Chronique estivale - Ces étonnantes anecdotes de l'histoire de notre justice - Épisode 7 : "Liberté d’expression et justice"

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Laurence Beneux, France-Soir
Publié le 01 septembre 2023 - 19:53
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Chroniques Justice
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ARA, pour France-Soir
Épisode 7 : "Liberté d’expression et justice"
ARA, pour France-Soir

CHRONIQUE - "Les mots ont le pouvoir de détruire et de soigner. Et lorsqu’ils sont justes et généreux, ils peuvent changer le monde", Bouddha. "Les mots justes trouvés au bon moment sont de l’action", écrit la philosophe et journaliste Hannah Arendt. Raison pour laquelle les classes dominantes et institutions exerçant le pouvoir ont toujours essayé de contrôler l’expression des idées. Le mot en avance sur la morale ou le dogme de son temps, le mot qui critique le pouvoir en place et ses choix, ce mot-là a toujours fait l’objet de tentatives de répression pour le réduire au silence. Le mot subversif est craint et attaqué. Le mensonge, l’utilisation de raisonnements biaisés, bref, une foule d’outils rhétoriques, peuvent être utilisés pour lutter contre le mot juste. Mots contre mot.  

"Il n’y a que la vérité qui fâche", dit la sagesse populaire. Elle fâche surtout qui veut un pouvoir indiscuté et craint le débat public. Et pour éviter un tel débat, quoi de plus simple que la censure ? La justice humaine, où se côtoie le meilleur comme le pire, à l’instar de notre espèce, parfois lutte contre la censure, et parfois l’arme. Et ce, de tout temps. 

Touraine – 1632 - PAMPHLET, FEMMES ET SORCELLERIE ! 

Urbain Grandier, séduisant habitant de Loudun, a deux défauts, ou qualités selon les points de vue, bref, deux traits de personnalité qui vont lui coûter cher : c’est un séducteur impénitent, grand amateur de femmes, et un orateur brillant, dont la langue bien pendue est doublée d’une franchise qui n’est pas du goût de tout le monde ! On pourrait sans doute fermer les yeux sur son goût pour la gent féminine, s’il ne clamait haut et fort tout le mal qu’il pense d’un dogme religieux et d’un homme puissant de l’époque ! Pire, avec talent ! Et pire encore, s’il ne l’écrivait pas ! Car si la parole est réputée éphémère, l’écrit reste. La censure a beau brûler les livres, il va toujours en rester un qui traîne, oublié par l’autodafé ! Bref, un esprit subversif, en capacité d’écrire, est un être dangereux. 

Nommé curé de Loudun, Urbain s’empresse justement d’écrire un traité sur le célibat des prêtres et… un pamphlet contre Richelieu ! Puis l’imprudent Urbain met enceinte une parente du directeur du couvent Sainte Ursule ! Ledit directeur, répondant au nom de Mignon, le prend fort mal et accuse immédiatement notre séducteur d’avoir souillé l’Église. Bon, la parente séduite est une laïque, non-pensionnaire du couvent, mais enfin Urbain est prêtre. Se répand alors la rumeur que notre curé amateur de jupons séduit de nombreuses femmes à l’intérieur de l’église.  

Or, l’austère couvent Sainte Ursule se trouve non loin de la résidence d’Urbain Grandier, et la réputation de ce dernier a un effet curieux sur les chastes occupantes de l’établissement religieux ! Alors que la mixité y est, bien entendu, strictement prohibée et qu’Urbain n’y a jamais mis les pieds, les ursulines se plaignent de le voir en rêve et d’être littéralement obsédées par sa "présence". Elles semblent par ailleurs souffrir de crises où elles blasphèment et hurlent des obscénités. La possession démoniaque ne fait pas de doute et des exorcismes sont effectués sur les nonnes, en vain. 

Très opportunément, le commissaire de Richelieu, Monsieur de Laubardemont, arrive justement à Loudun. Officiellement pour tout autre chose, mais il ne manque pas de s’inquiéter de l’affaire sur laquelle il va enquêter. Le pamphlétaire Urbain Grandier, dûment accusé de sorcellerie, est interrogé, mais il nie.  

