L’Inde, une puissance d’hier et de demain (Partie 2)

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Catherine Roman, pour France-Soir
Publié le 07 février 2024 - 17:19
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L'Inde cherche à devenir un acteur incontournable du Sud global.
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III – L’Inde dans le monde multipolaire naissant 

Le gouvernement de Narendra Modi poursuit une politique étrangère "désidéologisée" axée sur les intérêts nationaux. L’ordre mondial change et l’Inde, dans ce cadre, cherche à maximiser ses intérêts et à jouer un rôle plus important en matière de stratégie et de sécurité. 

A. L’Inde et les Etats-Unis

L’Inde est en train de devenir l’un des partenaires étrangers les plus importants des USA en tant que rempart contre la Chine selon les analystes US. L’agenda américano-canadien des Five Eyes vise à brimer l’autonomie stratégique de l’Inde. Mais, de manière concomitante, le ministre indien des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, a mis en garde les Etats-Unis à savoir que ceux-ci ne devaient pas formuler d’exigences irréalistes sur les politiques indépendantes de l’Inde ou remettre en question les intérêts fondamentaux indiens. Les déclarations du ministre Jaishankar ont clairement indiqué que les relations de l’Inde avec la Russie n’étaient pas négociables (même si les USA font miroiter des investissements américains de défense et d’industrie pour essayer d’attirer l’Inde dans leur giron). 

Au cours des dernières années, Narendra Modi a joué un délicat numéro d’équilibriste entre ses alliances avec la Russie et l’Occident. Malgré les efforts répétés de l’administration Biden et des responsables britanniques, le Premier Ministre indien a refusé de se joindre aux sanctions contre le commerce russe, et surtout le commerce du pétrole, malgré les menaces répétées des Etats-Unis de conséquences. 

Aujourd’hui, une série d’événements ciblés : 

  • attaque contre Narendra Modi et son principal bailleur de fonds, Gautam Adani, par une société financière obscure de Wall Street, Hindenburg Research, créée en 2017 et soupçonnée d’avoir des liens avec le renseignement US
  • reportage à charge de la BBC sur la base de renseignements non publiés du ministère des Affaires Etrangères britannique

et au timing suspect suggère qu’une déstabilisation anglo-américaine est en cours pour renverser Narendra Modi dans les mois à venir (il doit faire face à une élection nationale au printemps 2024 ).

Comme une indication supplémentaire que Washington et Londres cherchent à changer le régime en Inde, George Soros, s’exprimant le 17 février 2023 à la Conférence annuelle de Munich sur la sécurité, a déclaré, de manière sinistre, que les jours de Narendra Modi étaient comptés. Or, George Soros a été impliqué dans toutes les révolutions de couleur depuis les années 1980… 

Les chances d’une révolution de couleur en Inde en 2024 semblent toutefois faibles étant donné l’immensité du pays, sa diversité et ses traits civilisationnels. Et sans compter sur l’état de sécurité nationale… 

B. L’Inde et la Russie

L’Inde possède également un partenariat stratégique spécial, privilégié, avec la Russie et favorise depuis le début de l’opération spéciale en Ukraine la voie de la diplomatie et du dialogue. L’Inde refuse d’être l’otage de la guerre par procuration de l’OTAN. Avec la rupture des liens de la Russie avec l’Occident et son pivot vers l’Asie, de vastes opportunités s’ouvrent à l’Inde. Le pays souhaite notamment renforcer son partenariat avec la Russie sur les questions arctiques et dans le domaine de l’énergie. En plus de l’énergie, l’Inde a également réalisé d’importants investissements en Extrême-Orient dans les domaines de la pharmacie et des diamants. Le pays est le plus grand centre de taille et de polissage de diamants au monde alors que la société russe, Alrosa, est la plus grande société d’extraction de diamants au niveau international. L’industrie indienne du diamant, basée à Bombay et à Surat, compte une main-d’œuvre estimée à un million de personnes. 

