Covid 19 : Le changement d’objectif dans la vaccination se fait-il au détriment des résidents des EHPAD ?
Tribune : Les objectifs principaux de la campagne de vaccination lancée fin décembre 2020, rappelés par le Premier ministre lors de sa conférence de presse du 7 janvier 2021, étaient de faire baisser la mortalité et les formes graves dues à la Covid 19, et de préserver en conséquence les capacités hospitalières publiques et privées et d’assurer la continuité des soins.
La stratégie initialement définie par le Gouvernement en décembre 2020 était celle recommandée par la Haute Autorité de Santé (HAS) ; il s’agissait de vacciner les personnes les plus à risques, selon un calendrier bien défini en cinq phases. La première phase qui nous intéresse ici concernait essentiellement les résidents en établissements, en particulier les Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et les Unités de soins de longue durée (USLD), soit environ 750 000 personnes ; l’objectif était d’obtenir rapidement un effondrement de la mortalité puisque près de 45 % des décès liés à la Covid 19 proviennent de ces établissements (Données HAS fin décembre). Cet objectif était réalisable puisque la France devait disposer de près de 2 millions de doses pour tout le mois de janvier 2021 permettant de vacciner 1 million de sujets.
La HAS, lors de l’élaboration de la stratégie, n’a pas suffisamment pris en compte les contraintes psychologiques, techniques et logistiques pour la mise en oeuvre de la vaccination dans ces établissements.
Je ne donnerai qu’un exemple emblématique de ces contraintes. Le 23 décembre 2020 un « guide » de 45 pages était distribué aux professionnels de santé des EHPADs. Il était demandé de « réaliser au plus tard cinq jours avant la date de livraison prévue des vaccins » une consultation pré vaccinale aboutissant au recueil éventuel du consentement. Devant les critiques multiples, le ministère des solidarités et de la santé a publié, le 5 janvier, une version allégée du guide indiquant que la vaccination pouvait se faire à la suite immédiate de la consultation puis du recueil de consentement.
Ces contraintes ont entraîné un démarrage très lent de la campagne de vaccination ; la comparaison des résultats avec d’autres pays montrait l’inefficacité de la stratégie. Certains journalistes et hommes politique ont dit ou écrit que nous étions « la risée de l’Europe ».
Cela a conduit le gouvernement à modifier l’objectif initial de la vaccination prioritaires de ces établissements. Pour obtenir rapidement un nombre plus élevé de sujets vaccinés, il a élargi la population cible : le 31 décembre aux Personnels de santé de plus de 50 ans, puis aux personnels pompiers et aux aides à domiciles de plus de 50 ans, à partir du 18 janvier aux sujets de plus de 75 ans et aux sujets handicapés vulnérables ; pour cela des Centres de vaccinations ont été déployés, d’abord en milieu hospitalier, puis dans le cadre régional (vaccinodromes).
Un nouvel objectif a été fixé et très « médiatisé » par le ministère : atteindre le million de personnes à vacciner d’ici la fin du mois de janvier 2021. Il sera atteint car la logistique est plus simple, ces nouvelles populations cibles étant plus facile à atteindre puisque ce sont elles qui viennent à la vaccination. Il faut aussi noter que de plus en plus de français souhaitent se faire vacciner, ce qui aboutit à un flux massif de demandes.
Pour conclure sur ce changement de stratégie, l’objectif de vaccination des 750 000 résidents en EHPADs et USLVs ne paraissait plus prioritaire.
Le gouvernement avait prévu que « près de 700 établissements pour personnes âgées auront été desservis en vaccins d’ici mi-janvier ». Cela ne représente que 10 % des 7000 établissements en France.
L’objectif de 1 million de sujets vaccinés se fera forcément au détriment des résidents des EHPADs, mais avec quelles conséquences ? Combien de temps faudra - t -il pour vacciner la totalité des résidents ?
Nous avons déjà eu le « flop » des masques, puis celui des « tests » et celui de la stratégie « tester /tracer/ isoler ». Il serait très difficile d’évaluer l’impact de ces flops en terme de mortalité liée à la Covid 19.
Cela ne sera pas le cas pour ce retard dans la vaccination des résidents (EHPAD et USLV) ; à partir du mois de janvier, on connaîtra le nombre de décès lié à la COVID 19 et le nombre de décès évités par la vaccination.
La communication du gouvernement doit être claire et transparente concernant l’évaluation de la stratégie de vaccination dans les établissement (EHPAD et USLV) en fournissant régulièrement les résultats. Actuellement elle est fondée essentiellement sur le nombre total de cas de sujets ayant reçu une première dose de vaccin toutes populations cibles confondues, par jour. Par exemple, le point presse du ministère des solidarités et de la santé du 19 janvier 2021 donne le nombre de sujets vaccinés-« près de 586 000 »- avec la distribution selon les régions ; aucune précision n’est donnée pour les EHPAD ou selon les populations cibles (A noter qu’il ne s’agit pas de sujets vaccinés, mais de sujets ayant reçu la première dose de vaccin)
Ainsi, il faut préciser, lors de la communication des résultats, les pourcentages selon les différentes populations cibles et en particuliers selon les populations prioritaires. Il faudra aussi donner le nombre de sujets vaccinés (2 doses reçues).
Le nombre de décès attribuables à la Covid-19, selon les différentes populations cibles, sera un bon indicateur de l’efficacité de la stratégie.
Ainsi la transparence dans la communication permettra d’établir un climat de confiance dans la population vis à vis de nos autorités.
Pr Dominique Baudon, professeur du Val-De-Grâce en épidémiologie et santé publique.
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