PFIZER  : une bombe à retardement ?

Auteur(s)
Jean-Yves Capo, France-Soir
Publié le 28 avril 2024 - 15:30
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Pfizer time bomb
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PFIZER : une bombe à retardement ?
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ANALYSE : Afin de savoir où en était PFIZER après 3 années fructueuses sur le plan financier, il était temps de faire un point sur sa situation financière « réelle ».

L’objectif est de l’analyser dans le but d'éclairer le grand public, mais également certains analystes financiers qui font davantage de l’analyse graphique de cours boursiers que de l’analyse financière réelle.

L’analyse se concentre sur les fondamentaux en laissant de côté toute appréciation éthique sur ce qu’a fait, fait ou fera PFIZER :

  • Quelles informations clés apparaissent dans ce document officiel dont nul ne parle depuis sa publication dans la partie dite « littéraire » du document ?
  • Qu’en est-il de la situation bilancielle à court terme (sous 12 mois) du groupe PFIZER ?
  • Qu’en est-il de l’évolution de son activité et de sa capacité d’autofinancement libre dégagée (= Free Cash-Flow = différence entre recettes totales en trésorerie moins sorties totales en trésorerie) ?
  • PFIZER a réalisé une acquisition importante fin 2023 avec l’achat de SEAGEN spécialisée en produits d’oncologie (anti cancéreux). Ce relai de croissance est-il opportun sur le plan stratégique et financier ?
  • Que penser et que faire devant cette analyse ?

Le rapport annuel financier 2023 se trouve sur le site de Pfizer. Il compte 168 pages. Pour le voir ou le télécharger : https://investors.pfizer.com/Investors/Overview/default.aspx puis cliquez sur l’icône SEC FILING.

1 - Quelles informations clés apparaissent dans le rapport annuel financier 2023 ?

Dans la suite de cette analyse, les M$ correspondent à des millions de dollars et les Md$ correspondent à des milliards de dollars.

PFIZER dont je parle au féminin (pour « la » société PFIZER) admet et reconnait que la période de l’âge d’or de son « vaccin » est derrière elle.

Les ventes sur 2023, en forte réduction sur 2023, en attestent.

CA Vaccin COMINARTY (PFIZER) 2023 : 11 220 M$ (-70,32 %)
CA Vaccin COMINARTY (PFIZER) 2022 : 37 806 M$ (+2,79%)
CA Vaccin COMINARTY (PFIZER) 2021 : 36 781 M$ (NS : + )

 CA PAXLOVID (PFIZER) 2023 : 1 279M$ (-93,24%)
CA PAXLOVID (PFIZER) 2022 : 18 933 M$ (+248,11%)
CA PAXLOVID (PFIZER) 2021 : 76 M$ (NS : + )

Face à ce constat de baisse drastique des ventes de ses produits « stars » mais également «vaches à lait » telles qu’on les appelle dans les matrices du Boston Consulting Group, PFIZER doit trouver des relais de croissance.

Le 14 décembre 2023, PFIZER a finalisé l'acquisition de SEAGEN, société mondiale de biotechnologie qui découvre, développe et commercialise des médicaments transformateurs contre le cancer avec quatre médicaments en cours de développement (Padcev, Adcetris, Tukysa et Tivdak).

Cette acquisition détaillée plus loin est le relai de croissance sur lequel table PFIZER.

Cela n’étonnera aucun investisseur bien avisé. Il reste à voir si le coût d’acquisition largement financé à crédit et sur des durées TRES longues (40 ans pour certaines tranches de financement obligataires) sera supportable en termes de capacité de remboursement sans recours à des fonds extérieurs complémentaires.

Rentrons davantage dans le détail.

A ce stade, sans polémiquer mais en restant factuels, notons que outre l’oncologie et les anticoagulants, PFIZER se positionne sur les traitements des principaux effets secondaires reprochés à tort ou à raison à son vaccin «COVID » : les cancers et les thromboses/péricardites/myocardites.

Pour être juste, ces deux segments d’activité représentent les pathologies majeures sur lesquels des progrès encore significatifs restent à faire et concernent des milliards de patients au niveau mondial.

Le chiffre d'affaires des opérations hors des États-Unis, qui s'élève à 31,4 milliards de dollars (Md$ pour rappel), représente 54 % du chiffre d'affaires total en 2023.

Le PAXLOVID est vendu essentiellement aux agences gouvernementales.