La Russie peut aussi devenir un partenaire important pour l’industrie sidérurgique indienne grâce à la fourniture de charbon de coke. L’Inde a d’énormes besoins en charbon de coke, en technologies d’extraction et de lavage de ce minerai, ce qui est essentiel pour l’autonomie de son industrie sidérurgique. Les réserves de charbon de la Russie se classent au deuxième rang mondial et représentent 16 % des réserves internationales totales. 

En plus d’être un membre des BRICS+, l’Inde est également, et de longue date, un important acheteur d’équipements de défense russes. 

Maintenant son principe strict de neutralité depuis l’époque de la guerre froide, l’Inde a la Russie comme plus grand fournisseur de pétrole brut. Une partie de ce pétrole russe est raffinée en Inde et réexportée vers l’Union européenne. Comme il a été rappelé également à Josep Borrell, le chef de la politique étrangère de l’Union européenne, une fois raffiné, ce pétrole brut russe est traité comme un produit indien et, de plus, les mesures de l’U.E. n’ont aucun effet extraterritorial. L’Inde importe également des engrais, de l’huile de tournesol et divers autres produits. 

La proposition russe d’utiliser ses vastes recettes d’exportation, provenant des ventes de pétrole à l’Inde, en investissant les fonds dans l’industrie manufacturière indienne pour en exporter les produits vers la Russie , l’accord sur l’adoption du système de messagerie russe pour les paiements transfrontaliers, l’acceptation des cartes de crédit indiennes RuPay et UPI en Russie et des cartes russes MIR, l’opérationnalisation du corridor maritime reliant Vladivostok et Chennai témoignent de la volonté des deux pays de mettre en place les bases nécessaires à une expansion massive de leurs relations commerciales et économiques dans un avenir proche. C’est également pour faire face au débranchement de la Russie du système SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) que celle-ci a créé avec l’Inde et la Chine le système SPFS qui fonctionne également avec l’Iran. 

Il existe entre l’Inde et la Russie une grande complémentarité ce qui ne nuit pas non plus à la Chine, la Russie et la Chine étant également des Etats civilisationnels. L’ingéniosité indienne réside dans la création d’une synergie à partir du triangle dynamique Russie-Inde-Chine (RIC) qui pourrait développer un environnement optimal pour que ses politiques étrangères puissent fonctionner au niveau régional et mondial. La Russie est bien placée pour créer une dynamique dans le triangle RIC avec ses liens approfondis à la fois avec la Chine et l’Inde. 

C. L’Inde et l’Iran

Même si New Dehli a semblé ne pas trop avancer ces dernières années sur le projet INSTC, la zone industrielle de libre-échange iranienne Chabahar avec ses deux ports stratégiques, Shahid Beheshti et Shahid Zalantari, est toujours au cœur de ce projet qui devrait reconnaître un regain d’intérêt en 2024 face au corridor dit de Zangezur (de l’Azerbaïdjan à la Turquie en passant par l’Arménie). Ce corridor dit de Zangezur est privilégié par l’oligarchie européenne et britannique. 

Il est à noter de profondes affinités historiques, culturelles et civilisationnelles entre l’Iran et l’Inde et la volonté partagée des responsables politiques d’indépendance stratégique des deux pays qui sont un terrain propice au développement de la coopération bilatérale (énergie, transports et transit de marchandises, technologie et transactions bancaires).

D. L’Inde et l’Afrique

L’Inde a prêté à 42 pays africains un total de 32 milliards de dollars sur dix ans. L’Export Import Bank indienne est un instrument de la diplomatie économique indienne avec l’ouverture de 195 lignes de crédit pour des projets dans les domaines de la santé publique, des infrastructures, de l’agriculture et de l’irrigation. Sous la direction de l’Inde, en septembre 2023, il est à noter également que l’Union africaine, regroupant 55 Etats et siégeant à Addis-Abeba, est devenue membre du G20. 

