée par l’Assemblée ? Cela semble très peu probable. L'attention est désormais dirigée vers le Conseil constitutionnel. 

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