Quels sacrifices va-t-on devoir faire pour relancer l’économie française ?
INTERVIEW : "Ne pas prendre de vacances pour relancer l’activité" proposition choc ou réalisme de Marc Ivaldi, professeur à la Toulouse School of Economics.
La France va connaitre en 2020 la plus forte récession économique jamais enregistrée. La dernière grande crise date de 1945 suite à une guerre mondiale. Ce choc n’est pas causé par l’économie ou le comportement individuel des entreprises, aucun patron n’a fait d’erreur de gestion qui ont mené à cette crise sanitaire. C’est pour cela qu’il est si important de préserver l’entreprise et l’emploi.
L'économiste s’appuie sur la division du travail d’Adam Smith : il faut beaucoup de mains pour produire une aiguille ; ce qui est paradoxal c’est qu’aujourd’hui il y a beaucoup de mains mais on ne produit plus d’aiguille. Quand l’économie et la société ne peuvent plus fonctionner de pair, on ne peut pas faire preuve de la même solidarité, c’est cela qui génère des distorsions. La perte de la division du travail met en évidence les inégalités, cela va laisser beaucoup de personne sur la touche car l’Etat ne pourra pas avoir la réponse à tout. La citation de JFK prend alors tout son sens « Ne demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, demande ce que tu peux faire pour ton pays ».
La réponse de l’Etat et de l’Union Européenne à la violence de la crise au travers de plans d’une ampleur exceptionnelle devra être accompagnée d’efforts de la part des français.
« Nous devrons renoncer, temporairement, à nombre d’avantages afin de sauver le système »
Dans le court terme la planche à billet est mise en marche avec tous les désavantages que cela peut entrainer : il va bien falloir se poser la question de qui paie l’addition à la fin. Des mesures court terme ont été prises afin de préserver les entreprises et l’emploi au risque de générer parfois des abus du fait de la situation providentielle. Il a été ainsi observé des dérives dans l’usage du chômage partiel avec des pressions des entreprises pour faire réaliser du travail à domicile alors qu’officiellement leurs collaborateurs sont en chômage partiel.
« La relance économique aura un coût et il va falloir faire bien attention à ce que les mesures n’aient pas l’effet inverse à générer des effets d’aubaine »
France-Soir : Quelles mesures pourraient on envisager en France ?
MI : La France est un pays avec des acquis sociaux importants que nous serons vigilants à préserver. La tendance naturelle des français est de se tourner vers l’Etat dans ces moments-là. Certaines mesures seront plus impopulaires que d’autres sans aucun doute mais on doit la vérité aux français :
- Augmenter les impôts ou augmenter la CSG est une possibilité mais vu la baisse des revenus qui va découler de la crise, ce n’est pas recommandable ;
- Inciter les français à emprunter (ECG Emprunt Covid National) et avoir la dette détenue par les français ou mettre en place une CGG (Contribution Covid Générale) pour résorber les effets de la crise sanitaire, apparemment les spécialistes de ces questions sont assez hésitants ;
- Faire varier la TVA, dans les restaurants, cela n’avait pas eu d’effet sur l’emploi car la baisse de la TVA avait été vite intégrée dans les coûts et ce fut donc un effet d’aubaine pour les restaurateurs ;
- Interdire les dividendes, une mesure populiste mais peu efficace car c’est enlever des incitations sans certitudes que cela revienne aux salariés, en plus du fait que les dividendes risquent pour beaucoup d’entreprises sans chiffres d’affaires d’être réduits à la portion congrue ;
- Taxation du capital ou Remettre en place l’ISF : Le marché s’est chargé de cette taxe puisque les actionnaires ont perdu près de 40% de leur capital et cela n’est probablement pas fini. Le virus a été jusqu’à présent plus efficace sur la taxation des riches que l’ISF durant son existence ;
- Baisse de salaires et encadrement des salaires, possible mais à condition que cela se discute dans l’entreprise, pas comme une mesure venant d’en haut, mais à éviter si possible ;
- Abandonner les congés, une mesure qui permet d’éviter les effets d’aubaine. Aujourd’hui PSA et Renault vont redémarrer sur la base d'un accord avec les syndicats (sauf CGT ...) : maintien des salaires mais réduction des jours de congés payés.
L’économiste Ivaldi a fait cette proposition : renoncer aux vacances d’été pour relancer la machine économique. Au risque d’en devenir impopulaire sur les réseaux sociaux, mais une fois expliqué cela prend tout son sens.
FS : D’où viennent les congés payés ?
