Les mesures dites sanitaires ont été inutiles et dommageables, selon les meilleurs experts : comment sortir de l’impasse  ?

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Jean-Dominique Michel, pour FranceSoir
Publié le 04 novembre 2022 - 17:25
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"Le jeu politique actuel semble être, tout en reconnaissant commodément que « rien n'est jamais parfait », de résister à tout prix à ce que la réalité des défaillances, des erreurs, voire des fautes s’il y en a eu, puisse être mise en lumière."
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TRIBUNE - John Ioannidis est l’une des grandes figures actuelles de l'épidémiologie. S’étant fait connaître en 2005 par un article intitulé « Pourquoi la plupart des résultats de recherche sont faux », rapidement devenu le plus téléchargé de la prestigieuse Public Library of Science, il avait alors ouvert un important et fécond débat autour de la qualité de la production scientifique.

Professeur de médecine, d’épidémiologie et de santé des populations ainsi qu’en sciences des données médicales à l'Université de Stanford, co-directeur du Meta-Research Innovation Center at Stanford (METRICS), Ioannidis est actuellement considéré comme la référence mondiale en matière d'épidémiologie et de santé publique. Homme humble et discret, il n'apparaît que rarement dans la presse ou sur les médias sociaux. Par contre, sa production scientifique est remarquable et figure parmi les plus citées par d'autres chercheurs.

Le Pr Ioannidis n'est pas resté inactif au cours de la crise du Covid-19. Il indiqua dès le 17 mars 2020 que nous étions probablement en train de nous orienter vers un fiasco sans précédent dans le recueil de données médicales. L'absence de catégories claires, le fourre-tout des morts « déclarés COVID » sans tenir compte des causes de décès, les errements autour de l'utilisation des tests PCR et des « cas asymptomatiques » lui firent dire très tôt que nous manquions des bons indicateurs pour évaluer la gravité de l'épidémie et la pertinence des mesures mises en œuvre.

En avril 2020, il donna pourtant avec une précision remarquable l'ordre de grandeur de la létalité du Sars-CoV-2, établissant qu'il n'était pas particulièrement inquiétant au regard des épidémies respiratoires habituelles. Ces analyses seront confirmées quelques mois plus tard et reprises très officiellement par l'OMS, puis encore révisées à la baisse récemment.

En juillet 2020, il livra (avec des collègues italiens) une analyse de la fameuse situation en Italie du Nord, qui frappa les esprits en donnant un signal très inquiétant quant à la dangerosité du nouveau coronavirus. Les auteurs montrèrent qu’il s’agissait d’un effet circonstanciel dû à une convergence de paramètres. Le fait qu'aucune autre région de l'Italie ne connut ni avant ni après de situation comparable confirma leur analyse.

Surpris comme tous les connaisseurs par l'imposition de mesures de contrainte reconnues dans la littérature comme étant inefficaces et destructrices (du fait des dommages collatéraux inévitables), il produisit en décembre 2020 avec différents collègues une analyse comparative à partir de 63 pays et territoires confirmant l’inefficacité de ces mesures.

Un principe cardinal en santé publique, systématiquement transgressé depuis mars 2020, stipule que l'on ne peut imposer des mesures coercitives et potentiellement dommageables à la population qu’à la condition expresse qu'elles soient absolument nécessaires et assurément efficaces.

Ici, ce principe a été purement et simplement abandonné : on a imposé une succession de mesures de contrainte d’une agressivité sans précédent, sans avoir la moindre garantie qu’elles serviraient réellement à quelque chose, et alors même que nous avions l’exemple que différents États s’en abstenaient sans que leurs résultats soient particulièrement problématiques, bien au contraire.

Cet article fit l'objet d'une campagne de dénigrement violente, que Ioannidis prit avec sa modestie habituelle et une certaine philosophie. Il témoignera toutefois n’avoir jamais été confronté à une telle agressivité de la part de ses confrères du monde académique et de la presse.

Bilan après plus de deux ans de crise Covid

Une année et demie plus tard, John Ioannidis vient de publier un autre article dans la revue Frontiers in Public Health avec ses collègues Michaéla Schippers (de l’Université de Rotterdam) et Ari Joffe (de l'Université d’Edmonton). Ces trois experts se questionnent exhaustivement sur l'évaluation des effets des mesures appelées « interventions non pharmaceutiques » (INP), des dommages qu’elles ont causés et des conditions dans lesquelles elles ont été imposées.

Cette catégorie regroupe toutes les mesures non médicales, incluant les confinements, les fermetures d'écoles, de commerces, de restaurants, d’administrations et d’entreprises, les restrictions de mouvements (fermetures de frontières, couvre-feu), l'utilisation massive de tests PCR, les dispositifs de traçage, l'imposition du port du masque, etc.

S'ils relèvent prudemment que certains experts estiment que ces mesures ont été utiles et proportionnées, les auteurs soulignent que :

a. Elles n’étaient prévues dans aucun plan pandémie du fait qu'elles avaient été évaluées de manière répétée comme étant sans efficacité probante et dommageables (y compris en 2019 par l'OMS).

b. Les méta-analyses les plus solides confirment cette absence d’utilité ainsi que la gravité des dégâts qu'elles causent.

c. Les quelques études affirmant l'inverse se caractérisent par un degré de validité scientifique extrêmement faible.

Les auteurs recommandent donc fermement de mettre un terme aux mesures qui seraient encore en vigueur et que leur réadoption à l'avenir soit évitée au profit de mesures « non-perturbatrices ». S’appuyant sur plus de 400 références scientifiques, ils s'interrogent sur le processus collectif qui a conduit à l'adoption généralisée (en tout cas dans les pays développés) de mesures douteuses, en relevant au passage un certain nombre de motifs pertinents.