Certains de ces contrats gouvernementaux peuvent être renégociés ou résiliés à la discrétion d'une entité gouvernementale. Les vaccins en dehors des États-Unis sont principalement vendus à des institutions gouvernementales et non gouvernementales.

Beaucoup s’interrogent sur les modalités d’octroi des AMM conditionnelles dont a bénéficié PFIZER pour avoir pu commercialiser ses vaccins COVID.

Dans le contexte d'urgences de santé publique, comme la pandémie de COVID-19, PFIZER a pu demander à la FDA (Federal and Drugs Administration) une « Emergency Use Authorization » (EUA) qui, si elle est accordée, permet la distribution et l'utilisation de ses produits pendant l'urgence déclarée, conformément aux conditions énoncées dans l'EUA, à moins que l'EUA ne soit résiliée par le gouvernement… américain.

Un passage fait quelque peu sourire en lisant ceci (version traduite) dans la rubrique « Lutte contre la corruption ».

« Le FCPA interdit aux entreprises américaines et à leurs représentants d'offrir, de promettre, d'autoriser ou d'effectuer des paiements à un fonctionnaire ou à un membre du personnel d'un gouvernement étranger, à un parti politique ou à un candidat politique en vue d'obtenir ou de conserver un marché à l'étranger. Le champ d'application de la FCPA inclut les interactions avec certains professionnels de la santé dans de nombreux pays. D'autres pays ont adopté des lois et/ou des réglementations anti-corruption similaires. »

Difficile à croire, mais admettons cela.

Sur 112 produits en cours de développement au sein de PFIZER, le groupe pharmaceutique détient 9 produits (6 toujours en développement + 3 entièrement développés) qui représentaient collectivement 64% des revenus totaux en 2023.

Parmi les risques encourus et dont elle a parfaitement conscience pour tous les lister, outre l’effondrement des ventes de ses produits phares, PFIZER mentionne que les fortes marges sur ses produits ne sauraient perdurer : elle est sous la pression des différentes administrations publiques qui en assurent le coût du remboursement aux patients. 

Le risque des effets secondaires inattendus ou des problèmes de sécurité, des procédures ou des enquêtes réglementaires est également mentionné.

Dans la partie « Notes aux états financiers consolidés », PFIZER admet qu’avec son partenaire de collaboration, BioNTech, elle a conclu des accords pour fournir des doses pré-spécifiées de vaccin COMIRNATY avec plusieurs pays développés et émergents à travers le monde.

Elle continue à livrer des doses de COMIRNATY dans le cadre de ces accords.

Il s'agit notamment d'accords de fourniture conclus en novembre 2020 et en février et mai 2021 avec la Commission Européenne (CE) pour COMIRNATY au nom des différents États membres de l'Union européenne (UE) et de certains autres pays.

Chaque État membre de l'UE lui soumet sa propre commande de vaccins et est responsable du paiement conformément aux conditions des accords de fourniture négociés par la CE.

En mai 2023, BioNTech et PFIZER ont modifié leur contrat avec la CE pour la livraison des vaccins COVID-19 à l'UE.

L'accord amendé prévoit, selon PFIZER, un rééchelonnement de la livraison des doses chaque année jusqu'en 2026 et une réduction du volume global, offrant ainsi une flexibilité supplémentaire aux États membres de l'UE qui ont accepté l'accord amendé.

En 2022 et 2023, PFIZER a conclu des accords pour fournir des traitements pré-spécifiés de PAXLOVID avec des clients gouvernementaux et parrainés par le gouvernement dans de multiples nations développées et émergentes à travers le monde, qui représentaient la plupart des revenus de PAXLOVID en 2022 et 2023, tandis que la commercialisation a commencé  sur certains marchés en 2023.

En octobre 2023, PFIZER a annoncé un accord modifié avec le gouvernement américain, qui a facilité la transition de PAXLOVID vers les marchés commerciaux traditionnels à partir de novembre 2023, avec des prix négociés avec les payeurs commerciaux et un programme d'aide à la participation aux frais pour les patients assurés privés éligibles, car le gouvernement américain a commencé à interrompre la distribution de PAXLOVID étiqueté EUA.

PFIZER a également accepté de créer, en 2024, un stock national stratégique de 1 million de traitements pour permettre la préparation à une future pandémie jusqu'en 2028, qui sera géré et fourni par elle, sans frais pour le gouvernement américain ou les contribuables.

