Un sondage contradictoire sur l’Ukraine

Auteur(s)
Jean Neige, pour FranceSoir
Publié le 04 août 2022 - 11:15
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Entrainement armes civils Ukraine
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Sergei SUPINSKY / AFP
Photo prise lors d'une séance d'entraînement pour civils, à Kiev, le 30 janvier 2022.
Sergei SUPINSKY / AFP

CHRONIQUE — Le 29 juin dernier, le Wall Street Journal a publié un article sur un sondage effectué par téléphone auprès de la population ukrainienne sur la guerre qui affecte leur pays.

Cette étude a été mise en œuvre par le National Opinion Research Center de l’université de Chicago, auprès d’un échantillon de 1005 adultes sélectionnés via leurs numéros de téléphones – d’où ont été exclus les habitants de Crimée et du Donbass non contrôlé par l’Ukraine à la date du 24 février, soit quelque 6 millions de personnes officiellement considérés comme Ukrainiens par l’Ukraine elle-même. La précision d’emblée est importante.

« 89% des Ukrainiens sondés contre la cession de territoires en échange de la paix »

C’est l’information principale de ce sondage, légèrement exagérée, qu’a mis en avant le Wall Street Journal, avec le fait que 78% des sondés approuvent la gestion de la guerre par leur président, et 84% lui font confiance en général. Le président russe bénéficiant d’un taux d’approbation tout aussi haut, les auteurs de l’étude soulignent qu’aucun des deux chefs d’État ne subit la pression de son peuple pour faire la moindre concession pouvant mener à un règlement du conflit. Il n’y a donc pas de perspective de paix, ni même de cessez-le-feu à court terme, et cela semble même peu probable à moyen terme.

Le président Zelensky et son entourage ont récemment réaffirmé qu’il n’y aurait pas de négociations avec la Russie tant que la totalité du territoire ukrainien, Crimée incluse, ne sera pas « libérée ». Est-ce le leadership ukrainien qui influence son peuple ou l’inverse ?

Coresponsabilité de l’Ukraine et des Occidentaux dans le conflit

Le média africain francophone Ebene Media TV, par lequel on m’a fait initialement découvrir ce sondage, en a retenu un message différent. Pour eux, l’information principale est qu’une majorité des sondés ne blâment pas uniquement la Russie pour cette guerre (85%), mais aussi leur gouvernement (70%), les États-Unis (58%) et l’OTAN (55%).

Comment 78% des sondés peuvent-ils approuver la conduite de la guerre par Zelensky et le rendre coresponsable à 70% de cette même guerre ? Voilà un mystère. S’agit-il d’un réflexe de solidarité nationale face à l’invasion russe, malgré les erreurs passées ? Cela veut-il dire qu’ils ont souhaité la guerre ? Beaucoup de nationalistes, notamment dans l’armée, ne rêvaient que de ça, un scénario à la croate, se référant à l’opération Storm de 1995, une guerre-éclair de 3 jours pour récupérer les territoires perdus. Sauf qu’ils se voyaient prendre l’initiative, attendant le bon moment. L’adhésion à l’OTAN était perçue comme le parapluie ultime pour une offensive majeure. Et, c'est bien ce que craignaient les Russes.

D’ailleurs, 35% des sondés rendent aussi coresponsables du conflit les « nationalistes d’ultra-droite ukrainiens », ceux-là même dont on nous dit en Occident, soit qu’ils n’existent pas, soit que leur influence est négligeable. C’est bien mal connaitre l’Ukraine. La réalité est que leur idéologie, à travers menaces, intimidations, violences et suractivité médiatique, a imprégné l’Ukraine jusque dans les médias dominants, jusqu’au sommet de l’État. En avril 2019, Zelensky, alors en campagne électorale, déclarait que vénérer Stepan Bandera – pourtant responsable du massacre de dizaines de milliers de civils Polonais et juifs - est tout à fait acceptable, « normal et cool ». Mais l'Ukraine, pays récent à la culture démocratique très superficielle, n’a jamais fait l’aggiornamento de son histoire. Et aujourd’hui, elle la réécrit pour servir la cause de la défense nationale contre l’ennemi russe honni. Et pour ne pas se mettre à dos une partie importante et puissante de son peuple, un futur président juif en arrivait à réhabiliter un tueur de juifs.

