Chronique estivale - Ces étonnantes anecdotes de l'histoire de notre justice - Épisode 9 : Pittoresque justice !

Auteur(s)
Laurence Beneux, France-Soir
Publié le 15 septembre 2023 - 18:45
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justice anecdote
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ARA, pour France-Soir
Ultime épisode de la chronique estivale "Ces étonnantes anecdotes de l'histoire de notre justice" !
ARA, pour France-Soir

CHRONIQUE - Avec la fin de l’été, arrive la fin de cette chronique estivale. Pour ce dernier épisode, je n’ai pas choisi de thème particulier mais vous propose un petit florilège d’histoires surprenantes, amusantes ou édifiantes. On en voit des vertes et des pas mûres dans les tribunaux… Il s’y côtoie le meilleur comme le pire, tant du côté des justiciables que du côté des représentants de l’institution, et ce, de tout temps ! 

PARIS - 1423 - MANQUE DE MOYENS DE LA JUSTICE 

La justice manque de moyens. On le déplore à longueur de journaux. On sait peut-être moins que le problème est vieux de plusieurs siècles ! C’était mieux avant ? Pas vraiment ! Magistrats et greffiers contemporains trouveront peut-être un motif de consolation dans cette anecdote qui montre que l’institution judiciaire a connu pire ! 

À la fin du règne de Charles VI, la Cour de justice du Parlement de Paris manque tellement de moyens, que, le 23 novembre 1423, le greffier doit renoncer à rédiger un mémorial rapportant les honneurs rendus au roi lors de son entrée. Il se contente d’expliquer brièvement qu’il manque de parchemin et que le Parlement n’a pas les moyens d’en acheter. 

Faut-il ajouter que les honoraires des conseillers du Parlement sont, à cette époque, régulièrement impayés ? 

BLOIS - 1577 - INDÉPENDANCE DE LA JUSTICE 

La justice sait imposer la nécessité de son indépendance pour peu qu’un de ses représentants soit habité par les obligations imposées par sa fonction. Un président de cour du Parlement de Paris, le sieur Hémart, en fait la démonstration éclatante en 1577, aux États généraux de Blois, réunis par le roi Henri III pour régler les problèmes budgétaires causés par la récente guerre de religion contre les protestants. S’opposer au désir du roi demande du courage, surtout lorsque l’on sait que les cours du Parlement incarnent la justice du souverain, qui peut venir présider l’institution et influencer grandement la carrière des magistrats. Nombre d’entre eux seront d’ailleurs emprisonnés sous la fronde.

Le chancelier de Bellièvre demande, au nom du roi, le droit de vendre une partie du domaine de la couronne, au président Hémart. Celui-ci répond que les souverains de France ne jouissent que de l’usufruit du domaine de la couronne mais que "la propriété en appartient à tout le corps de la Nation". Le roi ne peut donc revendiquer le droit de l’aliéner. Cette loi est "la base et le soutien du trône", oppose encore le magistrat au chancelier. "Sacrée et inviolable", elle ne souffre aucune exception, "pas même dans les besoins les plus pressants"

CHAMBERY - 1625 - UN MAGISTRAT ADULÉ 

Les magistrats à l’intégrité exceptionnelle s’attirent la reconnaissance des justiciables qui ne s’y trompent pas. Cependant, un magistrat brillant et humain au point que sa perte soit pleurée bien au-delà de sa circonscription, mérite d’être remarqué. Surtout que les moyens de communication du XVIIe siècle ne sont pas ceux d’aujourd’hui ! Antoine Favre, né le 14 octobre 1557 à Bourg en Bresse, a atteint le grade de premier président du Conseil de Chambéry quand il meurt, le 1er mars 1625.  

Barnabé Warée décrit ainsi le retentissement qu’a ce décès : "La désolation fut générale. La mort d’un seul homme fut regardée comme une perte publique. Tous les artisans de la ville fermèrent leurs boutiques de leur propre mouvement ; la consternation fut extrême dans le Sénat et dans toutes les provinces en deçà des monts ; un triste silence régna dans la Savoie, et surtout à Chambéry ; chacun croyait avoir perdu son père, et il fut également regretté des grands et du peuple… quel éloge ! Et qu’il est beau de le mériter !". 