Fort bien.

Mais quels traitements et pour quelles pandémies jusqu’en 2028 ?

La découverte et le développement de nouveaux produits, ainsi que le développement d'utilisations supplémentaires pour les produits existants, sont nécessaires à la poursuite des activités de PFIZER. Ce n’est pas le rédacteur de cet article qui l’affirme : c’est PFIZER elle-même qui le fait.

Les termes de l’autorisation de mise sur le marché européenne pour le vaccin COMIRNATY exigent que PFIZER mène des études post-observationnelles pour évaluer l'association entre le vaccin Pfizer-BioNTech COVID-19 (monovalent original), le vaccin Pfizer-BioNTech COVID-19, bivalent, et le vaccin Pfizer-BioNTech COVID-19 (formule 2023-2024) et une liste préétablie d'effets indésirables d'intérêt particulier, notamment la myocardite et la péricardite, ainsi que les décès et les hospitalisations, et les cas graves de COVID-19.

Si PFIZER l’écrit, c’est donc que l’affirmation selon laquelle « le vaccin est sûr et sans risque » relève de la mauvaise galéjade … et encore plus quand on lit que : « Les populations d'étude requises comprennent les individus spécifiés dans notre lettre d'autorisation de septembre 2023 (réémise) ainsi que les populations d'intérêt, telles que les travailleurs de la santé, les femmes enceintes, les personnes immunodéprimées et les sous-populations présentant des comorbidités spécifiques. »

PFIZER admet encourir des jugements, conclure des règlements ou réviser ses attentes quant à l'issue de certaines affaires et de tels développements pourraient avoir un effet négatif important sur les résultats d'exploitation.

Un point des plus choquants est mentionné page 22 dans le document original en anglais : RÉCLAMATIONS DE TIERS EN MATIÈRE DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE.

L’intégralité du texte est reproduite : « Au fur et à mesure que nous développons notre portefeuille d'ARNm, les litiges liés aux brevets peuvent augmenter. Une fois que nous aurons obtenu l'approbation réglementaire finale des produits concernés, nous pourrons décider de commercialiser ces produits même si les procédures judiciaires associées (y compris les appels) n'ont pas été résolues (c.-à-d. lancement "à risque"). Si l'un de nos produits commercialisés (ou l'un des produits de notre société) n'est pas approuvé par les autorités compétentes, nous pouvons décider de le commercialiser. »

Vous lisez bien ! 

Pourtant, PFIZER a conscience des risques que l'utilisation de COMIRNATY ou de PAXLOVID conduise à de nouvelles informations sur l'efficacité, la sécurité ou d'autres développements, y compris le risque d'effets indésirables supplémentaires, dont certains peuvent être graves.

Ce n’est toujours pas le rédacteur du présent article qui l’affirme ... C’est PFIZER qui l’écrit.

 

Enfin, pour conclure sur les principaux risques, PFIZER en note 2 principaux :

  • Le litige sur la propriété des brevets pour produire des thérapies à base d’ARN messager (ARNm) avec MODERNA. Le procès commence en ce mois d’avril.
  • Le niveau d’endettement contracté pour financer l’acquisition de SEAGEN fin 2023.

Cette acquisition de plus de 44 milliards de dollars (Md$) a été financée par 31 Md$ d’emprunts obligataires simples émis en mai 2023, plus 8 Md$ de dette à court terme supplémentaire émise avant l'acquisition via l’émission de billets de trésorerie à échéance octobre 2024.

 

2 - Qu’en est-il de la situation bilancielle à court terme (sous 12 mois) de PFIZER ?

Bilan

Ce qui interpelle à la première lecture du bilan de PFIZER, c’est le coefficient de liquidités, c’est-à-dire la couverture du paiement des dettes d’exploitation sous 3 à 12 mois par l’actif disponible ou transformable en trésorerie à court terme sous 3 à 12 mois.

Pour 43,333 Md$ d’actif circulant à court terme, nous avons 47,794 Md$ de passif exigible à court terme, soit un coefficient de liquidités de 90,67%.

La lecture attentive du rapport annuel 2023 de PFIZER donne une information importante sur ce niveau quelque peu élevé de passif exigible à court terme, surtout si la chute de free cash-flow se poursuit. C’est-à-dire s’il n’existait plus d’excédent de free cash-flow disponible pour repositionner ce coefficient vers les 100%, voire plus (nb : le free cash-flow = ce qui reste en trésorerie, une fois retranché au cash-flow les remboursements en capital des crédits).

