Twitter Files, partie 15 : le RussiaGate, une “escroquerie” alimentée par du “MacCarthysme numérique”

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France-Soir
Publié le 25 mars 2023 - 13:30
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AFP/Archives - Constanza HEVIA
Twitter Files, partie 15.
AFP/Archives - Constanza HEVIA

TWITTER FILES - Dans la 15eme partie des Twitter Files, le journaliste Matt Taibbi poursuit ses révélations sur le RussiaGate (1). Il décrit la “fraude médiatique” issue de la “Hamilton 68 Dashboard”, une plateforme d’analyse de données selon laquelle des “bots russes” (2) auraient été derrière des campagnes d’influence aux États-Unis, après l’élection de Donald Trump en 2016. Une “escroquerie” de taille à laquelle ont été confrontés les employés de Twitter, d'après les conversations internes dévoilées dans un nouveau fil ("thread") de discussion. 

(1) RussiaGate : Le suffixe -gate est fréquemment ajouté à un nom afin de créer un néologisme. Celui-ci caractérise une affaire, un scandale ou des mensonges, qu'ils soient réels ou non, généralement présentés comme cachés par une autorité gouvernementale. Le Watergate, un scandale avéré de mise sur écoute ordonné par la Maison-Blanche aux États-Unis, en est l'exemple le plus célèbre. Quant au Russiagate, il s'agit d'une affaire politico-judiciaire américaine basée sur des soupçons de collusion entre la Russie et des membres de la campagne présidentielle de Donald Trump, en 2016. Cependant, aucune preuve n'a confirmé les éléments présumés, pourtant abondamment relayés dans les médias.

(2) Bots russes : Faux comptes qui auraient été chargés de diffuser automatiquement des messages de propagande sur les réseaux sociaux pour le compte de la Russie.

Dans la précédente partie des Twitter Files, Matt Taibbi a montré comment des élus démocrates ont propagé de fausses informations à propos du "hashtag" (mot-clef cliquable qui aide au référencement, souvent précédé d'un #dièse, ndlr) "#ReleaseTheMemo" (“Diffusez la note“), qui exigeait la publication d'informations potentiellement compromettantes pour le Federal Bureau Investigation (FBI).  

Ces élus, les sénateurs Dianne Feinstein et Richard Blumenthal ainsi que d’Adam Schiff, un représentant à la Chambre basse des États-Unis, ont affirmé que des “bots russes” avaient amplifié la popularité du hashtag, au moment où Donald Trump et son équipe faisaient l’objet d’une enquête sur une éventuelle collusion avec la Russie.

Avertis par les employés de Twitter que le hashtag n’était aucunement alimenté par quelque opération russe, les représentants démocrates ont pourtant ignoré les faits et continué d'attaquer, dans des lettres publiques, la note secrète du républicain Devin Nunes.  

Cette note détaillait les abus commis par le FBI (dont un défaut de neutralité) pour obtenir un mandat FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act) contre Trump et son entourage, sur la base du "dossier Steele". 

La source que ces élus ont privilégiée au détriment des investigations de l’oiseau bleu est la Hamilton 68 Dashboard. Cette plateforme d’analyse et de monitoring (surveillance) de données a été créée par un ex-employé du FBI, Clint Watts, sous l’égide du think-tank (laboratoire d'idées) Alliance for Securing Democracy (ASD).

Les conclusions de cette plateforme sur l’existence de prétendus bots russes ont largement servi de source à des centaines de médias mainstreams. Toutefois, elles ont été reçues avec scepticisme chez des cadres de Twitter, qui s’interrogeaient sur la méthodologie ayant mené à ces résultats.  

Hamilton 68, ou le “MacCarthysme numérique” 

“Pendant des années, les médias ont cité Clint Watts et Hamilton 68 pour affirmer que ces robots intensifiaient leurs opérations sur les réseaux sociaux”, explique Matt Taibbi. La plateforme a également été citée comme source lorsque la Russie a été accusée, maintes fois, d’être à l’origine de divers hashtags sur le réseau social. 