Une sœur finit bien par confesser que toute cette histoire n’est qu’un tissu de mensonges, mais les perspicaces enquêteurs du cardinal de Richelieu ne se laissent pas tromper par cette ruse grossière du démon : c’est lui, bien entendu, qui a mis ces mots dans la bouche de sœur Claire, pour protéger son fidèle serviteur Grandier ! D’ailleurs, il y a des preuves irréfutables : par exemple, Urbain a une cicatrice au pouce ! C’est évidemment une trace laissée par la blessure nécessaire pour pouvoir signer, de son sang, un pacte avec le Diable ! Urbain Grandier s’obstinant à nier ses accointances sataniques, est horriblement torturé. Toutes ses requêtes pour prouver la machination dont il est victime sont refusées. Il est condamné au bûcher le 18 août 1634. À nouveau torturé et affreusement mutilé, il n’avoue pas et est brûlé vif. 

Paris - 1857 - QUAND LA JUSTICE DÉFINIT LA MISSION DE… LA LITTÉRATURE ! 

C’est seulement 23 ans avant la loi de 1880, affirmant et encadrant la liberté de la presse, qu’un classique de la littérature, étudié aujourd’hui dans nos collèges, vaut à son auteur Gustave Flaubert un procès retentissant. Nous sommes le 29 janvier 1857, et le procès concernant "Madame Bovary" fait grand bruit, assurant au passage le succès du roman. Mieux vaut une mauvaise publicité que pas de publicité du tout, ont compris de nos jours les adeptes de la "cancel culture" : parler de quelque chose, c’est commencer à réfléchir, et quand on veut imposer son point de vue, la réflexion collective n’est pas la bienvenue. 

L’œuvre a d’abord été publiée sous forme de feuilleton, dans la Revue de Paris. Laurent Pichat, dirigeant du périodique comparait donc en même temps que Flaubert. Plus étonnamment, Auguste-Alexis Pillet, l’imprimeur de la revue est lui aussi cité en justice. On reproche à ce dernier d’avoir "aidé et assisté, avec connaissance, Laurent-Pichat dans les faits qui ont préparé, facilité et consommé les délits" d’outrage à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs, en les "imprimant pour qu’ils fussent publiés". 

Le parquet, en la personne du procureur Édouard Pinard, reproche notamment à l’ouvrage de Flaubert la description de "scènes lascives" et de "peindre trop bien" les "platitudes du mariage" et la "poésie de l’adultère". 

Les prévenus sont finalement acquittés aux motifs que "les passages relevés dans l’ordonnance de renvoi sont peu nombreux si on les compare à l’étendue de l’ouvrage" et qu’il n’apparaît pas que le livre "ait été, comme certaines œuvres, écrit dans le but unique de donner une satisfaction aux passions sensuelles, à l’esprit de licence et de débauche, ou de ridiculiser des choses qui doivent être entourées du respect". 

Le tribunal fait cependant remarquer que l’ouvrage déféré "mérite un blâme sévère, car la mission de la littérature doit être d’orner et de récréer l’esprit en élevant l’intelligence et en épurant les mœurs, plus encore que d’imprimer le dégoût du vice en offrant le tableau des désordres qui peuvent exister dans la société".  

Paris - 1857 – 1949 - QUAND LA JUSTICE SE RECONNAÎT (ENFIN !) PIÈTRE CRITIQUE LITTÉRAIRE 

Le 20 août 1857, c’est un poète, passé lui aussi à la postérité, Charles Baudelaire, qui doit rendre des comptes à la justice, pour son recueil "Les Fleurs du Mal". Nos magistrats du dix-neuvième siècle portent décidément un grand intérêt à leurs écrivains contemporains, et se révèlent de piètres critiques littéraires ! Le parquet se défend d’ailleurs de jouer ce rôle. Le procureur Édouard Pinard, qui a échoué à faire condamner Gustave Flaubert et a visiblement tiré les leçons de son échec, tient sa revanche lors de ce procès. Le magistrat précise dans les premières lignes de son réquisitoire que ce n’est pas Baudelaire qu’il faut juger, mais son œuvre ! 