Dans le cadre du financement de l’acquisition de SEAGEN, si PFIZER a levé des emprunts obligataires à maturité très longue (jusqu’à 40 ans de durée d’échéance), PFIZER a émis des billets de trésorerie pour près de 8 Md$ à échéance octobre 2024. 

Soit autant de dettes financières à court terme.

Ou comment « charger » le bas de bilan avec des ressources de courte durée pour financer du haut de bilan (immobilisations) par principe à longue durée de portage. Comme si les prêteurs de PFIZER avaient limité peu ou prou à 70% le financement total de l’acquisition de SEAGEN malgré l’importance des lignes de crédits autorisées et non utilisées dont fait état PFIZER.

Le niveau d’endettement par crédits ou par émission d’obligations atteint au 31 décembre 2023 un montant de 61,5 Md$ … qui double quasiment par rapport à 2022 après cette acquisition.

Sur 2024 et les années qui suivront, cet endettement est-il compatible avec le cash-flow généré, lequel doit être a minima égal à la part en capital à rembourser sur le même exercice des mêmes dettes, à défaut de quoi la trésorerie sera mécaniquement affaiblie du différentiel « toutes choses égales par ailleurs » ?

Une partie de la réponse réside dans la capacité de l’acquisition SEAGEN à s’auto rentabiliser, car le cash-flow de PFIZER est fortement orienté à la baisse : 8,7 Md$ de cash-flow d’exploitation (hors cash-flow financier et d’investissement) en 2023 versus 29,267 Md$ en 2022 et 32,58 Md$ en 2021 !

Si les 8,7 Md$ sur 2023 paraissent rassurants, car compatibles avec les quasi 2,25 Md$ à rembourser sur 2024, ces mêmes 8,7 Md$ s’ils se maintenaient à ce niveau pourraient fort bien se retrouver insuffisants en 2024 pour également couvrir 8 Md$ de remboursement de billets de trésorerie en octobre 2024 en plus des 2,25 Md$ mentionnés précédemment.

Soit un total de l’ordre de 10 Md$  à payer en principal/capital.

Cela serait d’autant plus le cas si le flux extrêmement baissier du cash-flow d’exploitation se poursuit sur 2024 … et il se poursuit vraisemblablement au regard des données qui seront publiées sur le T1-2024 (1ᵉʳ trimestre 2024) et annoncées le 1ᵉʳ mai 2024 par PFIZER.

Par conséquent, la trésorerie nette disponible sera grignotée à hauteur de 1,3 Md$ « toutes choses égales par ailleurs ».

3 - Qu’en est-il de l’évolution de son activité et de sa capacité d’autofinancement libre dégagée (= Free Cash-Flow = différence entre recettes totales en trésorerie moins sorties totales en trésorerie) ?

Flux de trésorerie

Flux trésoFlux tréso 2

Une telle baisse de cash-flow d’exploitation devient inquiétante si elle se poursuit.

Tout porte à penser qu’elle se poursuit avec de plus l’intégration de SEAGEN dont le cash-flow n’est pas fameux avec ses – 101 M$ sur 2022 et qui sur 2023 n’a pas brillé.

Les investisseurs seraient inspirés de prendre conscience de la bulle spéculative qui gravite autour de PFIZER et qui repose sur les perspectives très ambitieuses des produits à base d’ARNm dont la propriété industrielle est contestée par MODERNA devant les tribunaux à Londres le 23 avril 2024 jusqu’au 15 mai et dont la situation financière devient bien tendue.

Compte de résultat consolidé

La rentabilité est certes toujours au rendez-vous, mais jusqu’à quand devant les chutes ininterrompues de ventes de produits anti COVID ?

Il existe un engagement européen de poursuivre les achats de vaccins COVID jusqu’en 2026, mais ces achats inconsidérés au regard de la demande qui baisse très fortement sauront-ils remonter à coup de communication plus que par nécessité ?

La question demeure posée.

états consolidés du résultat global

La rentabilité finale bénéficie de quelques gains sur opérations financières pour totaliser un résultat net 2023 de 2,462 Md$.

Par rapport au CA, ce résultat demeure très correct, mais la décroissance d’activité est si forte qu’il devrait chuter très rapidement, avec une baisse du cours boursier du groupe PFIZER.

