La complaisante interview du PDG de Pfizer sur BFMTV

Auteur(s)
Etienne Fauchaire, pour FranceSoir
Publié le 19 janvier 2022 - 21:16
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Le PDG de Pfizer, Albert Bourla
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Sakis MITROLIDIS / AFP
Albert Bourla, PDG de Pfizer.
Sakis MITROLIDIS / AFP

TRIBUNE — La neutralité d’un journaliste peut se déterminer au travers des questions posées à l’invité et des réactions à ses propos. Si celui-ci n’adresse aucune question sensible ou n’oppose aucune réaction aux affirmations de son invité, il est raisonnable d’en déduire un parti pris. L’entretien du PDG de Pfizer, Albert Bourla, sur BFMTV ce lundi, est un cas d’école de ces pratiques qui contreviennent à la déontologie journalistique. Au cours de son interview, celui-ci a pourtant fait plusieurs déclarations de poids qui auraient mérité d’être traitées de façon critique, sur le fond comme sur la forme.

Une attitude de déférence notable envers Albert Bourla

Les bases de l’interview sont jetées dès le démarrage. La journaliste aux commandes commence par une suite de remerciements dont la tonalité renvoie aux téléspectateurs l’impression d’accueillir une célébrité : « Merci de nous accorder cet entretien depuis New York. Merci d’avoir choisi BFMTV pour cette première interview à la télévision française… », avant de gratifier le PDG de Pfizer d'un éloge de taille : « Le grand champion de la pandémie », qualifiant son vaccin « d’arme incontournable » dans la lutte contre le Covid. La conclusion de l’interview se terminera dans le même esprit de déférence : « Merci infiniment… Merci infiniment. »

La journaliste embraie ensuite sur le fond du sujet : « Nous voulions faire avec vous le point sur la pandémie », annonce-t-elle. S’il a été longuement reproché aux grandes chaînes de télévision de faire intervenir des médecins de plateaux de télévision sans leur demander au préalable de déclarer leurs conflits d’intérêt financiers, conformément à la loi, c’est parce qu’il tombe sous le sens que leurs analyses sur la situation épidémique pourraient manquer d’objectivité du fait de ces liens. Dans ce cas précis, nous avons affaire à un homme qui tire de la pandémie un important bénéfice financier grâce à la vente de ses vaccins et médicaments. Par conséquent, il va de soi que ses analyses peuvent prêter le flanc à la critique et qu’une attitude de déférence pour cet entretien est la dernière des postures à adopter.

Un positionnement d’Albert Bourla qui s’apparente à celui d’une autorité politique… et religieuse

« Pour retrouver une vie normale, la vaccination est une des solutions, donc nous devons continuer à nous vacciner. Plus important encore aujourd’hui, nous avons quelque chose qui change la donne : un nouveau traitement », assène Albert Bourla. Comme le président exécutif de Pfizer est théoriquement habilité à répondre uniquement sur les questions relatives à son vaccin, se pose naturellement la question de connaitre la légitimité et la compétence d’un organisme privé pour déclarer, en lieu et place d’une autorité politique, si vie normale ou pas il doit y avoir. Par ailleurs, dans son interview au Figaro, le PDG détaille les modalités de recouvrement d’une vie normale. Le moins que l’on puisse dire, c’est que sa vision ne correspond pas tout à fait à celle que s’en font la plupart des Français. En effet, selon Albert Bourla, un retour à la vie normale impliquerait tout de même tests, vaccination régulière et prise du nouveau médicament développé par Pfizer : le traitement Paxlovid. C'est à se demander si nous ne vivons pas déjà « normalement ».

Lire aussi : L'Espagne propose de "reprendre une vie normale" et de traiter le Covid-19 comme la grippe

Plus loin dans l’entretien, la journaliste de BFM le fait réagir sur les accusations proférées à l’encontre des compagnies pharmaceutiques, et de la sienne en particulier, s’agissant des profits engrangés lors de la pandémie. « Il n’y a pas d’entreprises qui mérite de faire plus de bénéfices que nous, car nous avons aidé l’humanité en plus de la récompense pour avoir sauvé autant de vies », répond-il. Alors que l'efficacité des vaccins est de plus en plus remise en cause et que même leur nocivité pose question, ce choix sémantique interpelle puisqu’il relève du champ religieux. On retrouve ce vocabulaire, qui fait appel à l’émotionnel et non au rationnel, en fin d'échange lorsqu’il aborde le sujet des non-vaccinés : « J’aimerais dire aux gens qui ont peur du vaccin de ne pas se laisser submerger par la peur et d’utiliser l’amour pour surmonter la peur, car chez l’humain le seul sentiment qui soit plus fort que la peur, c’est l’amour », assure-t-il. Exit la science.

Parti pris et crédulité journalistique

Tout au long de l’interview, la crédulité de la journaliste, aussi bien par ses questions que ses absences de réaction, interroge.

« On a 90 % de la population éligible qui est vaccinée et, dans le même temps, on a 300 000 nouveaux cas quotidiens. Est-ce que vous vous dites qu’il faut trouver et produire un vaccin contre Omicron ? », demande-t-elle sans même évoquer la possibilité qu’un vaccin contre Omicron soit inutile au regard de la déclaration de l’Agence européenne des médicaments qui a annoncé que ce variant mettrait fin à la pandémie.

