Exploitation des enfants, hystérectomies des femmes dans un but de productivité. L’enfer de l’industrie du sucre.

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Laurence Beneux
Publié le 27 mars 2024 - 12:09
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femme canne a sucre
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Pexel / Plato Terentev
Des enfants exploités dans des champs de cannes à sucre, des jeunes femmes poussées à subir des hystérectomies pour ne plus avoir de règles et travailler plus
Pexel / Plato Terentev

Des enfants exploités dans des champs de cannes à sucre, des jeunes femmes poussées à subir des hystérectomies pour ne plus avoir de règles et travailler plus, c’est la réalité glaçante que révèle une enquête du New York Times, réalisée en partenariat avec l’association « The Fuller Project », et publiée le 24 mars dernier. Les sociétés Coke et Pepsi ont contribué à transformer l’État du Maharashtra en Inde en un important producteur de sucre. Mais elles participent aussi, en connaissance de cause, à un système d’exploitation et de travail forcé particulièrement brutal. 

Les ouvriers du sucre des fermes du Maharastra ne touchent pas un salaire mensuel. Leurs employeurs leur versent une avance, leur prêtent de l’argent pour des besoins impérieux tels que des frais médicaux, et les travailleurs coupent et ramassent les cannes à sucre pour rembourser leur dette. À la fin d’une saison, on leur dit qu’ils doivent encore de l’argent et qu’ils doivent revenir l’année suivante. De tels arrangements, qui emprisonnent les ouvriers dans une spirale de dettes sans fin, sont définis par l’agence du travail des Nations Unies comme du travail forcé. Illégal, mais qui n’en perdure pas moins. 

Mariages forcés des adolescentes et hystérectomie des femmes.  

Parce que les enfants sont une charge lourde pour les ménages, des adolescentes de 14 ans sont contraintes à des mariages illégaux et à travailler « pour le sucre » avec leurs maris. Des enfants, parfois âgés de 10 ans, participent aussi à l’épuisant labeur dans les champs, mais il faut veiller sur eux. Transférer la responsabilité des jeunes filles à un mari soulage leurs parents. Et puis, un couple, appelé « koyta » dans le langage des fermes du sucre, gagne plus.  

Les courtiers qui fournissent des travailleurs à l’industrie du sucre font pression pour que des filles tout juste nubiles soient mariées, et paient parfois le mariage. Une participation au « mariage de la canne » comme on appelle ces unions, qui devra bien sûr être remboursée par les familles. 

Les familles d’ouvriers agricoles commencent la saison de la coupe et du ramassage de la canne avec une dette à rembourser. Chaque jour de travail manqué alourdit la dette et les règles douloureuses, tout comme un suivi médical, sont un problème pour les ouvrières.  

De plus, ceux qui les exploitent voient les menstruations féminines d’un mauvais œil, car une femme qui a ses règles, même si elle n’est pas empêchée d’être dans les champs, risque d’avoir des petits maux qui nuisent à son efficacité.  

Quant aux éventuelles grossesses, elles impliquent des visites médicales qui ont un coût lourd et des absences au travail. Et comme les filles sont mariées très jeunes, elles ont de toute façon des enfants dans la plupart des cas. 

Et puis, dans les fermes, pas d’accès à des toilettes, ni à de l’eau. Changer des protections hygiéniques onéreuses est un souci et pas question de se laver les mains. 

L’industrie sucrière du Maharastra a donc trouvé une façon radicale pour résoudre tous ces problèmes : on encourage de façon très appuyée les femmes à se faire enlever l’utérus. Des femmes de 30 ou 40 ans se retrouvent ainsi stérilisées, avec un risque accru de ménopause précoce et donc d’ostéoporose, de caillots, de problème cardio-vasculaire et autres maladies. Des médecins peu scrupuleux ont trouvé là une manne, les employeurs paient les opérations, alourdissant ainsi la dette de travailleuses à pied d’œuvre tout le mois, bref tout un petit monde y trouve son compte. On estime qu’une femme sur cinq, et certaines études parlent d’une sur trois, a subi une hystérectomie dans la région. 

Coke et Pepsi préoccupés, mais pas au point d’agir efficacement. 

Le sucre est vendu à des sociétés comme Coke et Pepsi, qui ont toutes les deux des usines dans la région. Les multinationales n’ignorent pas la situation sociale désastreuse des forçats du sucre, nous apprend le New York Times et The Fuller Project. Des rapports internes en attestent.  

Pepsi a déclaré dans un communiqué que « La description des conditions de travail des coupeurs de canne à sucre dans le Maharashtra est profondément préoccupante », expliquent le quotidien américain et l’association. 

Et des consultants de Coke ont observé que des enfants travaillent dans les champs, dénoncent encore les journalistes. D’ailleurs, ils nous apprennent que la multinationale a déclaré soutenir un programme visant à « réduire progressivement le travail des enfants en Indes » et que Coke et Pepsi ont « publié des codes de conduite interdisant aux fournisseurs et aux partenaires commerciaux d'utiliser le travail des enfants et le travail forcé. » 

Dans les faits, les multinationales seraient plus préoccupées par le contrôle de l’efficacité de leurs chaines de production que par le respect de leurs « codes de conduites ».  

Les inspecteurs des groupes ne se rendent quasiment jamais dans les champs. Et le cadre d’un fournisseur de sucre, franchisé par les deux sociétés, affirme aux journalistes américains que, si « les représentants des entreprises de soda peuvent être scrupuleux quand ils posent des questions relatives à la qualité du sucre, l'efficacité de la production et les questions environnementales », ils n’abordent quasiment jamais les problèmes que soulèvent les conditions de travail dans les fermes. 

Sanjay Khatal, le directeur général d'un grand groupe de lobbying pour les sucreries,explique quant à lui qu’une amélioration des avantages sociaux octroyés aux ouvriers du sucre augmenterait les coûts d’une façon telle que cela « mettrait en péril l’ensemble du système ». 

Il est à souligner que même si les conditions de travail sont souvent moins mauvaises dans les usines que dans les champs, il est reproché à nombre d’entre elles de ne pas mettre de toilettes et de l’eau à disposition des ouvriers. 

Le gouvernement a bien cherché à mettre en place des règles visant à limiter les hystérectomies médicalement inutiles dans l’État du Maharashtra, mais elles se révèlent largement inopérantes et de nombreuses jeunes femmes continuent d’être mutilées. 

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