4 - Le relai de croissance SEAGEN est-il opportun sur le plan stratégique et financier ?

Tout d’abord qui possédait SEAGEN avant sa vente à PFIZER ?

Source : https://simplywall.st/stocks/us/pharmaceuticals-biotech/nasdaq-sgen/seagen/ownership

Outre Baker Bros (Baker Brothers Advisors) qui est un Hedge Fund (fond d’investissement détenant des titres de sociétés très risquées) détenant 24 participations, nous retrouvons toujours des fonds de pension américains (VANGUARD, BLACKROCK …), qui collectent l’épargne notamment des retraités américains « mais pas que », afin de leur servir des revenus (dividendes/plus-values).

La question clé est : « Que vaut SEAGEN ? »

Pour répondre à cette question, regardons les fondamentaux financiers de SEAGEN au 31/12/2022, date à laquelle PFIZER a entrepris de rechercher un relai de croissance vers … l’oncologie (traitements anti cancéreux).

Son rapport annuel financier est téléchargeable à partir du lien suivant : https://www.annualreports.com/HostedData/AnnualReports/PDF/NASDAQ_SGEN_2022.pdf.  

Le compte de résultat SEAGEN est ci-dessus :

Compte de résultat de SEAGEN

Le premier constat qui interpelle est de voir que cette entreprise, rachetée pour 44,2 milliards de dollars (Md$), ne réalise que 1,962 Md$ de chiffre d’affaires (CA) et avec un résultat net (RN) de – 608 millions de dollars (M$) après respectivement sur 2021 un CA de 1,574 Md$ et -674 M$ … de résultat net.

Vendue à un tel prix est assurément une affaire très rémunératrice pour les actionnaires dont le Hedge Fund Baker Bros actionnaire à 24% et les habituels VANGUARD et BLACKROCK qui investissent dans des sociétés mondiales à hauteur maximum de 10% à de rares exceptions près (nb : plutôt 5% en France et quasi exclusivement sur des entreprises du CAC 40).

Après d’importants investissements nets réalisés en 2020 (1,419 Md$), essentiellement de recherche et de développement (R&D) … la rentabilité d’exploitation a dégringolé sur 2021 et 2022 comme attestent le compte de résultat ci-dessus et le tableau d’évolution des flux de trésorerie ci-après.

Tableau des flux de trésorerie de SEAGEN (les parenthèses sont une variation négative / une perte)

Le cash-flow global totalise dans les grandes masses et en millions de $ (M$) : - 454 M$ + 228 M$+ 125 M$ = - 101 M$.

Certes celui-ci pourrait évoluer à la hausse assez sensiblement avec les économies d’échelle induites par le rapprochement avec PFIZER, évaluées à 1 Md$, mais pour une entreprise payée plus de 44 Md$, ce prix paraît totalement excessif même sur la base de l’actualisation de futurs cash-flows qui ne seraient positifs qu’à partir de 2025 si on en croit les projections faites par https://simplywall.st/stocks/us/pharmaceuticals-biotech/nasdaq-sgen/seagen/information.

En effet :

  • Premier constat: SEAGEN ne génère aucune rentabilité d’exploitation, au contraire.
  • Deuxième constat: l’excédent de trésorerie généré par les activités d’investissement est un pur trompe-l’œil … C’est uniquement par un sur-financement des investissements réalisés que le solde demeure positif !
  • Troisième constat : ce qui est présenté comme des résultats positifs en termes d’opérations financières sur « stock-options » n’est pas du tout pérennisé dans le temps.

Cette entreprise réalise de plus la quasi-totalité de son CA (87% en 2022) sur … 4 produits toujours en cours de développement par ailleurs … ADCETRIS / PADCEV / TUKYSA / TYDAK.

Ce qui est peu après 27 ans d’existence.

