Le christianisme est l’inventeur du capitalisme

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Philippe Simmonot journaliste pour FranceSoir
Publié le 23 novembre 2020 - 10:02
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A une époque où les feux périlleux d’une nouvelle guerre de religions paraissent hélas ! se rallumer, peut-être pourrait-on se poser la question : de laquelle des trois grandes religions issues de la Bible (judaïsme, christianisme et islam) qui nous concernent en France, le capitalisme est-il le plus proche ? Des siècles d’antisémitisme ont habitué aux fidèles de ces croyances à l’idée que c’était le judaïsme. Eh bien non ! C’est du christianisme que le capitalisme est le plus proche. Nous allons même montrer que le christianisme a enfanté le capitalisme.

 

Commençons par nous demander ce qu’est le capitalisme.

 Il n’y a pas de capitalisme sans capital et il n’y a pas de capital sans appropriation privée et donc sans droit de propriété. La Rome antique avait institué les trois composants de ce droit fondamental : l’usus (jouir de sa propriété), le fructus (pouvoir en tirer un revenu ou un intérêt), l’abusus (pouvoir le donner ou le vendre). Mais elle n’en avait pas tiré toutes les conséquences marchandes et, en outre, la notion même de droit de propriété s’est perdu avec la chute de l’empire romain d’Occident. L’Europe a alors plongé  pendant plusieurs siècles dans un profond marasme économique et démographique.

 

On date en général la retrouvaille du droit de propriété en Occident du Code civil napoléonien. Ce dernier consacre en effet les trois composantes romaines du droit de propriété et a permis à la bourgeoisie de prendre son essor, en France et dans tous les pays où ce Code s’est implanté. Le Code s’inspirait de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et notamment de son article II : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. »

 

Il  est bon de rappeler cet excellent article II en cette période fort dangereuse pour les droits individuels, mais ce n’est pas suffisant pour répondre à notre question, car la redécouverte du droit de propriété proprement dit est bien antérieure au code napoléonien. Elle date en fait d’une véritable révolution théologique accomplie par un certain Jean XXII, pape de 1316 à 1334, en s’appuyant sur les écrits de deux grands théologiens, Hugues de Saint Victor (1096-1141), et Alexandre de Halès (1180-1245). A l’époque, les papes résident en Avignon, et Jean XXII est issu d'une famille de la bourgeoisie aisée de Cahors.

Jusqu’à Jean XXII,  les chrétiens  sont hantés par l’une des plus célèbres paroles du Christ :  « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » (Matthieu, 19-24). Encore aux ive et ve siècles, les Pères de l’Église estimaient que l’appropriation privée est une usurpation et vient détruire un état originaire qui ignorait le tien et le mien. Cette propriété privée, enseignaient-ils, ne sépare pas seulement les hommes entre eux, elle les sépare également de Dieu en faisant disparaître cet état premier où rien n’était à personne parce que tout était à Dieu. À la rigueur, comme dans le judaïsme ancien et dans l’islam, pouvait-on concevoir un droit de propriété limité à l’usus, et, qui plus est, soumis aux nécessités de l'État ou du bien commun. Mais certainement pas ce droit de propriété absolu, que Jean XXII allait avaliser.

Ainsi, jusqu'à l’avènement de ce pape vraiment révolutionnaire, les chrétiens montraient ou, du  moins devaient montrer, une profonde répugnance  pour le monde de l’argent : « Nul ne peut servir deux maîtres, dit encore Jésus  : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent. »(Matthieu 6,24).

Ce n’est donc pas à Jésus que Jean XXII remonte pour fonder la nouvelle doctrine économique de l’Eglise, mais à Dieu le Père, créateur de l’univers. Puisqu’il n’est pas douteux que Dieu soit le dominus, le propriétaire de l’univers, il n’est pas non plus douteux que la propriété des choses ait été introduite par la volonté divine. Nous sommes tous les descendants d’Adam, ce premier homme intronisé par Dieu comme son ministre sur la terre,  donc pouvant exercer un droit de propriété sur l’ensemble de l’univers. La propriété humaine sur les choses n’a donc pas été introduite par le droit humain, mais par le droit divin, ainsi que l’affirme la Bible, selon Jean XXII et les théologiens qui l’inspirent. Le droit de propriété des hommes sur les choses est donc d’origine divine. D’où son caractère absolu — justement ce type de droit dont a besoin le pur capitalisme.

Ni le judaïsme ni  l’islam ne sont parvenus à cet absolu qui sert si bien le capitalisme. Bien sûr les chrétiens n’oublient pas les pauvres, mais pour qu’un don soit authentique, ne faut-il pas être pleinement propriétaire de ce que l’on donne ?

 

[1] Auteur des Nouvelles leçons d’économie contemporaine, Gallimard 2018.

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