Le référendum, oui ; le plébiscite, non
En cette année de Gaulle, Emmanuel Macron a choisi de faire du Mitterrand. Au-delà du "en même temps", c'est bien ainsi que l'on peut analyser l'annonce d'un référendum de révision de la Constitution faite devant un panel de Français sélectionnés pour la cause de l'environnement. Curieuse façon de se sortir du piège dans lequel il s'était lui-même enfermé, en acceptant l'ensemble des conclusions de ce comité Théodule pour n'en retenir ensuite qu'une partie.
Comment ne pas penser à François Mitterrand qui, il y a 35 ans, embourbé dans la guerre scolaire qu'il avait lui-même allumée, et dont il ne savait pas comment sortir, avait puisé dans son sac à malices l'idée d'un "référendum sur le référendum" destiné à modifier l'article 11 de la Constitution, afin de pouvoir organiser ensuite un référendum sur les libertés publiques ? Lui aussi demandait le vote d'un même texte au Palais Bourbon et au Palais du Luxembourg, avant d'aller à coup sûr devant les électeurs... puisque ses opposants étaient majoritaires au Sénat.
La ficelle était un peu grosse, le débat a duré des semaines et des semaines. Le référendum n'a jamais vu le jour, mais le subterfuge a bien fonctionné. "A partir du moment où je prononçais le mot "référendum", j'étais tiré d'affaire", dira plus tard M. Mitterrand. L'idée avait germé dans le cerveau de Michel Charasse, sous les toits de l'Elysée où il avait son bureau.
L'avenir nous dira le sort qui sera finalement réservé au référendum de M. Macron. Beaucoup d'incertitudes pèsent sur son organisation, et d'abord la crise sanitaire qui perturbe le calendrier politique, puisque les élections régionales de mars devraient être reportées à juin 2021. Le mode opératoire n'est pas non plus assuré de réussir. Le Président l'a clairement évoqué. Sa réforme destinée à introduire les notions de biodiversité, d'environnement, de lutte contre le réchauffement climatique "doit d'abord passer par l'Assemblée nationale puis le Sénat et être votée en termes identiques ; ce jour-là, elle sera soumise à référendum".
En filigrane, c'est le recours à l'article 89 de la Constitution qui est choisi par le chef de l'Etat. La modification de la Constitution, d'abord approuvée par les deux assemblées, doit faire ensuite l'objet d'une ratification, ou bien par référendum, ou bien par les deux assemblées du Parlement réunies en Congrès à Versailles, et adoptant le texte à la majorité des trois cinquièmes.
Au cours des travaux préparatoires de la Constitution de 1958, le Comité consultatif constitutionnel avait évidemment été amené à se prononcer sur l'intérêt de ce référendum intervenant après le vote des deux assemblées. Dans ma tribune sur l'histoire d'une révision constitutionnelle et le référendum d'octobre 1962, j'ai souligné l'intervention de M. Teitgen : "Décider qu'un référendum n'aura lieu que sur proposition des deux assemblées revient à n'admettre que le référendum de ratification qui n'a guère d'intérêt". Aussi l'article 11 de la Constitution organise-t-il le référendum direct, à l'initiative du président de la République et sur un projet de loi gouvernemental.
Au contraire des constituants de 1958 qui étaient dénués d'arrière-pensées, M. Macron a trouvé un grand intérêt dans ce référendum de ratification. Pour tout dire, la manoeuvre est cousue de fil blanc. Dans les mois qui vont précéder l'élection présidentielle de 2022, M. Macron entend utiliser cette consultation comme un tremplin pour sa réélection. Ses opposants ayant adopté la réforme au Sénat, où ils sont majoritaires, il leur serait ensuite impossible d'appeler à voter "non" au référendum. Le succès est assuré pour le président de la République. Le seul risque serait celui d'une abstention massive, comme cela s'est produit lors du référendum sur le quinquennat en 2000, marqué par 70 % d'abstention.
En somme, un référendum sans risque s'apparentant à un plébiscite, voilà l'opération engagée par l'Elysée. A son ministre, Jean-Marcel Jeanneney, qui lui demandait un jour à quoi on reconnaissait un homme d'Etat, le Général de Gaulle avait répondu : "A ce qu'il prend des risques". Il est bien clair que M. Macron n'en prend pas beaucoup dans cette affaire !
Si de Gaulle se faisait "une certaine idée de la France", il se faisait aussi une certaine idée des institutions de la République, et notamment du référendum, qu'il avait fait approuver par le peuple français dès 1945. Pour lui, la voie royale de l'appel au peuple, c'est le référendum direct de l'article 11 de la Constitution, assorti de l'engagement de responsabilité du président de la République posant la question de confiance au pays.
Nul ne conteste la nécessité de protéger l'environnement. Mais ce n'est pas l'inscription d'une pétition de principe dans la Constitution qui fera avancer des solutions d'avenir pour la planète. S'il avait été aussi enclin que cela à vérifier sa légitimité dans les urnes, M. Macron aurait déjà pu consulter le peuple français sur un sujet tout aussi important pour l'ensemble de nos compatriotes : le régime des retraites, dont le projet de réforme a mis tant de Françaises et de Français dans la rue, en ce début d'année 2020 encore.
Et, alors qu'il est question de modifier le mode de scrutin pour l'élection de la prochaine Assemblée nationale, par un retour à la représentation proportionnelle intégrale - comme M. Mitterrand l'avait fait en 1986, tiens donc ! - le président de la République dispose ici d'une occasion solennelle de consulter le peuple. Le scrutin majoritaire est le scrutin de la Vème République. La représentation proportionnelle est le scrutin de la IVème République. Si un changement de régime doit intervenir, c'est au peuple français qu'il revient de le décider, et non à une majorité de l'Assemblée nationale.
Retraites ou loi électorale, ces deux sujets entrent pleinement dans le champ d'application de l'article 11 de la Constitution. Et, dans l'une ou l'autre hypothèse, le référendum ne prendrait pas l'allure d'un plébiscite.
Sur un site de jeunes, et à propos de la police, M. Macron jouait la semaine dernière avec les mots. Avec les Verts, M. Macron joue maintenant avec les institutions. Le peuple français est en droit autre chose d'un président de la République.
Alain Tranchant est président-fondateur de l'Association pour un référendum sur la loi électorale.
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