Revenue from contracts with customers

Ce tableau de synthèse reprend les données clés des tableaux qui précèdent :

Tableau de synthèse

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de constater ceci : l’entreprise augmente sensiblement son CA depuis 3 ans, mais creuse ses pertes sur 2022 et sur 2023 selon les anticipations faites par diverses sociétés d’analyse reprises par le site simplywall.st.

evolution du chiffre d'affaires

Source : https://simplywall.st/

Sur le plan du bilan, les constats sont les suivants :

Bilan Seagen
  • Une société qui aura fait plus de 2,154 Md$ de « cash burning » (= fonds propres détruits par les pertes historiques) ;
  • Une société peu endettée et fort heureusement compte tenu de son cash-flow négatif ;
  • Une société qui a levé beaucoup de fonds, telle une start-up (nb : elle a été créée en 1997 donc n’en est plus une) et qui dispose de près d’un an de CA placés en bons du Trésor américain pour 1,417 Md$ à maturité inférieure à 2 ans, plutôt que d’avoir investi ces mêmes liquidités dans d’autres sociétés pharmaceutiques complémentaires ou dans ses propres projets de R&D pour commercialiser avec de la sécurité ses produits en cours de développement afin d’en obtenir un meilleur rendement. 
    Ceci est assez peu courant, et à un point tel qu’on peut se demander si les actionnaires de SEAGEN eux-mêmes croient dans le devenir de leurs produits.
  • Une société qui détient peu d’actifs corporels comme en témoigne le paragraphe sur « Property and equipment »
  • Property & equipment seagen

Pour éclairer le lecteur non averti sur le détail des placements financiers de SEAGEN à court terme, les « US Treasury securities » sont les placements financiers à court terme investis sur les bons d’Etat du Trésor américains.

S’il est très opportun de placer sa trésorerie non utilisée afin qu’elle génère des produits financiers, car c’est un acte de gestion sain, il est surprenant de constater que les actionnaires acceptent cela en lieu et place d’améliorer les produits de leur société en cours de développement qui rapporteraient bien plus en TRI (taux de rendement interne annuel) que le taux d’intérêt des emprunts d’Etat américains si ces produits sont réellement prometteurs.

Pour un CA de 1,9 Md$ (arrondi), 1,415 Md$ de trésorerie sont placés à court terme en plus des 320 M$ de trésorerie immédiatement disponible.

Cela représente un total de « liquidités » de près d’un an de CA certes, mais qui au rythme des pertes d’exploitation peuvent disparaître totalement en un peu plus de 3 ans avec les – 608 M$ de pertes nettes annuelles si elles doivent se maintenir à ce niveau, voire si elles devaient s’aggraver.

 

Si nous revenons à PFIZER, le détail de la maturité des crédits de 31 Md$ qu’elle porte pour financer l’acquisition de SEAGEN est le suivant :

Emission pfizer

(Source : rapport financier 2023 PFIZER)

Le fait marquant est la confiance quelque peu excessive des banquiers d’affaires qui financent certaines tranches obligataires sur des durées allant jusqu’à 40 ans quand les brevets ont une durée de vie de 20 ans au maximum. 
Pour procéder ainsi, c’est qu’ils doivent anticiper et croire en la sortie régulière de produits à forte valeur ajoutée.

 L’histoire le dira. À ce stade, c’est plutôt spéculatif.

Avec le reste de ses crédits, le détail de la maturité de tous les crédits à long terme de PFIZER (emprunts obligataires pour l’essentiel) est le suivant en consolidant les 31 Md$ levés pour acquérir SEAGEN :

Dette à long terme

À ces 61,5 Md$ de dettes portées par PFIZER à long – voire très long – terme, s’ajoute 8 Md$ de billets de trésorerie à échéance … octobre 2024

La question majeure qui se pose est donc simple :

  • L’entreprise SEAGEN vaut-elle les 44,2 Mds$ que PFIZER a payé pour l’acquérir ?
  • SEAGEN vaut-elle ce prix, quand elle « brûle » entre 610 et 675 M$ par an depuis 2021 ?
  • Est-il raisonnable de payer un « goodwill » (surprix payé) de près de 44,2Md$ – 2,8 Md$ de situation nette avant prise en compte de la revalorisation au prix de marché des immobilisations, soit un goodwill de 41,4 Md$ quand la situation nette de SEAGEN à fin 2022 n’est que de 2,803 Md$ et que les pertes d’exploitation sont à un niveau sur 2022 de -610 M$ pour un CA (nb : et non le total des produits) de 1,706 Md$ ?
  • Est-il raisonnable de réaliser un investissement financé à hauteur de 31 milliards de dettes à long terme et à hauteur de 8 milliards par émission de billets de trésorerie par PFIZER (dette à court terme émise par l’entreprise elle-même), soit un total d’endettement de 39 milliards complémentaires qui porte à 61,5 Md$ la dette à long terme supportée par le conglomérat PFIZER/SEAGEN pour acquérir une entreprise à rentabilité d’exploitation fortement négative alors même que la rentabilité de PFIZER s’écroule (voir partie sur analyse de PFIZER) ?