Et si le chef d’inculpation d’offense à la morale religieuse est écarté, le tribunal condamne par contre Charles Baudelaire à 300 francs d’amende, et les éditeurs/libraires Auguste Poulet Malassis et Eugène de Broise à 100 francs chacun, pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs.

La cour suit le réquisitoire du procureur qui fait appel au devoir des magistrats de mettre en garde le peuple des dangers d’une telle littérature. L’accusateur ne remet pas en cause l’absence de mauvaises intentions de l’auteur. Il demande d’ailleurs une certaine indulgence vis-à-vis du poète et requiert une peine symbolique. Baudelaire et ses éditeurs n’en sont pas moins condamnés devant une cour pénale, malgré l’absence reconnue d’intention délictuelle. Quant à l’indulgence, elle est relative : la somme est importante pour l’époque, et au-dessus des moyens de l’écrivain. Elle sera d’ailleurs réduite ultérieurement à 50 francs sur demande de l’impératrice. Par ailleurs, six poèmes doivent être retirés du recueil : "Les bijoux", que nombre d’entre nous ont étudié à l’école, "Le Léthé", "À celles qui sont trop gaies", "Lesbos", "Femmes damnées" et "Les Métamorphoses du vampire". Ils sont donc supprimés de la deuxième édition.

Le tribunal de Lille montrera moins d’indulgence encore, envers Auguste Poulet-Malassis qui, en 1866, soit 9 ans plus tard, republie les poésies interdites, en Belgique, dans un recueil titré "Les Épaves". L’éditeur tente alors de surmonter des difficultés financières.   

Le 6 mai 1868, Auguste Poulet-Malassis est condamné à Lille à un an de prison et 500 francs d’amende. Charles Baudelaire est mort moins d’un an auparavant, le 31 août 1867, âgé seulement de 46 ans. 

Cette condamnation de l’éditeur marque la fin d’un premier chapitre judiciaire qui va rebondir près d’un siècle plus tard, en 1949. Une loi du 25 septembre 1946 autorise la Société des Gens de Lettres à demander la révision d’une "condamnation pour outrage aux bonnes mœurs par la voie du livre", à condition que le jugement soit devenu définitif depuis au moins 20 ans.  

Ainsi, en 1947, la chambre criminelle de la cour de cassation est-elle saisie d’une demande en révision du procès de 1857.  

Le conseiller Falco, rapporteur du dossier, n’est pas tendre avec le procureur Pinard ! Même s’il appelle à ne pas être "trop sévère avec le magistrat", tout comme ce dernier avait réclamé l’indulgence pour Charles Baudelaire, il n’en est pas moins féroce dans la suite de ses conclusions.  

Le conseiller Falco souligne que la "pudeur judiciaire" qui sévit en 1857 "choisit bien mal ses victimes puisque Flaubert et Baudelaire, après s’être assis, à quelques mois de distance, sur les bancs de la correctionnelle entrèrent dans l’immortalité, tandis que la renommée du magistrat auquel il incomba la tâche de soutenir ces deux accusations n’en recueillit, c’est le moins qu’on puisse dire, qu’un lustre passager".  

Il rappelle ensuite que le sulfureux "L’Amant de Lady Chatterley" (1928) n’a pas eu à essuyer les foudres de la justice. Il explique qu’en comparaison, la défense de Baudelaire et de son recueil "Les fleurs du Mal", lui donne "l’impression paradoxale", de "plaider pour un livre de la 'bibliothèque rose', et d’attribuer un prix de vertu". 

Quant à l’avocat général Dupuich, il démontre notamment, de façon subtile, qu’un magistrat n’est pas des plus qualifiés pour faire œuvre de critique artistique. Après avoir rappelé le rare manque de vision littéraire des magistrats ayant condamné Baudelaire, considéré par la suite comme un écrivain majeur, il se refuse à lire et analyser les textes incriminés à l’époque, argumentant de son incompétence professionnelle en matière de poésie. 

"Je succède donc à Monsieur Pinard. Et cela m’inquiète fort", constate le magistrat. "Nos professions qui, depuis de longues années, nous mettent en contact avec des réalités, souvent fort sombres de la vie, ne nous conduisent guère dans les jardins de Muses". Suit une longue critique des développements de son collègue de 1857. 

