Financement de la Défense avec l’épargne des Français : la proposition de loi adoptée par le Sénat dans une troisième tentative

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France-Soir
Publié le 11 mars 2024 - 10:35
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Utilisée jusque-là pour le financement du logement social, l’épargne du Livret A et du Livret de développement durable et solidaire (LDDS) pourrait bientôt servir à financer les entreprises de défense nationale. La proposition de loi a été adoptée mardi 5 mars 2024 par le Sénat dans le cadre de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, “pour faire face à toute menace sur la paix et la stabilité” dans le contexte de la guerre en Ukraine. Le texte, adopté à 244 voix contre 34, suscite la polémique. 

Cela fait des mois que cette solution est envisagée pour financer l’industrie de la défense, en difficulté depuis l’invasion russe. Le Parlement a déjà adopté un pareil dispositif, mais le Conseil constitutionnel l’avait censuré par deux fois, dont une dans le cadre du projet de loi de finance, passé sans le vote des députés, c’est-à-dire par un 49.3 de l’ancienne Première ministre, Elisabeth Borne. Cette fois-ci, la droite espère voir son texte passer, après un vote à l’Assemblée nationale.  

Un “oui” majoritaire 

C’est Pascal Allizard, sénateur du Calvados chez Les Républicains (LR), qui est l’auteur de la proposition de cette loi. Lors de la séance du 5 mars, il s’est alarmé quant à “l’incapacité” de “l’outil militaire et industriel de faire face à toute menace sur la paix et la stabilité”. Le transfert d’une partie de l’épargne du Livret A se justifie, selon lui, par la “guerre de saturation et d'attrition” que mènent les Russes en s’appuyant sur “des moyens hybrides multiples”, mais également par “les grandes difficultés” de l’armée britannique. “Quant aux Américains, ils pourraient revoir leur soutien à l'Europe après la présidentielle de 2024”, poursuit-il.  

Sur 342 votants, le “oui” l’a remporté à hauteur de 244 votes contre 34 “non”. Les groupes LR, RDPI (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, anciennement groupe La République en marche), RDSE (Rassemblement démocratique et social européen) et celui des Indépendants ont voté en faveur de la loi, après plusieurs amendements. 

Ceux-ci visaient à “préciser le dispositif pour que le nouveau fléchage vers les entreprises de la défense ne conduise pas à diminuer les parts des ressources collectées au titre du livret A et du LDDS aujourd’hui affectées au financement de la transition énergétique et de l’économie sociale et solidaire”, explique-t-on.  

Actuellement, environ 60% des fonds de ces deux épargnes sont alloués au logement social. Le pourcentage restant est dédié à la transition énergétique, à l’économie sociale et solidaire ainsi qu’au soutien des PME.  

Pour Vanina Paoli-Gagin, sénatrice du groupe Les Indépendants, ce texte est  “une solution efficace à court terme pour accélérer le passage à une véritable économie de guerre". Dans l’opposition, c’est la polémique. Les socialistes se sont abstenus lors du vote et leur sénateur, Rachid Temal, a plaidé pour un produit dédié, à savoir un "Livret d'épargne défense souveraineté", dans le but de garantir plus de "clarté et de transparence". La proposition, déjà envisagée par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a été rejetée par le Sénat.  

Une “tentative de flibusterie” 

Mais dans les groupes communiste et écologiste, qui ont voté contre le texte, le ton est plus acerbe. “C’est un appel à l’épargne pour embrigader l’opinion et l’impliquer dans une guerre qui deviendrait inéluctable, en harmonie avec les propos d’Emmanuel Macron. Nous restons mobilisés pour faire échouer cette proposition de loi et toutes celles qui s’attaqueront à l’épargne populaire”, affirme-t-on. 

Pour les communistes, cette loi a été adoptée “au mépris d’une conception historique du rôle de l’épargne dans le financement de l’intérêt général”. Le transfert d’une partie de l’épargne du Livret A et du LDDS n’est pas justifié de leur avis, “de l’aveu même de la Banque de France, de la Direction générale du Trésor et… des banques elles-mêmes !”.  

Ils estiment que ce projet est un “refus de l’impôt, notamment des plus riches, seul vecteur légitime et démocratique pour financer la défense de notre territoire”. “L’effort de guerre, prôné par les auteurs de la proposition, se détourne de la solidarité nationale en spoliant les petits porteurs qui ignorent où disparaît leur épargne, faute de transparence du réseau bancaire”, ajoute-t-il.  

Le sénateur écologiste, Thomas Dossus, dénonce une “flibusterie”. “Les Français n'investiraient pas suffisamment dans un produit consacré à la défense, mais aujourd'hui on ne leur demande même pas leur avis”, a-t-il dénoncé. Il accuse la droite de vouloir “financer les marchands de canons en prenant dans le livret avec lequel les Français pensaient financer le logement ou le développement durable". 

L’adoption par le Sénat de ce dispositif, bien qu’envisagé en 2023, intervient peu après les déclarations du président Emmanuel Macron, qui a affirmé que l’envoi de troupes européennes, françaises particulièrement, ne pouvait pas "être exclu". Des déclarations assumées plus tard à Prague, appelant ses alliés à “ne pas être lâches” devant la Russie, “devenue inarrêtable”.  

Sa sortie, aussi rejetée en France que chez ses alliés, européens ou outre-atlantiques, est interprétée par certains, surtout après l’adoption sénatoriale de cette loi sur l’épargne du Livret A, comme une préparation à une confrontation directe entre l’OTAN et Moscou. Celle-ci est, depuis de nombreux mois, sur toutes les lèvres des hauts dirigeants européens. 

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