MI : Les congés payés, dont l’idée naquit en 1920 et mise en place en Juin 1936 est une législation sociale liée à l'avènement du Front Populaire à laquelle les français sont très attachés. Un dogme peut être aussi important que la liberté d’expression.
FS : Quel est l’objectif de votre proposition ?
MI : Abandonner les congés payés (tout ou partie), une concession temporaire afin de préserver dans le moyen terme les acquis sociaux et permettre de relancer l’économie par la production. En redonnant du temps à son entreprise, cela permettra d’augmenter la production entrainant du coup la création économique pour l’entreprise, ce qui permettra de réduire les risques de chômage donc d’assurer les revenus qui permettront de partir en vacances, peut-être un peu plus tard que prévu.
FS : Pourquoi toucher à un symbole ? MI : Trois raisons principales :
- On ne sait pas combien de temps va durer le confinement ni le déconfinement donc la période des vacances d’été sera très certainement compromise. Il est à ce jour très incertain pour les salariés confinés de prévoir ce que seront leurs vacances.
- D’un point de vue de l’égalité sociale : Les congés sont acquis au fur et à mesure et en contre partie de la production. Si la réduction de la production est de 40% en 2020, il serait logique que les droits associés le soient d’autant. Cela permet de trouver une base d’égalité, les entreprises ont moins produit en 2020, l’Etat touchera moins d’impôts, le salarié pourrait avoir moins de vacances.
- Enfin le choc nécessaire à la relance de l’économie va arriver : Nous sommes aujourd’hui dans un plan d’urgence et de gestion de la crise. Il va bien falloir se remettre au travail. Pour recréer de la production rapidement, nous devons diminuer son coût au maximum. Réduire les congés c’est contribuer à la relance économique au même titre que la journée de solidarité dont l’impact est très positif.
« Renoncer à une partie de nos droits aux vacances, c’est faire preuve de solidarité »
FS : Faudrait-il renoncer à toutes ses vacances ? MI :
- Les français ne pourront pas prendre toutes leurs vacances. Ce serait donc une contribution importante en contrepartie de l’effort fait par l’Etat et les entreprises.
- Le calcul reste à faire, mais en fonction du coût de la crise on pourra vite calculer le nombre de jours pour contribuer au financement.
- De toute manière étant donné la crise sanitaire, les risques ne vont pas partir du jour au lendemain, on ne verra probablement pas de bals du 14 juillet en 2020. Il sera difficile de rouvrir les restaurants tout en préservant une distanciation sociale d’un mètre. Les festivals, habituel en été, risquent d’être annulés.
FS : Et le tourisme ?
MI : En temps de crise, le revenu national va baisser. Le premier poste que l’on sabre dans ces cas-là c’est les vacances. Le tourisme et le transport, notamment aérien, seront donc fortement impactés. La reprise de ce secteur sera lente et longue. Même si les français restent au pays, cela demandera un énorme effort à l’Etat pour préserver ce secteur. Abandonner ses vacances, c’est paradoxalement une contribution sociale exceptionnelle aux secteurs les plus en difficultés, en en particulier le tourisme, en évitant les effets d’aubaine que l’on a vu naitre après la crise de 2008.
L’analyse de France Soir
D’après les études du gouvernement sur la réduction des jours fériés au mois de Mai, un jour férié en moins pourrait rapporter 3.2 milliards d’euros. L’Insee a estimé qu'un jour férié représente 0,06% de PIB.
Sur la base d’observations datant de 2016, où trois jours fériés tombaient un dimanche, la croissance avait été dopée de 0,11%. De plus d’après l’OFCE, en période de conjoncture morose, s'arrêter de travailler une journée serait moins pénalisant qu’en période de reprise ou d’activité intense. Le corollaire serait donc que travailler, un jour de plus en période de relance, aurait une contribution positive.
En 14 ans, la journée de solidarité a rapporté 31 milliards dont 2,9 milliards en 2019. L’étude Ranstad sur 2019, calculait que 1/3 des français salariés étaient au travail. Muriel Penicaud a annoncé cette semaine le coût du chômage partiel à 44 milliards d’euro. Les chiffres sont donc disponibles pour estimer l’impact de cette proposition.
Pour peu que 100% des salariés renoncent à un jour de congés, cela représenterait 9 milliards d’euros sur la base des chiffres de 2019. Pour couvrir le coût de la mesure de chômage partiel estimé à 44 milliards, il faudrait donc que chaque salarié abandonne 5 jours de congés payés. Avec une incitation de l’état en réduction de charges sociales (patronales et salariales). Une telle mesure mise en place sur deux ans pourrait ramener 90 milliards.
5 jours, de congés payés abandonnés, payerait une grosse partie des mesures.
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