E. L’Inde et Israël

Outre le corridor India-ArabMed (cf. ci-dessous, paragraphe F) et le Quad-2 (paragraphe III – A), Israël et l’Inde ont une vaste expérience de la coopération militaro-technique bilatérale. L’Inde est devenue l’un des plus gros acheteurs d’armes et d’équipements militaires produits par Israël.

F. L’Inde et les nouvelles routes du commerce international

  • Le Corridor de transport International Nord-Sud (INSTC)

La Russie a mis en place une nouvelle route commerciale vers le sud, via la mer Caspienne, l’Iran et l’Inde appelée Corridor de transport Nord-Sud. L’INSTC a été lancé en 2000 pour relier la mer Baltique à l’océan Indien. Il a été conçu comme un réseau de transport multimodal de 7 200 kilomètres de long comprenant des voies maritimes, routières et ferroviaires.

Il s’agit d’une route commerciale internationale perpendiculaire à la nouvelle route de la soie chinoise, allant d’est en ouest. Certains prédisent un boom économique pour les pays le long de cette nouvelle voie commerciale (Inde, Turkménistan, Azerbaïdjan, Asie centrale avec l’Irak et l’Iran).

  • Le corridor arabo-méditerranéen (India -ArabMed) qui permettra avec l’aide des Etats-Unis d’envoyer des marchandises indiennes via les corridors de transport israélo-arabes vers la Grèce, l’Egypte, la Turquie et d’autres pays. Cette initiative est un concurrent direct de l’initiative de la Belt and Road de la Chine.

G. L’Inde dans les grandes organisations internationales, facteur d’émergence d’un monde multipolaire

D’après le ministre indien des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, il existe trois axes principaux dans la politique étrangère de l’Inde : 

La primauté de l’intérêt national et une approche politique réelle du monde. L’Inde n’a pas d’alliés mais des partenaires, avec lesquels elle négociera au cas par cas.

a. L’Inde veut être au centre du grand jeu géopolitique et profiter des rivalités entre les grandes puissances. En même temps, elle veut se rendre incontournable dans les décisions mondiales.

b. Les contradictions à la stratégie multipolaire pouvant voir le jour doivent être exploitées au maximum. Les partenaires peuvent être aussi bien la Russie que les Etats-Unis, la Chine, le Japon…

1. L’OCS (Organisation de Coopération de Shanghaï) qui comprend la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, l’Inde, le Pakistan et l’Iran.

Le sommet de l’OCS qui s’est tenu en Inde début juillet 2023 a prouvé l’intérêt grandissant de New Delhi pour l’Iran et l’adhésion iranienne à l’organisation a été actée lors de cet événement. 

2. Les BRICS + (Brésil, Russie, Inde, Afrique du Sud, Egypte, Ethiopie, Iran, Arabie Saoudite, Emirats arabes unis).

L’objectif des BRICS+ est en ligne avec la politique étrangère indienne qui vise à ne pas être empêché de développer des projets mutuellement bénéfiques et non dirigés contre qui que ce soit. 

3. Le G20

Le Premier ministre indien, Narendra Modi (au pouvoir depuis 2014) a assumé la présidence du G20 en septembre 2023.

4. Les ambitions du pays à l’ONU 

Selon Rajnath Singh, ministre indien de la Défense, l’Inde, pays le plus peuplé au monde (y vit un sixième de l’humanité), mérite à juste titre une représentation permanente au sein du Conseil de sécurité réformé et élargi de l’ONU en prônant un multilatéralisme constructif et coopératif et en unissant les efforts conjoints pour la paix et la prospérité. 

H. L’Inde et l’Asian Clearing Union (ACU), alternative au système SWIFT

Créé en 1974, l’ACU regroupe les banques centrales de l’Inde, du Pakistan, de l’Iran, du Bangladesh, du Myanmar, des Maldives, du Népal, du Sri Lanka et du Bhoutan. L’Asian Clearing Union a accepté d’utiliser le système de messagerie iranien SEPAM comme alternative au système SWIFT dans les échanges commerciaux entre les membres de l’ACU.

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