Christian Perronne : En temps de guerre, la vision de la médecine doit s’adapter, avant qu’il ne soit trop tard
Interview France Soir: Le professeur Christian Perronne est chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital de Garches, professeur de maladies infectieuses et tropicales à l’Université de Versailles-Saint-Quentin et ancien membre de l'OMS, spécialiste de la maladie de Lyme, il a été président de la commission spécialisée maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique.
France Soir : Vos mots sur la situation actuelle ?
CP : En temps de crise, de guerre comme l’a déclaré le Président, je pense que la vision de la médecine doit s’adapter :
- D’un côté il y a les médecins de terrain qui doivent faire preuve de réalisme,
- De l’autre une vision excessive et erronée de la médecine de la part des experts qui critiquent la méthodologie des divers essais du professeur Raoult. Sans remettre en cause le savoir de ces médecins, il faut faire preuve de flexibilité et de pragmatisme dans la situation actuelle.
FS : Qu’est-ce qui vous interpelle ?
CP : La situation actuelle présente une grande inertie. Rien ne bouge. C’est incompréhensible.
Le pragmatisme nous pousse à apprendre rapidement, et pour cela il suffit de regarder ce qui se passe ailleurs pour comprendre :
- Le gouvernement américain a constitué des stocks d’hydroxychloroquine depuis plus de 3 semaines. Après quelques tergiversations, la FDA (federal drug administration, équivalent de l’ANSM en France) a accepté et recommandé l’usage généralisé de cette molécule. Les américains peuvent être traités même pour des formes pas trop graves de la maladie.
- En Italie, un texte officiel autorise les médecins, y compris les médecins généralistes, à prescrire l’hydroxychloroquine.
Ce n’est peut-être pas le traitement miracle mais ce qui compte c’est l’expérience médicale empirique et le retour du terrain pour apprendre. La médecine de guerre doit comme la stratégie militaire s’adapter.
FS : Quelle est l’approche à suivre actuellement ?
CP : Les Canadiens ont lancé il y a vingt ans la médecine fondée sur la preuve « evidence based medecine ». C’est un trépied formé des éléments suivants :
- L’évidence scientifique : existe-t-elle ou pas ? sous quelle forme ? En temps de crise sanitaire elle a moins de chance d’exister, on doit s’en accommoder et s’adapter.
- L’expérience du médecin, il faut tenir compte des témoignages des médecins et de leur retour d’expérience.
- Le choix du malade Un élément essentiel surtout en tant de crise ou en phase d’apprentissage. Quand un patient est en phase critique, le médecin doit prendre en compte le choix du patient et prendre une décision qui lui agrée.
En ce moment, on ne respecte pas les principes fondamentaux de la médecine basée sur les preuves.
FS : Estimez-vous que toutes les chances soient mises de notre côté pour remplir la mission de la médecine ?
CP : Dans l’art d’exercice de la médecine, l’éthique est cruciale. Ce n’est pas éthique de tirer au sort les patients qui recevront un traitement potentiellement efficace quand ils n’ont que quelques jours à vivre.
Les études récentes (sur l’hydroxychloroquine) ont montré qu’il y a une diminution de la charge virale et que les pneumonies reculent. Une étude chinoise démontre que les cas aggravés sont ceux non traités. En temps de conflit, nous n’avons pas le temps de faire une étude scientifique de très haut niveau.
On n’est pas là pour attendre des semaines avant de peaufiner une stratégie. De manière pragmatique, on est là pour répondre aux besoins des patients dans l’urgence et appliquer un traitement potentiellement efficace avec un profil de tolérance historique très bon.
FS : Qu’est-ce qui vous a surpris dernièrement ?
CP : Ce qui est surprenant c’est que le décret paru au journal officiel interdit l’usage de l’hydroxychloroquine aux malades atteints de formes pas trop sévères.
Dans mon service, on essaie de traiter les malades et on a l’impression que le protocole du professeur Raoult fonctionne. J’ai recueilli le témoignage des infirmières de mon service, elles ont observé jour après jour qu’en donnant le traitement tôt cela a des résultats. Quand le profil devient sévère c’est peut-être trop tard. Le protocole de traitement est bien toléré.