Quant à la question de blâmer les États-Unis ou l’OTAN, elle est à double-face. Les gens reprochent-ils à l’Occident de ne pas en avoir fait assez pour inclure l’Ukraine une bonne fois pour toutes dans l’OTAN, ou en annonçant que les troupes américaines n’interviendraient pas en cas d’invasion russe ? Ou bien reprochent-ils aux Américains d’en avoir trop fait, en prônant officiellement vouloir intégrer l’Ukraine dans l’OTAN, malgré les avertissements répétés de la Russie d’abandonner une telle perspective ? Sans oublier que cette politique de la porte ouverte n’était pas sincère, comme l’a affirmé l’ancien ambassadeur américain en Russie Michael McFaul, et que l’organisation n’avait dans le fonds aucune intention d’y laisser entrer l’Ukraine, certains pays membres y étant opposés, mais sans oser le dire publiquement.

Quand on lit plus bas dans le sondage les taux d’approbation des différents pays, on voit qu’il reste très élevé pour les États-Unis. Nouvelle contradiction apparente : si 58% des sondés estiment que les USA ont une responsabilité dans cette guerre, 73% sont satisfaits de l’aide donnée par ce pays, contre seulement 27% pour la France ou 22% pour l’Allemagne. Les États-Unis semblent avoir remporté leur pari de faire basculer l’Ukraine dans leur camp, un projet sur lequel ils travaillent activement depuis au moins 15 ans, d’après Scott Ritter, un Américain ancien inspecteur des armements, critique de la politique des États-Unis. L’intervention de la Russie en Ukraine, dont certains comme le journaliste d’investigation Lee Stranahan, pensent qu’ils l’ont savamment provoquée, a amplifié et accéléré le mouvement de manière certainement durable, voire irrémédiable.

Pas de concessions non plus pour la langue russe

49% des sondés se sont déclarés ukrainophones, 30% russophones, et 20% bilingues. Une série de questions concernant le statut de la langue russe en Ukraine montre qu’entre 54 et 89% refusent les concessions. Seule la proposition de se débarrasser des livres en russe n’obtient pas une majorité absolue des sondés, avec seulement 38% qui approuvent, contre 34% qui s’y opposent. Dès lors, on ne voit pas sur quelle base un compromis serait possible. Dans un pays où les nationalistes sont habitués à imposer leurs points de vue, un pays où les rixes dans la sphère politique, aussi bien au parlement national qu’à des niveaux inférieurs, sont assez courantes, le compromis est aisément assimilé à la trahison. Ainsi, la loi de 2012 sur les langues régionales, ou les accords de Minsk ont été annulés par le pouvoir nationaliste post-Maïdan, de jure ou de facto. Une loi d’ « ukrainisation » forcée de tout le pays a été votée en 2019. Et toutes les chaines de télévision jugées pro-russes, parce que prônant, par exemple, le respect des accords de Minsk, ont été fermées en 2021. Et Viktor Medevchuk, le principal leader de l’opposition, pesant 20% dans les sondages, a été arrêté la même année sur un prétexte fallacieux, le tout sans que l’Occident n’y trouve rien à redire. Avec la militarisation et "l’otanisation" accélérée du pays, comment s’étonner alors que le pays soit en guerre depuis huit ans et se retrouve aujourd’hui dans une situation pire que jamais, avec une guerre civile dans l’est pro-russe et une intervention militaire de son puissant voisin russe ?

Les Ukrainiens prennent-ils leurs désirs pour des réalités ?

On peut être frappé de l’optimisme de la majorité des sondés sur l’issue du conflit. 66% considèrent qu’ils chasseront la Russie de tous les territoires perdus depuis le 24 février. 46% considèrent cela comme très probable.

53% considèrent comme probable (38% même « très probable ») le fait qu’ils récupèreront le contrôle de toute l’Ukraine, y compris la Crimée.  

Seuls 21% s’attendent à un statu quo durable et seulement 6% pensent que la Russie gardera in fine ses conquêtes.

Ces chiffres restent néanmoins en deçà du nombre de 81 à 89% qui estiment que les concessions territoriales sont inacceptables. Il y a donc là encore comme une contradiction pour 28% (81-53) des Ukrainiens qui estiment que toute concession territoriale est inacceptable, mais ne voient pas comme probable le fait qu’ils pourront reconquérir tous les territoires. À un moment donné, le principe de réalité du terrain va s’imposer.