La justification d’un tel prix est expliquée ainsi dans le rapport financier 2023 de PFIZER : « Comme indiqué dans la note 2A des états financiers consolidés, le 14 décembre 2023, la société a acquis Seagen Inc. et ses filiales (Seagen). La juste valeur totale de la contrepartie transférée était de 44,2 milliards de dollars. Sur ce montant, la société a provisoirement enregistré 7,5 milliards de dollars de droits de technologie développés avec une durée de vie moyenne pondérée estimée à environ 18 ans et 20,8 milliards de dollars de recherche et développement en cours (IPR&D). »

PFIZER a donc valorisé quasiment au double les 20,8 Md$ de coûts de R&D de SEAGEN qui ont assez peu généré de valeur à ce stade en tout cas.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, cette situation rappelle la crise des sociétés Internet (bulle Internet de 1995 à 2001) qui étaient survalorisées avant de s’écrouler … faute de générer de la rentabilité justifiant de telles valorisations.

En l’absence de création rapide de valeur (rentabilité d’exploitation) par SEAGEN avec ses développements de produits, comme par PFIZER, un vrai pari sur l’avenir est entrepris par cette dernière qui totalise fin 2023 plus de 61,5 Md$ de dettes à long terme à rembourser  sur une maturité moyenne (durée moyenne des obligations et crédits émis) de 18 ans !

Rappelons à ce stade qu’en France, les durées de financement d’acquisitions incorporelles sont plutôt de l’ordre maximum de 7 ans, voire 10 ans dans des circonstances exceptionnelles.

De telles durées de financements par rapport à ce qu’on rencontre le plus souvent en Europe sont totalement disproportionnées.

Cela crée une réelle distorsion de concurrence à laquelle les États-Unis nous ont habitués et qu’ils n’hésiteraient pas à sanctionner si l’inverse se produisait avec une société européenne exerçant sur leur territoire.

Nul commentaire n’a eu lieu au niveau de la Commission Européenne de Madame Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne, sur cette distorsion manifeste de concurrence.

Une telle durée de financement favorise la création d’une bulle financière sur la valeur des entreprises acquises sur des durées excessivement longues.

Elle en crée sur SEAGEN, comme sur PFIZER, dont les ventes de son produit « Star » - le vaccin COVID - s’écroule au niveau mondial.

Certes, PFIZER estime à 1 Md$ les économies de frais de structures qui suivront cet investissement, mais cela sera-t-il suffisant pour justifier un tel prix ?

Il convient de lire par une approche consolidée si le groupe PFIZER/SEAGEN est viable avec un tel endettement en précisant que l’essentiel de la dette de PFIZER est constitué d’emprunts obligataires successifs remboursables in fine (à leur date d’échéance respective).

Que le non professionnel en analyse financière sache qu’il faut que le cash-flow annuel (= le flux net de trésorerie dégagé = différence entre ce qui rentre et ce qui sort en trésorerie avant remboursement en principal des emprunts/obligations) doit couvrir la part en capital/principal des emprunts et obligations à rembourser, mais également dans le cas présent le total des 8 à 9 Md$ de billets de trésorerie portés par PFIZER et qui arrivent à échéance en octobre 2024.

À défaut de pouvoir le faire, PFIZER devra soit :

  • Tirer sur ses lignes de crédit autorisées et non utilisées, ce qui certes lui permettra de sauver sa viabilité à court terme face à l’écroulement de ses ventes de produits COVID, mais qui repoussera dans le temps son risque de défaillance en procédant à ce qui s’apparentera à de la cavalerie financière (= recourir de plus en plus à de la nouvelle dette pour solder les dettes antérieures et continuer à financer ce qui ne peut plus être autofinancé, jusqu’à un point auquel les dettes deviennent insupportables par rapport à la capacité de remboursement qui chute).
  • Prélever l’insuffisance de cash-flow généré sur la trésorerie nette encore disponible. Cet exercice - probable - gagne à ne pas se pérenniser.