Ils constatent ainsi que dans les temps de grande insécurité, les populations tendent à attendre des réponses autoritaires de la part des gouvernements, ceux-ci pouvant dès lors être tentés d'y répondre en s’écartant des bonnes pratiques, et en entretenant de fait à la fois un état de peur déraisonnable et une injonction dogmatique d'adhésion aux mesures autoritaires.

On a ainsi assisté à un mouvement de masse conduisant à la stérilisation du débat scientifique et démocratique, avec une agressivité exacerbée de la part de la majorité contre les minorités contestant la pertinence des mesures, dans des processus de psychologie sociale typique des moments totalitaires. Les auteurs soulignent qu'il n'est pas besoin de présupposer d'intention délibérée à ce phénomène, la combinaison de la perception exagérée d'un danger et d'une confiance quasi aveugle à des solutions présentées faussement comme nécessaires et efficaces suffisant à rendre compte de ce glissement.

Celui-ci conduit alors à des processus de prise de décision centralisés, portés par un récit unique et mettant donc inévitablement en échec l'intelligence collective. On a, par exemple, mis en avant un « consensus scientifique » qui dans la réalité n'existait pas, en censurant ou en dénigrant les experts (même hautement compétents) qui se risquaient à contredire le narratif dominant.

Cette distorsion dans la perception du risque avec l’imposition (par les gouvernants, les experts « autorisé » et les médias) d’une véritable idéologie « sanitaire » ont empêché de poser un regard lucide et équilibré sur les effets des politiques mises en œuvre. Celles-ci ont en particulier frappé de plein fouet les groupes de population les plus vulnérables en aggravant tout un ensemble d'inégalités économiques, sociales, éducatives, de genre, etc.  

Les auteurs insistent sur le fait qu'ils n’inscrivent pas leur analyse dans une logique de blâme et que leur but n'est pas d'entretenir la polarisation et les clivages malsains qui se sont développés au sein de la société.

Ils insistent en revanche sur le fait qu'il est incontournable de procéder à une évaluation honnête et exhaustive des mesures qui ont été prises et des processus qui les ont fondés.

Une évaluation honnête est-elle possible ?

À la question « aurions-nous pu faire mieux ? », les auteurs apportent une réponse clairement affirmative. En particulier, le processus décrit sous le terme de « gestion des urgences » (GU) a largement été mis en échec par la dérive autoritaire des réponses publiques, qui n'ont pas tenu compte adéquatement des données observables, ni respecté les bonnes pratiques en santé publique.

Il est nécessaire selon eux de sortir de cette dynamique de domination et de pensée unique pour prendre le chemin d'une guérison collective. Ceci passerait par le fait de restaurer des processus communautaires à la place d’injonctions pyramidales, en réouvrant l'espace d'un dialogue respectueux, intelligent, et donc naturellement ouvert à une diversité d'analyses et d'opinions. L’absence de prise en considération des besoins de santé globaux de la population (et non d’un seul paramètre comme la circulation d’un virus par ailleurs sans danger pour la population de moins de 70 ans) a constitué un non-sens sanitaire grave et particulièrement destructeur

Les politiques dites sanitaires imposées depuis 2020 ont créé un énorme choc provoquant un état traumatique accompagné d’une perte de sens au sein de la population. L’orientation de l'agressivité résultante vers des groupes désignés comme ennemis (qualifiés d’antivax, de complotistes ou de corona-sceptiques) est un processus habituel de déchargement du stress contre des groupes sociaux stigmatisés en période de haute incertitude.

Il est temps, proposent Ioannidis, Schippers et Joffe, de sortir de cette manière de faire, qui aura conduit les responsables politiques comme les agences de santé à se détourner de la connaissance et des bons principes en santé publique pour se lancer dans des politiques sanitaires destructrices, a fortiori pour les groupes les plus vulnérables de la population.

Leur article nomme d'une manière claire et documentée les problèmes et dérives qu'un certain nombre d'experts ont essayé de soulever depuis trois ans en essuyant en retour des attaques et des campagnes de dénigrement insensées.

Ce qui compte à ce stade est la manière dont nos instances dirigeantes pourront ou non accepter de prendre enfin du recul pour évaluer honnêtement les effets des mesures imposées.

Les auteurs soulignent dans leur article à quel point la réflexivité nécessaire à la qualité des processus décisionnels a fait défaut. Les experts des agences de santé aussi bien que les responsables politiques ont perdu en cours de route l'ouverture d'esprit nécessaire à questionner leurs décisions à la lumière des données observables.

C'est donc un enjeu majeur que de retrouver le chemin de cette réflexivité, là où malheureusement le jeu politique actuel semble être, tout en reconnaissant commodément que « rien n'est jamais parfait », de résister à tout prix à ce que la réalité des défaillances, des erreurs, voire des fautes s’il y en a eu, puisse être mise en lumière.

Le ton posé, mesuré et nuancé de cet article en fait une production de choix à partager avec toutes les personnes ayant conservé une ouverture d'esprit et un esprit critique suffisants.

Ces qualités étant malheureusement les premières à être mises à mal dans les phénomènes de masse comme celui que nous avons vécu, il n'en est que plus urgent que nous restaurions les conditions d'un dialogue respectueux et constructif favorisant cette intelligence collective qui nous a tant manqué depuis mars 2020.

 

Jean-Dominique Michel est anthropologue médical, expert en santé et membre du Conseil scientifique indépendant.

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