Précisons aussi que le sondage a été réalisé entre le 9 et le 13 juin, c’est-à-dire avant la perte de Severodonetsk pour l’Ukraine, qui fut officialisée vers le 24 juin avec l’annonce du retrait des troupes ukrainiennes. Depuis, l’Ukraine a encore perdu le reste de la région de Lougansk. À priori de quoi calmer quelque peu les espoirs de reconquête de certains. Mais l’opinion est aussi galvanisée par les annonces de l’arrivée des armements occidentaux, et les résultats des premiers bombardements réalisés à l’aide des HIMARS américains sont prometteurs. Plusieurs dépôts de munition russe ont été atteints, y compris dans la profondeur. Et, le pont permettant d’alimenter la ville de Kherson par le sud est criblé avec une grande précision. Certains prétendent que, pour être aussi efficaces, les Américains eux-mêmes sont à la manœuvre...(on est vraiment à l’extrême limite de la troisième guerre mondiale).

La question que la Russie puisse conquérir encore plus de territoires n’a même pas été posée dans le sondage. Cela ne semblait peut-être même pas envisageable pour les sondeurs, puisqu’on nous explique depuis le début que, malgré ses conquêtes, la Russie a déjà perdu la guerre.

L’influence de la propagande de guerre

Il faut dire que les Ukrainiens étaient déjà sujets à une forte propagande sur le Donbass depuis huit ans. Seuls ceux qui avaient de la famille sur place savaient à peu près ce qui s’y passait. Depuis le 24 février, la loi martiale est entrée en vigueur en Ukraine. Le 21 mars, le président Zelensky a signé un décret ordonnant la création d’une politique d’information unifiée, via la création d’une plateforme d’information publique fonctionnant 24 heures sur 24. Cela signifiait que les médias privés étaient suspendus sine die. Tout cela est passé inaperçu en Occident, où l’on préfère évoquer le contrôle de l’information en Russie. En Ukraine, il n’y a donc plus qu’un seul message sur la guerre, en tout cas à la télévision. Il n’est donc pas étonnant que les Ukrainiens paraissent tellement déconnectés de la réalité par rapport à des gens qui ont accès à plus de sources, et qui n’ont pas le même parti pris. À la question posée plus haut de savoir lequel influence le plus l’autre, le peuple ou Zelensky, c’est certainement le second, puisqu’il dispose des pleins pouvoirs sur l’information depuis des mois.

Via la propagande officielle, chaque camp tend à ne souligner que ses succès, faisant abstraction de ses échecs. Le phénomène est amplifié sur les réseaux sociaux ou pro-russes et pro-ukrainiens passent leur temps à ne poster que des vidéos de destruction de l’ennemi. Les fausses annonces, ou les annonces prématurées se succèdent. Une Ukrainienne a récemment affirmé que les troupes ukrainiennes avaient conquis la ville russe de Belgorod. Et les annonces sur la reconquête de Kherson donnent l’impression que c’est presque déjà acquis, 2000 soldats russes auraient été encerclés, mais en fait non…

Ni les Russes, ni les Ukrainiens ne communiquent plus sur leurs pertes. L’Ukraine a même décidé officiellement que les comptes ne seront rendus publics qu’à la fin du conflit. Voilà qui ne devrait pas rassurer les Ukrainiens et leurs alliés. Mais il ne faut pas démoraliser l’opinion publique. L’espoir fait vivre. Il faut soutenir l’effort de guerre coûte que coûte.

Seuls les séparatistes de la République Populaire de Donetsk donnent des chiffres mis à jour crédibles de leurs pertes : 2 441 soldats tués au 22 juillet depuis le début de l’année, et 10 144 blessés, plus 754 tués et 2 457 blessés chez les civils ; au total,  8 233 morts dont 116 enfants depuis ce qu’ils appellent « l’agression de l’Ukraine », la répression démarrée en 2014, appelée « opération anti-terroriste » par l’Ukraine. Ces chiffres sont considérables pour un territoire moins peuplé que la ville de Paris.

Quelles perspectives ?

La triste réalité est qu’il semble bien qu’il faudra encore bien plus de souffrances, de bombardements et de morts inutiles avant que les parties ne soient prêtes à des concessions.  