PARIS - XVIIe SIÈCLE - EXÉCUTION DE… TABLEAUX 

L’article 16 du titre 17 de l’ordonnance criminelle du 26 août 1670 encadre une pratique ancienne : l’exécution par effigie. En cas de condamnation par contumace, c’est-à-dire en l’absence du coupable en fuite, on exécutait publiquement… son tableau, ou éventuellement sa statue. Il est important que le peuple soit bien conscient que la justice du Prince passe quoi qu’il advienne !

Et que ce n’est pas une fuite qui va la mettre en échec. Reste que dans de nombreux cas, des criminels préfèrent que la puissance souveraine s’exprime sur leur image plutôt que sur leur personne…  L’ordonnance criminelle de 1670 précise un fait important : seules les condamnations "de mort naturelle" peuvent être exécutées par effigie, les autres peines, telles les galères, les amendes honorables, le bannissement perpétuel ou le fouet, étant simplement écrites sur un tableau qui est ensuite exhibé sur la place publique. 

Au XVIIIe siècle, le procureur Jean-Baptiste Denisart explique, dans le tome 2 de sa  Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle, la procédure pour une exécution par effigie. 

Après que la condamnation a été prononcée, le tableau de la personne doit être écroué. Le bourreau se rend alors à la prison avec tout le matériel nécessaire à l’accomplissement de sa tâche, et accompagné de l’escorte qui doit accompagner et conduire le criminel. Puis le tableau est dûment transporté sur le lieu du supplice "de la même manière que le criminel l’aurait été et avec toute l’ignominie du supplice". L’œuvre subit alors l’exécution, en général le gibet.  

La prescription d’un crime ayant donné lieu à une exécution par effigie est de trente ans, alors qu’elle n’est que de vingt ans si la sentence est simplement prononcée mais la peine non exécutée. 

PARIS - 1657 - UN MAGISTRAT ÉCONOME 

Si l’institution judiciaire souffre d’un manque endémique de moyens, ce n’est certes pas la faute du juge Champ-Rond, président de la seconde Chambre des Enquêtes au Parlement de Paris. Ce 2 septembre 1637, il prend connaissance d’un appel de condamnation à mort qui va prochainement être examiné. Il ne fait pour lui aucun doute que l’appelant va être débouté, et il s’empresse d’écrire à son bailli pour déplorer que l’homme n’ait pas été condamné au fouet.

En effet, dans cette hypothèse, la décision aurait été à coup sûr cassée pour être transformée en condamnation à mort, et la procédure aurait alors voulu que le criminel soit exécuté place de Grève. Alors qu’avec cette condamnation à mort prononcée dès le premier jugement, le condamné, doit être pendu sur le territoire du domicile du président, près de Chartres.

Et le transport d’un prisonnier, ce n’est pas gratuit ! Le magistrat prie donc son bailli de prendre toutes mesures utiles pour réduire les frais générés par cette exécution. "(…) je vous fais ce mot pour avertir que j’ai vu un vieil arbre, sur son retour, près du cimetière de l’église, et que je désire que vous fassiez émonder et abattre, et d’icelui arbre faire une potence pour faire exécution d’icelui criminel, et faire serrer les émondures d’icelui arbre, et les copeaux d’icelle potence sous le hangar de ma basse-cour (…). Il faut ménager auprès de l’exécuteur de Chartres, que vous verrez de ma part, et ferez marché avec lui au plus juste prix que vous pourrez. Il me semble que j’ai vu chez vous, à mon avis, quelque corde et une échelle qui peuvent lui servir. (…)". 

Quelques temps plus tard, la sanction de mort est effectivement confirmée, et le sens de l’économie du président Champ-rond va valoir quelques jours de vie supplémentaires au condamné. En effet, pour limiter encore les frais, le juge décide d’emmener lui-même le criminel à la potence, dans son carrosse. Pour ce faire, le magistrat fait surseoir à l’exécution jusqu’à son retour à Chartres. 