Le journaliste Matt Taibbi dévoile “l’ingrédient secret” qui a mené aux conclusions de cette dashboard. Il s’agissait d’une liste de 600 comptes prétendument liés à des activités d’influence russe, jamais diffusée au grand public sous prétexte que “les Russes les désactiveraient”.

“Tous ces journalistes et ces personnalités parlaient de bots russes sans réellement savoir ce qu’ils décrivaient”, Matt Taibbi. 

Chez Twitter, on était en mesure de vérifier ces comptes. “Ils l’ont fait et ce qu’ils ont découvert les as choqués”. “Je pense que nous devons juste dénoncer ces co***ries (...) des comptes légitimes de droite sont accusés à tort d’être des robots russes”, lit-on dans un email de Yoel Roth, ex-responsable de l’équipe de modération, avant son licenciement par Elon Musk.

Il informe ses collègues que “ces comptes ne sont ni russes, ni des bots”. La liste contenait surtout des comptes d’Américains, de Canadiens ou de Britanniques lambda. Les quelques traces de présence russe étaient notamment des comptes du média Russia Today (RT).  

Une “escroquerie” qui a confronté Twitter et ses employés à un “sérieux problème d’éthique”, notamment vis-à-vis des médias dont les articles reprenaient les théories de Hamilton 68, et des internautes “unilatéralement étiquetés comme des larbins russes”.

Des dirigeants du réseau social ont même envisagé la possibilité, non suivie d'effet, de mettre en demeure Hamilton 68 de diffuser leur liste. “Nous devons être prudents sur la manière de faire pression sur l’ASD publiquement”, avertit toutefois Emily Horne, une des responsables en chef de la communication de Twitter avant de devenir porte-parole du Conseil américain de sécurité nationale (NSC). 

Twitter a également pris contact avec les deux sénateurs Dianne Feinstein et Richard Blumenthal, ainsi qu'avec le représentant Adam Schiff, et avec plusieurs journalistes. “C’est comme crier dans le vide (...) ils s'agacent”, rapporte Emily Horne à ses collègues.  

Les internautes figurant dans la liste n’ont finalement pas été informés par l’oiseau bleu. C’est la diffusion des Twitter Files qui leur a permis de découvrir qu’ils y figuraient.  

L'un d'entre eux qualifie même la Hamilton 68 dashboard de “McCarthyisme numérique”, en référence aux années 1950, marquées aux États-Unis par une peur généralisée du communisme. “Chasse aux communistes” qui donna lieu à des poursuites et enquêtes policières et judiciaires, encouragées par le sénateur Joseph McCarthy qui affirmait détenir une liste de plus de 200 noms supposés avoir la mainmise sur les principales institutions du pays.  

Le RussiaGate, un “mensonge” 

Le journaliste souligne dans son fil de discussion que l’importance de ces révélations réside dans “l'empreinte médiatique” générée par cette “dashboard”. “Hamilton 68 a servi de source pour évoquer l’influence de la Russie dans un nombre étonnant de reportages(...). Ces histoires ont suscité des craintes chez la population et, ce qui est plus insidieux, ont été manipulées pour dénigrer” des Américains ordinaires ou même des personnalités politiques de droite “dans le but de susciter l’adhésion à des opérations politiques comme la campagne de Joe Biden”, écrit-il.

Le RussiaGate était “un mensonge”. “L’illusion que la Russie soutenait Trump a été créée en traquant des gens ordinaires”, dénonce Matt Taibbi. Les médias et la sphère politique ne furent pas les seuls concernés par ce scandale. Des universités américaines de renom ont présenté Hamilton 68 comme une source autorisée. 

Les médias et l’ADS ont refusé de répondre aux questions de Matt Taibbi, tout comme Feinstein, Blumenthal et Schiff avant eux.

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