Un par un

Auteur(s)
Michel Rosenzweig, pour FranceSoir
Publié le 04 octobre 2022 - 19:20
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Le massacre de Babi Yar, en 1941.
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La population allumait des bougies à Kiev, en hommage aux victimes du massacre des juifs de Babi Yar en 1941.
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TRIBUNE - "Tant que vous tous n'aurez pas résolu le problème de celui qui a tout commencé, qui a déclenché cette guerre insensée contre l'Ukraine, vous serez tués un par un, devenant des boucs émissaires, parce que vous n'admettez pas que cette guerre est une erreur historique pour la Russie", a déclaré Volodymyr Zelensky lors de son allocution quotidienne samedi 1er octobre 2022.

Un par un.

Depuis ce samedi 1er octobre 2022, cette phrase tourne en boucle sur la plupart des chaînes d'infos, certains journalistes la reprenant avec une mine exprimant au minimum la gêne, tout de même, c'est un peu violent disent-ils.

Un par un.

Oh, évidemment, cette phrase est extraite de son discours, certes, mais quand même, "un par un".

Te souviens-tu, président Zelensky, c'était le 29 et le 30 septembre 1941, juste avant le 1er octobre 1941, il y a 81 ans : plus de 33 000 juifs étaient exécutés dans le ravin de Babi Yar, près de Kiev. Il s'agit de l'un des plus importants meurtres de masse perpétrés au cours de la Seconde Guerre mondiale.

33 000 en 24 heures.

Et sais-tu comment ces juifs ont été assassinés, rien que parce qu'ils étaient juifs ?

Par balle, une par personne, un par un.

Au moins 33 000 balles tirées à bout portant.

C'est justement pour cette raison que les historiens ont appelé ces crimes "la Shoah par BALLE".

Lire aussi : "Des Sudètes au Donbass: de la tragédie à la farce".

En janvier 1946, Dina Pronicheva témoigne à la barre d'un tribunal de Kiev, en Ukraine. Elle est l'une des rares survivantes du massacre de Babi Yar.

"Un policier m'a dit de me déshabiller et m'a poussée au bord de la fosse où un autre groupe attendait son destin. Mais avant que la fusillade ne commence, j'ai eu tellement peur que je suis tombée dans la fosse. Je suis tombée sur les morts. Au début, je ne comprenais rien : où étais-je ? Comment étais-je arrivée là ? J'ai cru devenir folle. L'exécution continuait et les gens tombaient toujours. J'ai retrouvé mes esprits et j'ai tout compris. J'ai palpé mes bras, mes jambes, mon ventre, ma tête. Je n'étais même pas blessée. J'ai fait semblant d'être morte. Je me trouvais au-dessus de gens tués ou blessés. Certains respiraient, d'autres gémissaient. Soudain, j'ai entendu un enfant crier ‘Maman'. On aurait dit ma petite fille. J'ai fondu en larmes."

Le 19 septembre 1941, Kiev tombe aux mains de l'armée allemande. Près de 100 000 juifs ont réussi à fuir la cité ukrainienne. Pour ceux qui restent, c'est le début du cauchemar. Alors que des explosions ont lieu dans la ville, les autorités d'occupation décident en représailles d'exterminer les juifs de la ville. Ces derniers sont invités à se présenter le 29 septembre près d'une station de train, à la lisière de Kiev, afin d'être "réinstallés" ailleurs. Des affiches sont placardées. Les récalcitrants sont menacés de mort. C'est un piège.

Hommage Babi Yar.

 AFP : À Kiev, la population allume des bougies, en hommage aux victimes du massacre des juifs de Babi Yar en 1941.

Nombre d'entre eux se rendent à cette convocation. Un triste défilé commence.

Tous sont conduits vers Babi Yar, qui signifie "ravin de la vieille femme" ou "ravin de la grand-mère". "C'était un réseau de fossés à l'extérieur de la ville. C'était un polygone de tir un peu excentré, à l'abri des regards. Des personnes y avaient déjà été fusillées par les troupes du NKVD soviétique auparavant".

On demande aux gens de prendre avec eux des objets qui leur semblent importants. Il y a ensuite un poste où ils doivent laisser leur pièce d'identité, un autre leur baluchon et enfin un dernier où ils doivent se déshabiller.

Les victimes sont alors conduites par petits groupes dans le ravin. Des membres de l'Einsatzgruppe C – une unité mobile d'extermination –, assistés par deux régiments de police et des nationalistes ukrainiens, ouvrent le feu.

Les tirs se poursuivent toute la journée et le lendemain.

En deux jours, 33 771 victimes, principalement des juifs, sont assassinées, selon les rapports envoyés à Berlin par l'Einsatzgruppe C. "Cette tuerie a pu avoir lieu en très peu de temps, car la plupart de ceux qui l'ont commise avaient déjà participé à des meurtres de masse. Ils étaient très coordonnés entre eux et secondés", décrit l'historien Karel Berkhoff, professeur à l'Institut d'études sur la guerre, la Shoah et le génocide, basé à Amsterdam.

Un par un.

Oh, mais attends président Zelensky, tu es juif. Ta mère et ton père sont juifs. Donc, tu ne peux pas ne pas savoir que ces juifs ont été assassinés "un par un".

Alors pourquoi emploies-tu cette expression ?

Parce que c'est la guerre, répliquent les pros ukrainiens.

Ah oui, c'est la guerre.

Et si le président russe l'avait prononcée cette phrase, ou un de ses généraux ?

Que n'aurait-on pas entendu ?

Oui, mais Poutine a déclenché la guerre en envahissant l'Ukraine, sans état d'âme, et il commet des crimes de guerre.

Certes.

Et alors ?

Tu prétends mener cette guerre au nom des valeurs de l'Occident démocratique, c'est bien cela ?

Et tu dis même que cette guerre, c'est aussi la nôtre et que les Ukrainiens se battent aussi pour nous, pour défendre la démocratie et les droits de l'homme.

Tu vas même jusqu'à prétendre qu'après l'Ukraine, ce sera nous.

Et il faut te croire sur parole puisque tu es bon et que tu es dans le camp du Bien.

Soit.

Mais quand même, "un par un", était-ce bien nécessaire?

Certains pros ukrainiens ici et ailleurs persistent en noyant cette phrase dans une argumentation oiseuse, vous comprenez, il faut remettre la phrase dans son contexte et puis c'est la guerre et à la guerre comme à la guerre et c'est de bonne guerre.

Oui, mais voilà, moi cette phrase, elle résonne dans l'écho de Babi Yar.

Tu aurais pu dire autre chose : "Attention soldats russes vous allez vous faire tuer, n'y allez pas".

Ou tu aurais pu éviter de préciser "un par un" et dire juste : "Vous allez vous faire tuer".

Mais non, tu as choisi une autre formulation, à dessein.

Est-ce ton inconscient exposé au grand jour, exacerbé par le stress de la guerre et l'excès de substances stimulantes ?

Attention, ta maman ne t'a pas dit que la drogue, c'est mal ?

Est-ce l'inconscient collectif du nationalisme ukrainien qui s'échappe à cause de la trop grande pression ?

Tu vois président Zelensky, si ta guerre de libération est juste, il faudrait également que tes mots soient justes, car mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde, disait le père Camus,

Encore un effort pour être en accord avec les valeurs que tu prétends incarner.

Un par un, c'est laid, très laid.

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