Bien que la Russie fasse tout aujourd’hui pour préparer leur annexion, on peut imaginer qu’elle puisse accepter de perdre les zones conquises depuis le 24 février. Mais le contrôle de la région de Kherson est primordial pour assurer le contrôle de l’alimentation en eau de la Crimée. On peut fortement douter que Moscou abandonne le Donbass, si chèrement conquis. Ce serait perdre la face de manière inacceptable pour eux. Et la Russie n’acceptera jamais de perdre la Crimée, qui fait maintenant partie intégrante de son territoire, de son point de vue en tout cas. La reconquête de la Crimée me parait être la plus dangereuse délusion ukrainienne. Le président Poutine a affirmé n’utiliser l’arme nucléaire qu’en cas de « menace existentielle sur la Russie ». Une menace sur la Crimée pourrait-elle être interprétée comme une menace « existentielle » sur la Russie elle-même ? A-t-on vraiment envie de les tester là-dessus ? Dimitri Medvedev, l’ex-président de Russie, a récemment affirmé que le jour du Jugement dernier arriverait pour ceux qui seraient tentés d’attaquer la Crimée. Au passage, ceux qui pensent que si un autre que Poutine était aux commandes en Russie, tout serait plus simple, Medvedev nous rappelle que Poutine n’est pas le seul sur sa ligne.

In fine, on pourrait se retrouver dans une situation à la Coréenne, comme le prédit James Stavridis, un ancien commandant de l’OTAN, avec une sorte de statu quo sans paix, à la suite de l’épuisement des forces en présence et à l’incapacité des deux camps de progresser. Ça ne serait pas la pire des solutions et je ne suis pas certain que l’on puisse raisonnablement espérer mieux.

Je crois plus à un scenario similaire à celui du Donbass, avec une ligne de front stabilisée, mais jamais véritablement gelée, car les nationalistes ukrainiens ne cessent de vouloir en découdre et de bombarder, quel que soit le rapport de force, et la haine de la Russie n’est pas prête de s’essouffler.

La question absente : celle des référendums d’auto-détermination

Un vrai démocrate dans l’âme, face à des conflits de souveraineté sur des territoires donnés, s’en remet à une idée aussi simple que juste. La meilleure solution consisterait à organiser des référendums d’auto-détermination pour les premiers concernés, les habitants de ces territoires. Il est très intéressant de constater que les Américains qui ont supervisé ce sondage ont totalement ignoré cette question. Hors de question de faire de la pédagogie là-dessus. Les États-Unis, phare auto-proclamé du monde « libre », sont contre les référendums quand cela pourrait arranger Moscou. Mais ils sont pour quand cela peut déranger Moscou, cf. le Kosovo. La géopolitique peut se résumer à des idées simples. Souvenons-nous aussi que, losrque leurs états du Sud ont fait sécession en 1861, le président Lincoln leur a livré une guerre sans merci qui a duré quatre ans. Quasiment personne aux États-Unis ne remet en cause la légitimité de cette guerre aujourd’hui. La question de l’auto-détermination ne fait pas partie de la culture d’un pays qui s’est fondé sur la dépossession violente des Amérindiens.

Bien entendu, la question des référendums d’auto-détermination en Ukraine s’est déjà posée en 2014. Cependant, ni les occidentaux ni les Ukrainiens n’ont voulu en entendre parler. Ils ont dénigré les référendums organisés en Crimée et dans le Donbass, arguant qu’ils étaient effectués « à la pointe du fusil », et que les résultats n’étaient pas fiables. Ils ont en fait tous rejetés d'entrée l’idée même de référendum. Or, on sait organiser des référendums d’auto-détermination supervisés par l’ONU, comme cela a été le cas au Kosovo, au Soudan du Sud, en Nouvelle-Calédonie, ou si l'on remonte plus loin dans le passé, en Sarre. On sait même le faire en organisant le vote des personnes déplacées et des réfugiés. C’est juste une question de volonté politique. Mais, encore une fois, les occidentaux refusent toute idée pacifique qui puisse arranger les intérêts russes. C’est l’évidence même. Et la Commission européenne, alignée sur Washington, affirme que seule la guerre est une issue à ce conflit entre la Russie et l’Ukraine. Il est vrai que depuis le Non à la Constitution européenne en France et aux Pays-Bas en 2005, et le référendum non reconnu en Catalogne, on n’aime pas beaucoup les référendums dans notre Europe oligarchique qui se prétend encore démocratique. Tout récemment, la Slovénie vient d’autoriser le mariage homosexuel, malgré trois référendums contre.