La réponse est relativement simple à exprimer dans les grandes masses :

  • Le cash-flow de PFIZER 2023 plus celui de SEAGEN 2022, ce qui s’apparente certes à une absurdité mathématique car nous totalisons 2 exercices différents faute d’avoir les comptes 2023 de SEAGEN, totalise environ 8 700 M$ - 101 M$ soit dans les 8,6 Md$.
  • L’endettement total est de 61 Md$ pour PFIZER plus 8Mds de billets de trésorerie à rembourser sur 2024. Ces 8 Md$ plus 2,25 Md$ d’emprunt obligataire à rembourser sur 2024, soit un total de l’ordre de 10 Md$ seront-ils inférieurs ou supérieurs au cash-flow dégagé sur 2024 ? Assurément, le cash-flow sera inférieur.
  • PFIZER parviendra-t-elle à honorer ses dettes sur 2024 et au-delà ?
    Sur 2024, elle y parviendra, compte tenu de sa capacité à lever de nouveaux crédits auprès de ses banques et/ou d’obligations auprès d’investisseurs qui sont souvent les mêmes.
    Sur les années qui suivent, la poursuite de cash-flows inférieurs aux échéances (capacité d’autofinancement en français = CAF) abîmera significativement le bilan du groupe, détruira de la valorisation boursière et amènera vraisemblablement les financiers historiques à réduire les lignes de crédits autorisées, sauf intervention politique majeure.
  • Le procès qui va s’ouvrir contre MODERNA va être crucial pour que PFIZER puisse perdurer sur la vague des produits à base d’ARN messager, car, vainqueur ou vaincu, il n’y aura que des perdants entre les deux groupes (trois avec BioNTech) :
    • Le vainqueur pourra continuer à surfer sur la vague des produits à ARNm dont de plus en plus de patients ne veulent plus entendre parler compte tenu de la moindre létalité du virus d’une part et des effets secondaires d’autre part : les chiffres 2023 de PFIZER en témoignent ;
    • Le vaincu, et encore plus si c’est MODERNA, disparaitra du paysage des « Big Pharma » plus rapidement que prévu par les analystes les plus prudents.

Je ne suis pas juge, mais il est probable qu’un compromis ménageant les deux parties sera trouvé.

Aussi, en conclusion, si vous détenez des titres de ces entreprises pharmaceutiques :

  • Prenez vos bénéfices sur PFIZER s’il en est encore temps ou limitez vos pertes si vous en avez en les actant : les perspectives de plus-value comme celle de dividendes en progression sont très faibles, pour ne pas écrire « inexistantes » ;
  • Ne vous contentez pas de faire de l’analyse graphique pour acheter ou vendre des actions : regardez les fondamentaux financiers et leur évolution ;
  • Investissez sur des sociétés pharmaceutiques, si telle est votre volonté, mais sur des sociétés ayant été bien moins condamnées que PFIZER au titre des effets induits par leurs produits et,  qui je le rappelle, a pris la décision page 22 de son rapport financier 2023 de commercialiser ses nouveaux produits même si tous les accords n’ont pas été obtenus pour cela, ce qui n’est ni plus ni moins qu’un scandale mondial de plus, jamais dénoncé jusqu’à ce jour.

Je rappelle ici, et in extenso, le paragraphe « honnête » et surréaliste en même temps de PFIZER dans ce rapport annuel 2023, page 22 :

« Au fur et à mesure que nous développons notre portefeuille d'ARNm, les litiges liés aux brevets peuvent augmenter. Une fois que nous aurons obtenu l'approbation réglementaire finale des produits concernés, nous pourrons décider de commercialiser ces produits même si les procédures judiciaires associées (y compris les appels) n'ont pas été résolues (c.-à-d. lancement "à risque"). Si l'un de nos produits commercialisés (ou l'un des produits de notre société) n'est pas approuvé par les autorités compétentes, nous pouvons décider de le commercialiser. Les dommages-intérêts peuvent être multipliés par trois si nous ou l'une de nos filiales sommes reconnus coupables d'avoir délibérément enfreint des droits de brevet valables d'un tiers, ou si nous sommes empêchés de continuer à vendre ce produit. Ces dommages-intérêts peuvent être multipliés par trois s'il s'avère que nous ou l'une de nos filiales avons délibérément enfreint les droits de brevet valides d'un tiers. »

A bon entendeur …

À propos de l’auteur :  Jean-Yves Capo (@JeanYvesCAPO) est fondateur et président de XANI STRATEGIES SAS, société de management de transition et Experte judicaire en finances d’entreprise, financements bancaires et stratégie d’entreprises.

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