ANGOULÊME - 18e SIÈCLE - UN MORT QUI S’EN SORT BIEN ! 

Il n’a pas échappé à de nombreux criminels qu’une exécution par effigie présente un grand avantage sur l’exécution de la personne : elle est beaucoup moins définitive ! C’est particulièrement vrai en ce qui concerne le meurtrier Jean Thenet, qui connaîtra une fin de vie heureuse malgré sa condamnation. Ce militaire, fils de médecin, a assassiné le seigneur de Nesmond de Brie qui a refusé de supprimer les droits féodaux pesant sur une propriété de son père. Le 10 décembre 1711, il est donc condamné à "être pendu et étranglé par l’exécuteur de la haute justice à une potence qui, pour cet effet, sera dressée à la place publique". Mais comme Jean Thenet a préféré prendre la fuite, la sentence doit être "exécutée par effigie à un tableau qui sera attaché par l’exécuteur à ladite potence". 

Il en est ainsi fait le 16 janvier 1712.  

Il faut préciser qu’une mort par effigie a pour conséquence la "mort civile". C’est à dire que le condamné réputé mort perd son existence civile. Par exemple, s’il est marié, le mariage est dissous. Pourtant, suite à l’obtention probable de lettres de rémission, et malgré une autre condamnation pour le viol de la fille d’un métayer, Jean Thenet accède au rang de bourgeois de la ville d’Angoulême en 1740 suite au partage de la succession de ses parents. 

PARIS - 1784 - UN CONDAMNÉ BEAU JOUEUR 

Des condamnés reconnaissants d’avoir perdu en justice ne sont pas pléthore. Ceux nourrissant une rancune vis-à-vis de leurs juges, alors même que la condamnation était parfaitement méritée, sont beaucoup plus nombreux ! 

Le condamné dont il va être question avait tous les moyens de faire payer à ses juges une juste sanction judiciaire ! Et pourtant… 

Louis XVIII, alors qu’il n’est encore que comte de Provence, est partie dans un procès ayant trait à l’ordre de Saint-Lazare dont il était le Grand Maître. Le prince a fait porter à chaque juge du grand Conseil une lettre de recommandation en sa faveur. Les juges ont pourtant le courage de lui donner tort à l’unanimité.

Et contre toute attente, c’est un hommage rare que le futur Louis XVII rend à ses juges lors d’une audience qu’il leur accorde : "Messieurs, je connaissais votre justice, mais j’en suis bien plus convaincu aujourd’hui. Je vois clairement que vous avez beaucoup mieux entendu mon affaire que les conseils qui m’avaient persuadé qu’elle était excellente. Je vous remercie de votre justice et admire votre courage, qui vous a fait résister aux pressantes sollicitations d’un prince de sang". 

GRENOBLE - 1806 - EXÉCUTION FATALE… POUR LE BOURREAU 

Le 17 décembre 1806, le sieur Perret fut condamné à la guillotine et… ce fut le bourreau qui mourut ! 

En effet, le bourreau de Grenoble est malade le jour de l’exécution et c’est son aide qui doit le remplacer. Seulement son aide est novice, et a mal monté la guillotine qui s’enraye et s’arrête sur la nuque du condamné. Ce dernier, coupé sur le dessus du cou mais en vie, hurle et se débat pendant 20 terribles minutes tandis que le bourreau essaie en vain de décoincer la lame et s’acharne à essayer d’achever le pauvre Perret. L’horreur et l’indignation du public grandissent, et l’émeute menace ! 

Quand le bourreau commet l’erreur de descendre de l’échafaud pour chercher une corde, la foule ulcérée le renverse et le piétine, et on libère le condamné qui est emmené à l’hôpital pour y être soigné. Peu après, un autre blessé le rejoint, allongé sur le lit voisin du sien : son bourreau, lynché par la foule ! Et ce dernier ne survit pas à ses blessures ! 

Trois jours plus tard, Perret, lui, a récupéré. Et c’est alors que survient un deuxième fait, surprenant pour l’époque. Alors qu’il est de coutume qu’un condamné "épargné par la guillotine" ait la vie sauve, la justice décide quand même de retenter l’exécution de Perret ! Ce dernier paie sans doute son attitude déplaisante pendant son procès : il avait insulté magistrats et policiers. 