De son côté, Moscou prépare des referendums d’auto-détermination dans les territoires qu’elle a conquis, pour septembre, dit-on. Les Russes auraient sans doute intérêt à tendre la main aux Occidentaux, à l’ONU, pour superviser ces referendums, afin de couper l’herbe sous le pied aux accusations de référendums truqués et précipités qui ne manqueront pas. Et les occidentaux et les Ukrainiens auraient même intérêt à accepter.

En cas de refus de l’annexion à la Russie, ce serait une manière pour Kiev d’avoir satisfaction, et pour les Russes de pouvoir se retirer en sauvant la face a minima. En cas de désir d’annexion à la Russie, ce serait une clarification. Nous n’en prenons pas le chemin. Le 14 juillet dernier, l’Ukraine a même mis sur sa liste noire officielle des messagers de la propagande russe l’Américain Edward Luttwak, simplement parce qu’il a osé proposer des referendums dans le Donbass. Mais donner le choix aux premiers concernés serait pourtant la plus juste des solutions.

L’échantillon était-il représentatif ?

Quiconque connait l’Ukraine et ses disparités politiques extrêmes en fonction des régions sait qu’un sondage sur ce pays se doit de trouver un équilibre entre toutes ces zones géographiques, ce qui n’apparait pas comme si évident sur un échantillon de 1000 personnes. Pour commencer, les gens qui n’avaient pas de téléphone ukrainien ont été exclus du sondage. D’après les auteurs, cela a de facto exclu de l’étude tous les gens vivant en Crimée et dans la partie du Donbass non contrôlée par l’Ukraine en date du 24 février.

Cela dit, un certain nombre de personnes vivant dans cette zone ont deux téléphones, un pour communiquer en interne avec l’opérateur local, Phoenix ou Lugacom, et un autre, ukrainien, pour joindre les membres de leur famille de l’autre côté ou recevoir des nouvelles de l’administration ukrainienne, notamment pour leurs retraites. Deux opérateurs ukrainiens sur trois avaient des relais dans les zones séparatistes (Vodaphone-MCS et Life), mais pas partout. À moins que ces opérateurs aient cessé de fonctionner dans ces territoires à partir du 24 février, normalement, certains habitants qui avaient gardé leur téléphone ukrainien auraient pu être joignables. Mais l’étude nous dit, page 24, qu’ils n’ont pas été pris en compte. Était-ce un choix technique ou politique ? La question demeure.

Par ailleurs, seuls 2% des sondés vivent dans les territoires contrôlés par la Russie depuis le 24 février, ce qui parait bien peu. La population ukrainienne totale est de 43 millions, selon les chiffres de Worldofmeters, et 39,6 millions selon worldpopulationreview.com, disons 41 millions, chiffre dont il faut soustraire les 2,3 millions de « Criméens » et les quelque 3,7 millions de « Donbassiens » séparés depuis 2014, soit 6 millions d’Ukrainiens selon Kiev et l’occident, l’échantillon est censé représenter environ 35 millions d’habitants. 2% représentent alors 700 000 à 900 000 habitants. L’oblast de Kherson, presque entièrement contrôlé par la Russie, comptait 1 million d’habitants avant l’invasion. Mais les autres zones contrôlées par la Russie, dans les régions de Zaporojie et Kharkov, excluent les capitales régionales et sont donc relativement peu peuplées. Et les parties du Donbass conquises en 2022 ont été largement désertées à cause des combats dévastateurs. Parmi ceux qui sont restés, certains sont déjà passés au mode de vie russe et ont adopté les opérateurs russes ou « donbassiens ». À Mélitopol, ville de 150 000 habitants conquise quasiment sans combat dès le début du conflit, le chef de l’administration mis en place par Moscou, un politicien local, estime que les départs oscillent entre 15 et 20%. Mais le Figaro estime que la moitié des magasins sont fermés. Si l’on prend une hypothèse basse, que seulement 50% des gens sont restés, le chiffre de 2% parait à peu près crédible.

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