Dans son arrêt du 31 mai 1949, la cour de cassation casse donc un jugement rendu 92 ans plus tôt, "en ce qu’il a condamné Baudelaire, Poulet-Malassis et de Broise pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs" et "décharge leur mémoire de la condamnation prononcée" aux motifs que l’appréciation des magistrats de l’époque "s’est avérée arbitraire" et "qu’elle n’a été ratifiée ni par l’opinion publique, ni par le jugement des lettrés", que "le jugement dont la révision est demandée a reconnu les efforts faits par le poète pour atténuer l’effet de ses descriptions" et que les poèmes incriminés "étaient manifestement d’inspiration probe", et que donc, le délit imputé aux accusés n’est pas caractérisé.

Marseille - 1974 -1975 - MAGISTRATURE ET LIBERTÉ D’EXPRESSION 

Oswald Baudot, substitut du procureur à Marseille, est un idéaliste que l’illégalité entre les classes sociales révolte ! Et qui n’hésite pas à exprimer ses idées avec une grande énergie. Une trop libre parole qui n’est pas du goût de la Chancellerie ! 

Madame X. a été victime, en 1971, d’un accident de la route et a les plus grandes difficultés à être indemnisée. Elle saisit donc le parquet. Les officiers de gendarmerie sont un peu déroutés lorsque, ce 2 août 1974, ils reçoivent un "soit transmis" (1) rédigé par le fougueux Oswald Baudot, et destiné à la victime. Ce document tranche certes avec le "style" et les idées généralement adoptés par les magistrats : 

"Faire connaître à madame veuve X.,  

- que selon les principes de droit le transporteur est responsable de la santé et de la sécurité des personnes qu’il transporte ; 

- que si l’accident s’est produit tel qu’elle l’indique, sans faute de sa part, il est évident qu’elle a droit à être indemnisée ; 

- que néanmoins la loi est ainsi faite que je n’ai pas à la renseigner. C’est à elle à se débrouiller, même si elle n’y comprend rien, et à se faire indemniser si elle peut ; 

- que la justice n’a pas plusieurs visages, elle n’en a qu’un, pour le riche. Le pauvre, elle ne le regarde même pas ; 

- que si j’en crois son avocat, maître A., l’affaire devrait être jugée au tribunal civil, 8e chambre, le 25 octobre prochain. Trois ans après l’accident. Il n’est jamais trop tard pour bien faire ; 

- que si l’affaire n’est pas jugée le 25 octobre, elle m’écrive de nouveau sous le numéro 9086/74. Je me renseignerai pour savoir où elle en est". 

Après lecture de ce soit transmis à la forme inhabituelle, les officiers de gendarmerie préfèrent prévenir le procureur dont dépend le substitut, avant de le délivrer à la victime. Il leur est demandé de ne notifier que les idées essentielles contenues dans le document. 

Cet été 1974, Oswald Baudot semble décidément en verve, car il écrit deux textes "Lettre à des amis de la cour de B." et "Harangue à des magistrats qui débutent". Il fait ronéotyper les documents et les envoie à pas moins de cent cinquante personnes, tous magistrats à l’exception de six, en accompagnant chaque courrier d’un petit mot personnel. Les documents font sensation, surtout la "Harangue à des magistrats qui débutent", restée célèbre dans les milieux judiciaires. Voici les conseils prodigués à ses jeunes confrères par Oswald Baudot : 

"Harangue à des magistrats qui débutent ; 

Vous voilà installés et chapitrés. Permettez-moi de vous haranguer à mon tour, afin de corriger quelques-unes des choses qui vous ont été dites et de vous en faire entendre d’inédites. 

En entrant dans la magistrature, vous êtes devenus des fonctionnaires d’un rang modeste. Gardez-vous de vous griser de l’honneur, feint ou réel, qu’on vous témoigne. Ne vous haussez pas du col. Ne vous gargarisez pas des mots de "troisième pouvoir", de "peuple français", de "gardien des libertés publiques", etc. On vous a doté d’un pouvoir médiocre : celui de mettre en prison. On ne vous le donne que parce qu’il est généralement inoffensif. Quand vous infligerez cinq ans de prison à un voleur de bicyclette, vous ne dérangerez personne. Evitez d’abuser de ce pouvoir. 