Toujours est-il que, contre tous les usages, Perret est reconduit devant la guillotine. Le bourreau "en titre" de Chambéry, que l’on a envoyé chercher, réussit à l’exécuter ! 

RHÔNE-ALPES - XIXe SIÈCLE - "J’AI L’HONNEUR DE VOUS DEMANDER LA MAIN DE VOTRE FILLE" 

Les magistrats siégeant à l’audience opposant Rouquet à Sébillon ont été les témoins d’une étonnante demande en mariage en plein procès. 

Rouquet est marchand de vin, et Sébillon est un ivrogne invétéré. Ces deux-là étaient donc faits pour se rencontrer, et ce, d’autant plus que Rouquet est amoureux de mademoiselle Sébillon, la fille de l’alcoolique. Et par amour, le marchand a enduré beaucoup de la part de celui qu’il espère voir un jour devenir son beau-père. Mais trop c’est trop. Sébillon lui coûte une fortune en alcool consommé mais jamais payé, et a la fâcheuse manie de lui lancer à la tête tout ce qui lui tombe sous la main, quand l’amoureux refuse de lui servir un verre, eu égard à l’état d’ébriété avancé du père de l’élue de son cœur. Alors quand l’ivrogne empoigne une barre de fer, servant à fermer le magasin, pour le frapper, Rouquet interpelle un policier qui passe par là. 

Le jour où les deux hommes se retrouvent face à face au tribunal, Rouquet raconte ses malheurs, et conclut que Sébillon ne va pas vouloir lui accorder la main de sa fille. Pourtant, contre toute attente, l’emporté père de sa promise l’interroge : "Le veux-tu ?". Rouquet saute sur l’occasion : "Père Sébillon, j’ai l’honneur de vous demander sa main". "Retire d’abord ta plainte" réplique alors son futur beau-père, sobre ce jour-là et ne manquant pas d’esprit d’à-propos. "Je la retire", s’empresse d’accepter l’amoureux Rouquet. Et le prétendant de se désister de sa plainte. Hélas, le ministère public ne l’entend pas de cette oreille, et refuse quant à lui de cesser les poursuites. Sébillon est donc condamné à six jours de prison. Les rigueurs judiciaires auront-elles été un obstacle à une grande histoire d’amour ? Non, car après le prononcé de sa condamnation, l’alcoolique bon prince, lance à son futur gendre "je te l’accorde tout de même !". 

RHÔNE-ALPES - 1897 - VICTIME DE BÊTISE ! 

Monsieur Latronchet, cafetier de son état, a déposé plainte pour escroquerie contre un saltimbanque venu boire un verre chez lui. Le commerçant explique sa déconfiture au tribunal. Le client venait de lui commander une bière quand une curieuse voix a exigé un morceau de veau ! "Qui parle ?", a demandé Monsieur Latronchet surpris. "C’est mon chien a répondu", a répondu le consommateur en sortant un petit caniche de sous son manteau. Le cafetier a exprimé son scepticisme, mais l’animal a réitéré sa demande devant lui ! Le cafetier fut alors convaincu ! Le président du tribunal l’interrompt pour s’étonner de sa crédulité, mais, argumente le plaignant, après tout le chien est un animal réputé pour son intelligence, on le dresse à plein de choses, alors pourquoi pas à parler ?! D’ailleurs, tout le monde y a cru sur le moment, même sa femme et ses enfants. Son épouse y a même tellement cru qu’elle a insisté pour qu’il achète le chien ! Monsieur Latronche et son client ont donc fait affaire, et le chien fut cédé pour 400 francs. Seulement voilà ! Une fois que son ancien maître fut parti, le chien ne sortit plus un mot ! Les amis du cafetier se moquèrent de lui et lui expliquèrent qu’il avait dû être victime d’un ventriloque. Une semaine plus tard, le hasard voulut que l’infortuné Latronche tombât sur son vendeur de chien, à la foire où l’homme exerçait comme saltimbanque. L’artiste des rues fut arrêté.  

