Il faut que tu respires
TRIBUNE : « C’est pas rien de le dire », chantait Mickey 3D en 2004. Jamais il ne se serait douté que l’avenir lui donne si bien raison.
La crise mondiale du Covid19 nous a coupé le souffle. Au sens propre, chez tant de malades pour qui ce fut parfois le dernier, comme au sens figuré : le monde, tout à coup, a perdu l’oxygène qui le faisait vivre. L’économie des pays s’est retrouvée sous respirateur artificiel. Les bourses ont chuté et rebondi à perdre haleine. Pris de court, les États se sont fait souffler dans les bronches. Certains en ont perdu la voix. Celle de leur peuple, de leurs citoyens auxquels ils ont menti délibérément pour tenter d’étouffer leur imprévoyance. Pour masquer nos besoins de masques. Avant de les imposer aujourd’hui comme une évidence à laquelle chacun doit se soumettre, sous peine de voir suffoquer son porte-monnaie.
Cette pandémie, pourtant, aurait pu servir de bouffée d’oxygène, de révélation internationale face au véritable fléau sur le point de s’abattre sur nous. Car il ne faut pas s’y tromper : cette crise sanitaire ne rend pas moins urgente la crise écologique : elle en est juste le symptôme. Nous n’en manquions pas, cela dit, pour nous alarmer plus tôt. Chute de la biodiversité, acidification des océans, déforestation massive, sécheresse et canicules record, tempêtes et crues catastrophiques, disparition des espaces sauvages, effondrement des colonies d’abeilles…
Mais tout cela, aussi dramatique soit-il, n’est pas assez concret, pas assez visible pour le commun des mortels. L’Homme est ainsi fait : il ne sait raisonner et anticiper qu’à court terme. Nos élites l’ont bien compris. C’est même sur ce postulat qu’elles ont fondé leur politique. Assouvir les attentes tantôt des uns, tantôt des autres, pour maintenir le statu quo électoral et laisser à leurs successeurs toutes les patates chaudes que le système, tel qu’il existe, n’est pas fait pour prendre en charge.
C’est ainsi qu’on se retrouve, en 2020, avec une épidémie mondiale que prédisaient depuis plusieurs décennies nombre de scientifiques. À force de rogner l’os de la nature, on finit par le briser.
En oubliant que toute l’architecture du vivant, dont nous ne sommes qu’une espèce parmi d’autres, repose sur le fragile équilibre de son écosystème.
Ils sont pourtant nombreux à expliquer, démontrer, tribune après tribune, interview après interview, vers quel mur nous continuons de foncer tels des bulldozers sur une forêt de Bornéo : il n’y a pas de croissance infini dans un monde fini. Jean-Marc Jancovici, président du think tank The Shift Project, l’explique si clairement qu’un gamin de CP pourrait le comprendre. Aurélien Barrau, astrophysicien et lanceur d’alerte sur l’urgence écologique, s’épuise encore et toujours à dresser le bilan alarmant de l’effondrement en cours, sans qu’un seul politique ne lui prête sérieusement l’oreille. Dans le même temps, alors que la Convention Citoyenne pour le climat et la justice sociale, initiée par Cyril Dion, présente ses 150 propositions – amputées d’emblée de ses trois mesures emblématiques par Emmanuel Macron – notre nouveau Premier Ministre Jean Castex, avec un cynisme libéral confinant à l’auto-caricature, déclare qu’il « croit à la croissance écologique, pas à la décroissance verte. » Comme s’il s’agissait d’une question de foi.
D’ailleurs, à la lecture du plan de relance européen, dont les 30% du budget alloué à la lutte contre le changement climatique ne sont assortis d’aucune mesure réellement contraignante, à l’image des 20 milliards d’euros accordés sans contrepartie coercitive aux grandes entreprises françaises les plus polluantes, on serait presque tenté de croire que le Covid a fait office d’aubaine mortifère. Un allié de circonstances certes coûteux, mais dont les conséquences ont permis de légitimer l’assouplissement des règles balbutiantes de contraintes environnementales aux yeux du patronat et de l’État. De nouveaux décrets fleurissent chaque jour, visant à alléger les démarches administratives et à réduire les délais de procédure. Comme, par exemple, pour revenir sur les distances minimum d’épandage entre périmètre des maisons et terres agricoles. Ou encore pour lancer la construction d’une nouvelle centrale au fioul de 120 MW en Guyane, dispendieuse en argent public et fortement émissive en gaz à effet de serre (plus de 200 000 tonnes de CO2 par an).
Dans une récente tribune, Philippe Torreton juge la passivité du gouvernement « incompréhensible, hallucinante, en dehors de toute intelligence humaine. » C’est oublier le logiciel qui a formatés et élevés nos dirigeants aux postes qu’ils occupent. Sans cesse tiraillés entre calculs électoralistes, gestion des revendications disparates de la plèbe et satisfaction plus ou moins assumée des intérêts des lobbys. Comment prendre la mesure de la gravité systémique à laquelle notre nation, et toutes les autres nations du monde, se trouvent confrontées face à la crise climatique, tant que personne n’aura le cran d’appuyer sur le bouton reset ?
Toutes les tribunes, tous les coups de gueule, toutes les manifestations n’y changeront rien. Tant il est vrai qu’on ne fait pas le deuil d’un monde d’un simple claquement de doigts. Ce « merveilleux » monde dans lequel nous sommes nés et que les États, dans des tentatives brouillonnes, immatures et parfois désespérées, tentent de maintenir à flot. Un monde que nous pensions maîtrisé, éternel, mais qui portait en lui, dès le début, les germes de sa propre fin. Ce monde anthropocentré de la civilisation thermo-industrielle dont l’épuisement inéluctable des ressources va nous obliger de gré ou de force à revoir nos modèles de société.
Le 20 février dernier, en pleine crise sanitaire, 1000 scientifiques appelaient le monde à une désobéissance civile sur le climat. Notre dernière chance pour tout changer. Au péril de nos emplois, de nos familles, de nos vies peut-être. Mais c’est bien là où nous en sommes :
s’occuper du problème avant que le problème s’occupe de nous.
Guilhem Méric est Auteur & scénariste
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