Ne croyez pas que vous serez d’autant plus considérables que vous serez plus terribles. Ne croyez pas que vous allez, nouveaux saints Georges, vaincre l’hydre de la délinquance par une répression impitoyable. Si la répression était efficace, il y a longtemps qu’elle aurait réussi. Si elle est inutile, comme je crois, n’entreprenez pas de faire carrière en vous payant la tête des autres. Ne comptez pas la prison par années ni par mois mais par minutes et par secondes, tout comme si vous deviez la subir vous-mêmes. 

Il est vrai que vous entrez dans une profession où l’on vous demandera souvent d’avoir du caractère mais où l’on entend seulement par-là que vous soyez impitoyables aux misérables. Lâches envers leurs supérieurs, intransigeants envers leurs inférieurs, telle est l’ordinaire conduite des hommes. Tâchez d’éviter cet écueil. On rend la justice impunément : n’en abusez pas. 

Dans vos fonctions, ne faites pas un cas exagéré de la loi et méprisez généralement les coutumes, les circulaires, les décrets et la jurisprudence. Il vous appartient d’être plus sages que la Cour de Cassation, si l’occasion s’en présente. La justice n’est pas une vérité arrêtée en 1810. C’est une création perpétuelle. Elle sera ce que vous en ferez. N’attendez pas le feu vert du ministre ou du législateur ou des réformes, toujours envisagées. Réformez vous-mêmes. Consultez le bon sens, l’équité, l’amour du prochain plutôt que l’autorité ou la tradition. 

La loi s’interprète. Elle dira ce que vous voulez qu’elle dise. Sans y changer un iota, on peut, avec les plus solides "attendus" du monde, donner raison à l’un ou à l’autre, acquitter ou condamner au maximum de la peine. Par conséquent, que la loi ne vous serve pas d’alibi. 

D’ailleurs vous constaterez qu’au rebours des principes qu’elle affiche, la justice applique extensivement les lois répressives et restrictivement les lois libérales. Agissez tout au contraire ; Respectez la règle du jeu lorsqu’elle vous bride. Soyez beaux joueurs, soyez généreux : ce sera une nouveauté. 

Ne vous contentez pas de faire votre métier. Vous verrez vite que pour être un peu utile, vous devez sortir des sentiers battus. Tout ce que vous ferez de bien, vous le ferez en plus. Qu’on le veuille ou non, vous avez un rôle social à jouer. Vous êtes des assistantes sociales. Vous ne décidez pas que sur le papier. Vous tranchez dans le vif. Ne fermez pas vos cœurs à la souffrance ni vos oreilles aux cris. 

Ne soyez pas ces juges soliveaux qui attendent que viennent à eux les petits procès. Ne soyez pas des arbitres indifférents au-dessus de la mêlée. Que votre porte soit ouverte à tous. Il y a des tâches plus utiles que de chasser ce papillon, la vérité, ou que de cultiver cette orchidée, la science juridique. 

Ne soyez pas victime de vos préjugés de classe, religieux, politiques ou moraux. Ne croyez pas que la société soit intangible, l’inégalité et l’injustice inévitables, la raison et la volonté humaine incapables d’y rien changer. 

Ne croyez pas qu’un homme soit coupable d’être ce qu’il est, ni qu’il ne dépende que de lui d’être autrement. Autrement dit, ne le jugez pas. Ne condamnez pas l’alcoolique. L’alcoolisme, que la médecine ne sait pas guérir, n’est pas une excuse légale mais c’est une circonstance atténuante. Parce que vous êtes instruits, ne méprisez pas l’illettré. Ne jetez pas la pierre à la paresse, vous qui ne travaillez pas de vos mains. Soyez indulgents au reste des hommes. N’ajoutez pas à leurs souffrances. Ne soyez pas de ceux qui augmentent la somme des souffrances. 

Soyez partiaux. Pour maintenir la balance entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, qui ne pèsent pas d’un même poids, il faut que vous le fassiez un peu pencher d’un côté. C’est la tradition capétienne. Examinez toujours où sont le fort et le faible, qui ne se confondent pas nécessairement avec le délinquant et sa victime. Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron, pour l’écrasé contre la compagnie d’assurances de l’écraseur, pour le malade contre la sécurité sociale, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice. 