Devant la cour, il s’explique à son tour. Il reconnait être ventriloque, mais affirme aussi qu’il ne voulait pas vendre l’animal dont il se servait dans ses numéros ! Il a commencé par refuser les deux cents francs que lui proposait monsieur Latronche. Seulement ce dernier a beaucoup insisté, et surenchéri à trois cents puis quatre cents francs. Le saltimbanque a fini par céder, en se disant qu’avec une somme pareille il pourrait toujours s’offrir un autre chien.  

Latronche confirme au président du tribunal qu’il a beaucoup insisté car sa femme lui avait dit qu’il pourrait rebaptiser son établissement "Le chien qui parle" et qu’à coup sûr, c’était la fortune assurée ! 

Le tribunal a donc jugé que le délit d’escroquerie était insuffisamment caractérisé et a relaxé le prévenu. 

RHÔNE-ALPES - 1900 - DÉLIT DE PÊCHEUR 

Nos magistrats ont à connaître de délits des plus inattendus ! Madame Lecoq ayant successivement perdu son chien puis son chat, a décidé de reporter son trop plein d’affection sur des poissons ! Elle s’en achète donc six, "des amours de poissons, explique-t-elle, qui la connaissaient déjà", et les met dans un grand bocal posé sur le rebord de sa fenêtre. Hélas, quand elle revient après avoir fait quelques courses, trois poissons ont disparu ! Elle en conclut que ces poissons sont des cannibales qui se sont mangés entre eux ! Le temps de descendre raconter son infortune à la concierge, et elle retrouve un aquarium vide ! "Les trois derniers poissons s’étaient dévorés ! Il n’en restait plus rien, pas même les arêtes", se lamente-t-elle devant la cour. Elle s’achète donc six autres poissons, qu’elle exige moins voraces. Le lendemain, quatre poissons disparaissent durant son absence. Heureusement, elle consulte une voyante grâce à qui la vérité va éclater ! "Je vois dans votre main que c’est un chat ou un voisin qui vous chipe vos poissons, révèle l’extralucide, surveillez et vous verrez". Quand madame Lecoq rentre chez elle, elle constate avec désolation la nouvelle disparition d’un poisson ! Il n’en reste plus qu’un ! Madame Lecoq se lance dans la surveillance du rescapé, et que voit-elle ? Une ligne et un hameçon qui tombent dans le bocal ! Monsieur Legris, retraité et voisin du dessus, pêchait les poissons de madame Lecoq ! Contrit, le vieil homme s’explique "Depuis que j’ai été mis à la retraite, la pêche est devenue mon unique passion ! Je suis un pêcheur enragé, et ce que je m’ennuyais chez moi à cette heure où la pêche est fermée ! Et voilà que madame met sur sa fenêtre comme pour me narguer, des poissons qui ne demandaient qu’à être ferrés ! Mettez-vous à ma place : est-ce que je pouvais résister à la tentation ?". Il aurait dû, estime le tribunal qui le condamne à cinquante francs d’amende et vingt francs de dommages et intérêts. 

LYON - 1901 - UN ACCUSÉ QUI NE MANQUE PAS DE CULOT ! 

Il est des prévenus qui ne reculent devant rien pour échapper aux rigueurs de la loi ! Leur mauvaise foi et leur aplomb forceraient presque l’admiration ! Etienne Hutin comparait devant le tribunal correctionnel pour répondre du délit de mendicité à l’aide d’infirmités simulées. Un sergent de ville l’ayant entendu demander la charité à des passants entreprend de l’arrêter pour l’emmener à la fourrière. L’officier a alors la surprise de voir l’homme doté d’une jambe de bois… détaler ! Le mendiant a en effet promptement pris ladite jambe de bois dans sa main, un pied en parfaite santé est ressorti de son pantalon, et le policier a eu les plus grandes difficultés à rattraper le fuyard ! 

