De Twitter à X, liberté ou prison dorée ?
TRIBUNE/BIG TECH – L’année dernière, Elon Musk a racheté Twitter en portant fièrement l’étendard d’une liberté d’expression absolue. Quelques mois plus tard, après avoir changé l’oiseau bleu en X, il ajoute à cela la possibilité d’y faire de l’argent. C’est à la fois alléchant, inquiétant et loin d’être terminé…
"Twitter", ça veut dire gazouillis en anglais. Gazouiller, c’est le langage des oiseaux, ou celui des bébés.
Avant qu’Elon Musk en fasse son jouet, le réseau était déjà réputé pour son rapport direct à l’actualité, ses débats enflammés et ses experts autoproclamés. Maintenant que l’oiseau bleu est devenu X et que les barreaux de sa cage ont disparu, c’est encore plus vrai. À tort ou à raison, mais toujours à fond, tout le monde s’y exprime et prend position. Sur des sujets souvent brûlants, les idées se forgent en deux temps trois mouvements et ces certitudes nouvelles donnent lieu à des conflits verbaux acharnés, la plupart du temps démesurés. Le décor est posé.
Que peut-on y gagner ?
Qu’est-ce qui fait plus d’audience que le conflit ? Et, qu’est-ce qui fait plus d’argent que l’audience ? Pour compléter le triptyque, il manquait l’ingrédient "argent". C’est bien ce qu’Elon Musk a ajouté sur X, grâce aux abonnements payants d’une part et à la rémunération des créateurs de contenu populaires d’autre part.
D’abord, pour 11 euros par mois ou 115 euros par an, l’abonnement "Twitter Blue" permet d’obtenir le petit macaron bleu à côté de son pseudo. En tant que compte "certifié", vous débloquez ainsi des fonctionnalités telles que l’édition des tweets ou l’image de profil NFT. Surtout, vous augmentez automatiquement votre visibilité et rendez possible la "monétisation". À partir de là, il vous suffit de comptabiliser cinq millions de vues par mois pendant les trois derniers mois, soit 15 millions au total, pour recevoir une rémunération de la part de l’entreprise. Cette dernière est alors calculée en fonction du nombre de publicités que les autres utilisateurs auront vues dans l’espace commentaires de vos tweets. Elle oscille entre une dizaine et quelques milliers d’euros.
Autrement dit, pour espérer faire ne serait-ce qu’un peu d’argent avec X, il faut :
- Payer tous les mois pour être "certifié" ;
- Avoir suffisamment d’audience pour générer cinq millions de vues par mois (ce n’est pas si évident) ;
- Être sûr que vos tweets génèrent des commentaires en plus d’être vus, car c’est en naviguant dans ces derniers que les internautes verront les publicités.
C’est à la fois atteignable et difficilement rentable.
Du pain et des jeux
L’important, c'est d’espérer, et de participer. Alors que les créateurs de contenu pour qui ça fonctionne commencent à rendre publique leur rémunération, que ce soit pour rigoler ou pour se vanter, d’autres les envient et se mettent à y croire.
Tout un chacun veut avoir sa chance, et cela donne naissance à une multitude de comptes sans autre objectif que de faire de l’audience et créer des débats. Divertissement, politique, actualités ou encore photos érotiques, tout est bon à essayer.
Si Twitter n’était déjà pas reconnu pour la finesse des analyses qu’on pouvait y trouver, mais plutôt pour ses débats endiablés, X sera probablement encore plus chaotique et addictif. Chacun voudra son bout de viande et publiera ce qu’il faut pour l’obtenir.
C’est bien connu, quand un peuple n’a plus de réelle préoccupation, il n’a besoin que de pain et de jeux pour survivre. En fournissant à qui veut des conflits illimités et permanents, ainsi qu’un espoir de gagner un peu d’argent, X pourrait bien devenir l’empereur des réseaux sociaux.
D’autant que le projet d’Elon Musk ne fait que commencer, puisque cette application est pensée pour dévorer toutes les autres.
L’inconnu et imprévisible X
Comme l’a fait WeChat en Chine, X a pour objectif de devenir une "super application", une "everything app" qui permettrait de se divertir, de réaliser des paiements en ligne, de prendre rendez-vous avec tel ou tel professionnel… "Il n’y a pas d’équivalent WeChat en dehors de la Chine. Vous vivez essentiellement sur WeChat en Chine. Si nous pouvons recréer cela avec Twitter, ce sera un grand succès", assurait Musk en juin 2022.
Si c’est encore un peu flou, X a déjà commencé à grignoter ses concurrents dans le domaine des communications et réseaux sociaux : en améliorant son système de messagerie directe, il fait de l’ombre à WhatsApp ; avec ses abonnements, il s’attaque aux plateformes de création de contenu payantes telles qu’OnlyFans ; avec les "lives" vidéos, il concurrence Twitch et YouTube…
À l’avenir, il y a fort à parier que Twitter aura son système de "stories" ou de "shorts" pour aller chercher les utilisateurs de TikTok, Instagram et consorts.
Puis, l’application passera un tout autre niveau en intégrant directement son système de paiement et de transactions financières. "X est l'état futur de l'interactivité illimitée - centrée sur l'audio, la vidéo, la messagerie, les paiements/la banque - créant un marché mondial pour les idées, les biens, les services et les opportunités", expliquait Linda Yaccarino, la nouvelle PDG de l’entreprise.
Alors que l’oiseau bleu est déjà un lointain souvenir, X est-elle vraiment une promesse de liberté, ou au contraire une future prison dorée ?
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