Ayez un dernier mérite : pardonnez ce sermon sur la montagne à

Votre collègue dévoué. 

Oswald Baudot" 

On ne sait pas si les confrères du magistrat lui ont pardonné son "sermon sur la montagne", mais la Chancellerie apprécie visiblement peu les élans épistolaires d’Oswald Baudot, puisqu’elle saisit le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) et demande des sanctions contre le substitut. 

Le CSM estime que les textes d’Oswald Baudot, tant le soit transmis destiné à la victime de l’accident que la "Harangue", "portent atteinte au respect dû et à la confiance qui doit être accordée à la fonction judiciaire elle-même, ainsi mise en cause dans le principe même de son impartialité", et que le magistrat a failli à son obligation de réserve. 

Les conseillers de la chambre disciplinaire du CSM sont cependant sensibles à la sincérité de leur collègue qui leur apparaît animé d’idées généreuses et que "sa conviction de détenir la vérité, son manque de pondération, l’amènent à exprimer sans ménagement ce qu’il pense, quelles que soient les circonstances et sans souci des conséquences". Ils tiennent aussi compte du fait que ses "qualités de culture, de dévouement au service public ont été au cours de sa carrière unanimement reconnues". Ils relèvent enfin qu’Oswald Baudot n’a pas été mis en garde par ses supérieurs hiérarchiques contre "les excès de ses modes d’expression et leurs inconvénients". Ils optent donc pour "une sanction qui soit un avertissement", la réprimande avec inscription au dossier. 

Grenoble - 2006 - LE PROCÈS DES MACARONIS AU RAT 

Comment Pierre Tabourot trouva un rat crevé dans un paquet de macaronis et… se retrouva poursuivi par Panzani ! Car les multinationales n’aiment pas que les consommateurs expriment leur mécontentement dans les médias ! 

Cet été-là, Pierre Tabourot est intrigué par une mauvaise odeur qui semble venir du placard de sa cuisine ! D’un paquet de pâtes plus précisément, qui n’a pas encore été entamé. Il l’ouvre donc, et a la mauvaise surprise d’y découvrir un rat crevé. Il se plaint auprès de Panzani, la marque desdites pâtes, et reçoit quelques paquets de macaronis (sans rat) et six bons de réduction d’1 euro 50. 

Tout en serait sans doute resté là si Pierre Tabourot et son beau-père n’avaient pas raconté cette mésaventure aux médias qui la relatent ! Il faut dire que leur mauvaise humeur a été largement augmentée par l’humour de l’opérateur du service commercial de la marque de pâtes qui leur aurait répondu en riant "C’est une promotion ! Les 33% supplémentaires, c’est le rat !". "Nous voulions des excuses !", explique Jean-Pierre Chanfreau, le beau-père de Pierre Tabourot.

Panzani se défend en attaquant pour "diffamation, chantage et tentative d’escroquerie" ! Les gendarmes saisissent le rat. Panzani soupçonne Jean-Pierre Chanfreau de faire partie d’un mouvement altermondialiste.  

L’expertise du rat conclut que l’animal était mort d’écrasement durant le conditionnement des pâtes !

Pour autant, en septembre 2006, nos deux malheureux amateurs de pâtes se retrouvent devant le tribunal correctionnel de Grenoble, où le parquet estime qu’un délit de diffamation et de chantage a été constitué ! S’il ne demande cependant pas de peine, Panzani réclame de son côté 15.000 euros de dommages et intérêts ! 

Mais le tribunal ne suit ni les réquisitions du procureur, ni les arguments du fabricant de pâtes. C’est finalement le PDG du groupe Panzani et la société Panzani qui sont condamnés à 10.000 euros d’amende et 1.500 euros de dommages et intérêts pour l’infortuné consommateur de pâtes qui a découvert le rat.

Note : 

(1) "Soit transmis" : comme son nom l’indique, terme employé pour des documents circulant entre différents acteurs de l’institution judiciaire et ayant vocation à être transmis. 

 

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