Recul de la fronde policière, malgré le maintien en détention provisoire de leur collègue, mais les hiérarchies commencent à être pointées du doigt

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Laurence Beneux, France-Soir
Publié le 04 août 2023 - 16:34
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Beauvau
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LUDOVIC MARIN / AFP
Beauvau, ministère de la Police, avril 2020.
LUDOVIC MARIN / AFP

POLICE - "Ils ont merdé ! Ça m’arrache la gueule de le dire, mais les vidéos sont accablantes !". Les révélations faites lors de l’audience qui s’est tenue hier, jeudi 3 août, devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence afin de décider de la remise en liberté ou du maintien en détention provisoire d’un des quatre policiers accusés d’avoir gravement blessé le jeune Hedi, durant la période des émeutes du mois de juillet, semblent avoir calmé la virulence du mouvement de protestation dans la police.  

Mais si nombre de policiers se montrent plus prudents dans la défense de leurs collègues, ils n’entendent pas pour autant abandonner leurs revendications de fond. Et surtout, les forces de l’ordre sur le terrain montrent une lassitude croissante à porter seuls le chapeau quand un drame survient. D’après nombre d’entre eux, les donneurs d’ordre s’en sortent toujours et les politiques françaises de maintien de l’ordre sont de plus en plus critiquées.  

La vague d’arrêts maladie qui secouait la profession dans le sud de la France marque une nette régression, et nombre de policiers expriment leur intention de retourner au travail. 

"Faut pas tout mélanger !"

D’ailleurs, l’appel à manifester hier soir, à Marseille, Paris et Lille, après la décision du maintien en détention du policier de la BAC a été extrêmement peu suivi. 

"Il faut savoir s’arrêter, les Français ont besoin de leur police, explique un policier, et puis certains collègues minoritaires exagèrent et disent un peu n’importe quoi. Ils insultent les magistrats alors qu’il faut laisser faire la justice". 

L’opinion montante est qu’il ne "faut pas tout mélanger !". À tout point de vue…  

L’apparence d’une culpabilité ne doit pas faire oublier la présomption d’innocence, dont chaque justiciable doit pouvoir bénéficier, sauf cas précis prévus par la loi. L’argument qu’un policier ne doit pas être un "sous citoyen" demeure prégnant, et les exemples de délinquants, voire de criminels condamnés, laissés en liberté faute de places dans les prisons, ou parce que bénéficiant d’une certaine indulgence, revient souvent.  

Par ailleurs, un policier usant d’une arme dans le cadre de sa mission ne doit pas être considéré de la même manière qu’un individu armé dans le but de commettre un crime crapuleux. 

Tous ces arguments, et les revendications policières, notamment la protection fonctionnelle, sont développés, au micro de nos confrères de RTL par Linda Kebbab, déléguée nationale du syndicat Unité SGP Police et qui se dit choquée du maintien en détention de son collègue. 

Si les mises arrêts-maladies semblent vouées à revenir à un niveau normal, les syndicats ne se prononcent pas sur un éventuel appel à cesser la grève du zèle à travers l’application du "code 562" qui consiste à n’intervenir qu’en cas de situation grave et de danger imminent. 

Les promesses du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin n’ont pas suffi à calmer les inquiétudes : les policiers attendent des mesures concrètes.

L’ampleur de la fronde doit "servir de leçon" nous explique un policier, "il n’est pas question de revenir à la situation d’avant comme si rien ne s’était passé".

Ras-le-bol 

Ce qui est nouveau, par contre, c’est un ras-le-bol clairement formulé que les responsabilités ne soient presque jamais partagées avec les hautes hiérarchies "commissaires centraux dirigeant les opérations de maintien de l’ordre et les préfets" eux-mêmes soumis aux directives du ministère. 

Durant les émeutes, les ordres circulant sur les ondes étaient "d’arrêter à tout prix les exactions et ne pas faire de prisonnier", nous explique-t-on. Or "en jargon policier, nous dit-on encore, cela signifie qu’il faut casser la gueule des fauteurs de troubles plutôt que de les arrêter. Les laisser sur le carreau plutôt que de les laisser continuer". 

Alors, que les plus hautes autorités soient intervenues pour protester contre la mise en détention provisoire de leurs collègues semble la moindre des choses, mais surtout, les policiers aimeraient bien que les ordres donnés entrent dans la balance au moment des sanctions, et que les exécutants ne soient pas les seuls à être montrés du doigt et… à être jugés. 

Concernant le "maintien de l’ordre à Marseille, ça a été le grand bordel", nous dit-on sans ambages. "Même le RAID et la BRI ont été sollicités, alors qu’ils ne sont pas spécialisés pour ce genre d’opérations. On a mis des LBD dans les mains de tout le monde, et c’était littéralement le ball-trap ! On sait pourtant bien que quand on ordonne de foncer à des flics épuisés, qui se sont fait insulter et cracher dessus pendant des heures, qui ont essuyé des tirs de mortier, ils vont manquer de mesure et frapper aveuglément ! Parce que ce sont des êtres humains !" 

Des bruits courent qu’il pourrait y avoir eu d’autres victimes civiles, et que de nouvelles mises en garde à vue de policiers pourraient survenir, mais des policiers souhaitent que la chaine des responsabilités soit remontée. Ils déplorent aussi que les victimes chez les forces de l’ordre sont vite oubliées ! 

"Responsables mais pas coupables"

Par ailleurs, on nous a fait remarquer que, si on parle beaucoup de l’usage des LBD, on ne parle pas de l’arme elle-même. "Or, nous explique un policier, le flash-ball que j’utilisais il y a 15 ou 20 ans n’est pas du tout la même arme que les LBD d’aujourd’hui. Il avait moins de force et pas de viseur. Un ancien flash-ball n’aurait pas éborgné quelqu’un ou défoncé un crâne. L’effet était l’équivalent d’un bon coup de poing, mais c’est tout". 

Alors, nous dit-on encore, "pourquoi laisse-t-on une telle arme entre les mains de fonctionnaires si elle est inadaptée aux circonstances ?". 

Par ailleurs, la formation et la doctrine française de maintien de l’ordre sont critiquées. Si, pour nombre de policiers, les quatre membres de la BAC semblent avoir dérapé, il est pointé du doigt que le policier ayant tué Nahel à Nanterre a suivi le protocole enseigné en école de police, et que la seule initiative prise par le fonctionnaire a été la décision fatale de tirer après n’avoir eu qu’une seconde pour évaluer la situation. 

Ce type de situations est d’ailleurs à l’origine de la revendication policière que soit créé un pôle de magistrats spécialisés, formés à l’évaluation de ce genre de situations. Une demande qui n’est pas nouvelle, puisqu’en avril 2022, France-Soir publiait déjà un reportage sur un stage organisé par  le syndicat "France Police - Policiers en colère", visant à faire prendre conscience de l’extrême rapidité des attaques auxquelles les forces de l’ordre peuvent être confrontées, et du peu de temps dont ils disposent pour prendre la bonne décision. 

Si les policiers de terrain s’accordent à dire qu'il faut que les dérives soient punies quand elles surviennent, ils semblent par contre fatigués que ce soient toujours les mêmes qui soient désignés comme coupables et toujours les mêmes qui soient "responsables mais pas coupables".

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