Le président du tribunal, après avoir récapitulé les faits, s’entend expliquer par Hutin que le sergent s’est trompé dans son analyse de la situation ! Il ne demandait pas la charité, mais l’hôpital de la Charité ! "Comme qui dirait 'le chemin de la Charité'", prétend l’accusé. Et quand le président s’étonne qu’Hutin semble en parfaite santé, ce dernier affirme avoir été saisi, au moment des faits, d’une rage de dents qui l’avait contraint à chercher des soins (rage de dents qui, semble-t-il, s’est calmée spontanément après son arrestation !). 

Quant à la jambe de bois ? Un souvenir sentimental ! Etienne Hutin fut amoureux d’une jeune fille infirme, décédée depuis, et qui lui a légué son seul bien, sa jambe de bois ! La preuve ? Dans la jambe creuse, Hutin range des poèmes d’amour qu’il lui a écrits ! Il porte la prothèse en souvenir de la belle Eulalie, et pour économiser ses chaussures ! Car ainsi, il "n’en use qu’une à la fois", explique-t-il ! 

Ces convaincantes explications ne lui permettent pas d’échapper à une condamnation à trois mois de prison ! 

PARIS - 1964 - UN ACCUSÉ "PONTIFICAL"  

C’est une étonnante lettre que reçoit le président Krief de la douzième chambre correctionnelle de Paris en ce début d’année 1964. Un individu poursuivi pour escroquerie refuse de comparaitre en ces termes : "N’étant pas certain de votre impartialité, et d’ailleurs obligé par mes fonctions pontificales de négliger les choses temporelles, je ne pourrai déférer à votre convocation. Signé : Clément XV, Jésus, Marie Joseph, pape désigné par Dieu." 

Le magistrat a en effet convoqué Michel Colin, un ancien prêtre affirmant que "la Sainte Trinité l’a ordonné pape", une nuit de pleine lune, en 1950. Michel Colin est ainsi devenu Clément XV, pape de l’Institut des apôtres de l’amour infini. Il a été excommunié par l’Église catholique en 1963 quand, à la mort de Jean XXIII, il se déclara prêt à succéder au pape défunt. Michel Collin veut évangéliser les extra-terrestres en mettant en place un Vatican cosmique, et il enregistre sur bandes magnétiques des "voix célestes". En 1964, il est poursuivi par une de ses fidèles pour escroquerie : il lui a demandé un don de 30.000 nouveaux francs pour l’aider à poursuivre sa divine mission. 

Les obligations pontificales de Clément XV laissent de marbre le président Krief qui le condamne par défaut à 10 mois de prison.

En mai 1965, après avoir remboursé sa victime, le "souverain pontife" accepte de se présenter en personne devant la justice des hommes et sa peine est réduite à 6 mois avec sursis. 

STRASBOURG - 1984 - PEUT-ON PARLER ALSACIEN LORS D’UN CONTRÔLE ROUTIER ? 

L’amour de sa région et de son patois peuvent mener au tribunal ! Lors d’un contrôle de gendarmerie, Robert Joachim, militant du mouvement autonomiste "Elsass-Lothringen" (Alsace-Lorraine en français), refuse de parler autrement qu’en alsacien aux gendarmes. Ce qui lui vaut d’être poursuivi pour avoir sciemment refusé de "se soumettre à toutes vérifications prescrites concernant (…) la personne", comme l’article L 4 du code de la route l’y oblige. Deux députés européens d’origine flamande déposent alors au Parlement européen une proposition de résolution sur "le droit de s’exprimer dans sa langue maternelle lors des contrôles d’identité effectués par la police". Les deux parlementaires sont cités comme témoins par Robert Joachim. Il sera néanmoins inutile de les entendre : le ministère public revient en arrière et décide finalement d’abandonner les poursuites contre l’alsacien fervent ! 

LE HAVRE - 1989 - LE RÊVE "AMERICA"

Le mercredi 22 mars 1989, le tribunal correctionnel du Havre doit se pencher sur le cas d’un prévenu qui a reconnu deux hold-up. Jusque-là, rien que d’assez banal pour les juges, s’il n’y avait les motivations d’André, le prisonnier, qui parallèlement à ses soucis judiciaires a été mis sous traitement psychiatrique. 