« Nous savons que pas deux mais trois doses offrent une très bonne protection contre l’hospitalisation et les décès », affirme Albert Bourla, sans que la journaliste rappelle toutes ses déclarations erronées passées, à commencer par celle de novembre 2020 selon laquelle « le vaccin Pfizer est efficace à 95 % ».

« Nous avons organisé un système qui nous permet d’avoir un nouveau vaccin en 100 jours […] nous allons pouvoir avoir un vaccin efficace en à peine trois mois. Trois mois, c’est réellement très court », se félicite Albert Bourla. Alors que la fabrication des vaccins à la hâte est précisément pointée du doigt pour mettre en exergue leur faillibilité, la journaliste ne s’arrête aucunement pour réclamer les éléments qui permettent au PDG de Pfizer d’affirmer avec confiance que ce nouveau processus n’affectera pas la sécurité et l'efficacité des vaccins.

« On travaille avec de nouvelles technologies qui nous permettent de mettre au point un nouveau vaccin en trois, même en deux mois. », révèle Albert Bourla. Au-delà de savoir quelles sont ces nouvelles technologies utilisées, il aurait été intéressant de l'interroger sur la technologie ARNm qui, nous disait-on, permettrait de mettre à jour rapidement les vaccins, puisqu'il n'est pas nécessaire d'avoir les cellules du virus pour en fabriquer rapidement de nouveaux en laboratoire, a contrario des vaccins classiques. Or ces mises à jour promises sont restées jusqu'ici au stade d'effets d'annonces, puisque les injections actuellement distribuées en sont toujours à leur première version, 

Israël et le Chili ayant déjà lancé leur quatrième campagne de vaccination, la journaliste interroge Albert Bourla sur les résultats de leurs études en la matière. « Nous n’avons pas encore les données pour le moment », lui répond-il. Plusieurs pays poussent leur population à faire une quatrième injection de vaccin Pfizer alors que même le laboratoire ne dispose d’aucune donnée relative à sa nécessité. Pourtant, cela ne suscite aucune réaction de la journaliste. D'autres pays comme l'Espagne, le Danemark ou le Royaume-Uni, de leur côté, font le choix d'un véritable retour à la vie normale.

Lire aussi : Le Royaume-Uni prévoit de retirer le "Covid Pass" à la fin du mois de janvier

Vacciner le monde ?

Sur le modèle du président de la République, qui déclarait sur Twitter le 15 janvier que nous sortirions de cette crise en vaccinant le monde, Albert Bourla s’est prononcé lors de son interview en faveur d’une vaccination de masse des enfants et de l’Afrique.

S’agissant des enfants, il a estimé qu’« il faut vacciner les enfants pour les protéger », soulignant qu’« avec Omicron, on a vu beaucoup plus de cas positifs chez les enfants qu’avec le variant Delta. Le variant Omicron entraine moins de cas graves chez les adultes, mais on voit qu’il impacte plus les enfants que le variant Delta. » Là encore, aucune confrontation de la journaliste sur les informations publiques concernant l’innocuité d’Omicron.

Elle s’est néanmoins autorisée à poser une question sur les effets indésirables des vaccins chez les enfants : « Qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur les dernières études sur les effets secondaires que vous avez menés ». Mais, le PDG éludera la question sans jamais y répondre, évoquant une excellente protection du vaccin contre le Covid sans que la journaliste insiste pour obtenir une réponse.

Enfin, le PDG de Pfizer a estimé nécessaire de vacciner le continent africain. Si la question de l’utilité se pose de nouveau, celle d’une quelconque demande de la part de l’Afrique n’a pas non plus été soulevée.

Pfizer investira 520 millions d’euros en France... grâce à Emmanuel Macron

Le PDG de Pfizer a par ailleurs annoncé investir plus de 520 millions d’euros en France sur cinq ans. Il va notamment accroitre ses capacités de production, via un accord avec Novasep, qui produira le principe actif du Paxlovid, son médicament anti-Covid sur son site de Mourenx (Pyrénées-Atlantiques). Interrogé par la journaliste sur les raisons qui ont motivé son choix, Albert Bourla a fait valoir que la France disposait d’un personnel très qualifié et d’un environnement commercial très propice.

Par ailleurs, dans le Figaro, il a déclaré : « C’est une nouvelle France qui nous a ouvert les portes, accueillante envers les investissements étrangers, notamment industriels. Les réformes menées ont rendu le pays très compétitif […] L’implication du président Macron a fait la différence. Depuis deux ans, il a rencontré à plusieurs reprises les dirigeants de l’industrie pharmaceutique, nous répétant qu’il voulait positionner la France comme un champion de la santé ».

Si aucune question n’a permis d’élucider quelles ont été les décisions politiques d’Emmanuel Macron qui auraient rendu la France si commercialement attractive pour l’industrie pharmaceutique en particulier, la politique du président n’aura pas été si efficiente en matière d'optimisation de l’environnement entrepreneurial du pays. Sous la présidence d’Emmanuel Macron, la France se situe désormais à la 64ème place des pays les plus « économiquement libres », selon le classement de la célèbre Heritage Foundation, et la nation se retrouve avec une dette accrue de 680 milliards, un taux de prélèvements obligatoires qui fait de l’hexagone le champion du monde des impôts selon l'OCDE, et une balance commerciale fortement déficitaire.

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