L’objectif du braqueur était d’atterrir sur un porte avion américain faisant une escale technique dans le port du Havre, et il avait estimé que voler de l’argent "faciliterait les choses". 

Ses ennuis judiciaires commencent d’ailleurs à l’aéroport d’Octeville, où il exprime le désir de louer un avion. Quand il précise, avec le sourire, "un avion capable de se poser sur le porte-avions 'l’America' dans le port du Havre", l’employée éprouve le besoin d’appeler la police de l’air et des frontières… 

Interrogé, André explique tout : son rêve d’atterrir sur l’America, un but pas facile à atteindre, il faut bien le reconnaître, et sa conviction qu’un peu d’argent ne ferait sans doute pas de mal pour y parvenir ! 

VALENCE - 2005 - PETITES-ANNONCES : RECHERCHE COMPLICE POUR MEURTRE  

"Cherche homme costaud avec voiture, pour petits services d’une journée. Prix 500 euros". C’est l’annonce à laquelle répond un boulanger valentinois. Il appelle donc Micheline, une ancienne prostituée de 52 ans, et l’entend, avec stupéfaction, lui expliquer qu’il s’agit de l’aider à tuer la nouvelle femme de son ex-compagnon. En effet, Micheline n’est pas très costaud alors que sa future victime est plutôt replète. L’amoureuse délaissée estime donc avoir besoin d’un coup de main musclé pour capturer sa rivale, l’endormir avec de l’éther, puis pour faire disparaître le corps quand elle aura réglé son compte à son indésirable remplaçante ! Micheline précise bien qu’elle effectuera le meurtre elle-même. Elle n’a besoin que d’une aide logistique avant et après le crime.  

Ces précisions ne rassérènent pas le boulanger qui estime qu’il vaut mieux prévenir la police. On ne sait jamais… Par précaution, un agent appelle Micheline qui réitère son offre. Les policiers se rendent donc au domicile de l’ancienne prostituée, l’arrête, et découvre 500 euros en espèces, de l’éther, des gants en latex et un grand couteau. 

"Je suis jalouse", leur explique-t-elle. Et contre toute attente, un médecin généraliste puis un expert psychiatre la juge saine d’esprit, tout à fait consciente de ses actes. La candidate au meurtre fait donc l’objet d’une comparution directe au tribunal correctionnel de Valence pour "offre de commettre un crime". Elle risque 10 ans de prison. Le juge décide cependant d’accorder un délai à Micheline, pour préparer sa défense, et surtout, pour subir une nouvelle expertise psychiatrique ! 

NANTERRE - 2008 - TEMOIN CANIN ! 

Une femme est retrouvée pendue à son domicile, et suite à une plainte pour meurtre avec constitution de partie civile de sa famille, un juge d’instruction est nommé et deux personnes sont mises en examen. Seul témoin présent au moment du drame, le chien de la défunte, un dalmatien répondant au nom de Théo. 

En 2008, le juge d’instruction décide donc de se rendre sur les lieux du décès, avec un greffier, les deux suspects et… le témoin, Théo ! Deux vétérinaires spécialisés en comportement canin sont aussi du voyage. L’objectif de l’expédition : confronter le "témoin" aux deux suspects sur les lieux du crime potentiel ! 

Sur place, le chien est donc mis en présence des accusés. Il aboie devant l’un d’entre eux. Le greffier note. 

Hélas, cette initiative judiciaire n’apporte pas pour autant les éclaircissements souhaités. 

Certes, Théo a aboyé, mais cette réaction n’est pas jugée "significative" par les experts. Il faut dire qu’il n’est pas exceptionnel que les chiens aboient ! C’est même une réaction assez fréquente chez les canidés !   

Le président de l’Union syndicale des magistrats interrogés sur l’affaire, Bruno Thouzellier, souligne d’ailleurs l’originalité de la démarche en précisant qu’un chien ne présente pas les qualités requises pour être cité comme témoin dans une information judiciaire. Un chien "ne peut en aucun cas être entendu ou utilisé dans une instruction", précise le magistrat invité à s’exprimer sur cette initiative.

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