Dans l’étude chinoise, ils ont aussi regardé les patients traités par le Plaquénil pour des maladies chroniques (c’est-à-dire des patients qui prennent du Plaquénil depuis des années), aucun des patients n’a eu le Covid-19. C’est encore empirique cependant les données exhaustives et parfaites, on les aura après la fin de la vague épidémique et cela sera trop tard.
FS : L’hydroxychloroquine est passée de l’obscurité à l’attention du grand public ainsi que dans le débat homérique entre sachants. D’autres molécules ont-elles déclenchées de tels évènements ?
CP : Je n’ai jamais vu une crise pareille. Cette pandémie, on l’attendait mais cela n’arrive qu’une fois par siècle. Ça nous est tombé dessus et on a été pris de cours.
FS : Les querelles qui existent entre les divers groupes sont-elles justifiées ?
CP : Le principe de précaution prévaut dans la recherche médicale et de manière générale quand il s’agit de santé publique. Ce que je ne comprends pas c’est le changement de classement de l’hydroxychloroquine en janvier qui est passée de médicament en vente libre depuis des décennies en substance vénéneuse.
Beaucoup de chercheurs sont dans leurs habitudes de recherche. Sans remettre en cause les qualités scientifiques de tous les chercheurs conseillers, la crise actuelle demande une capacité d’adaptation. On doit intégrer une certaine forme d’urgence dans la médecine.
Ce sont la grande majorité des médecins de terrain qui sont en contact avec les patients qui appellent à l’usage de la chloroquine.
FP : En virologie et épidémiologie dans de telles situations, ne faut-il pas faire preuve de pragmatisme ?
CP : Oui il faut être pragmatique, Trump a été pragmatique. La FDA ce sont des professionnels, ce ne sont pas des rigolos, ils ont réagi en ouvrant la possibilité pour tout Américain malade d’être traité sous surveillance médicale. Ils n’ont pas mis de limite de sévérité, permettant de traiter les cas pas trop graves, là où le traitement a toute chance de marcher.
Pourquoi la France ne produit toujours pas de stocks d’hydroxychloroquine ? Même si ce médicament s’avérait inefficace, il suffirait d’arrêter la production. De plus, ce médicament a un prix dérisoire. Oublions les dogmes.
FS : Que faut-il changer ? Que risquons nous ?
CP : Il faut changer de mode de pensée, il ne faut pas attendre la saint glinglin.
En général pendant la guerre, en temps de crise, on n’a jamais des données parfaites. Malgré cela, il faut savoir prendre des décisions. En France, Sanofi n’a pas lancé la production car ils attendent un ordre. Je ne sais pas si on a encore les capacités de production en France car le Plaquénil n’est plus produit dans notre pays. Nous risquons, contrairement à beaucoup de pays, de rester en pénurie de ce médicament pendant des semaines, voire des mois. Nous aurons les stocks quand l’épidémie sera terminée.
FS : Sur l’étude en cours Discovery, celui d’Angers et les autres y a-t-il des éléments qui vous paraissent questionnables ?
CP : Le protocole du Pr Raoult propose l’usage de de l’hydroxychloroquine avec l’azithromycine (un antibiotique avec un très bon profil de tolérance) dans les formes pas trop graves de la maladie. Ce qui me choque avec l’étude Discovery, c’est un tirage au sort avec un risque de ne pas recevoir de traitement antiviral, c’est l’inclusion de formes sévères de la maladie, là où les traitements vont être beaucoup moins efficaces et c’est l’absence d’association de l’hydroxychloroquine avec l’azithromycine. En théorie, la combinaison des deux molécules pourrait majorer le risque exceptionnel de troubles du rythme cardiaque. Ce traitement doit bien entendu être administré sous surveillance médicale.
Ce qui est surprenant c’est que l’hydroxychloroquine ait été rajoutée dans l’étude Discovery au dernier moment. Le pourquoi reste à élucider.
Dans l’étude multicentrique d’Angers, on va comparer l’hydroxychloroquine à un placebo. Là encore, cette étude contre placebo n’est pas éthique. Interrogés sur l’absence d’association de l’hydroxychloroquine avec l’azithromycine, les investigateurs de l’étude, en bons élèves des canons de la méthodologie, répondent qu’il ne faut évaluer qu’un seul médicament à la fois et que si, à la fin de l’étude, l’hydroxychloroquine marche, on fera une nouvelle étude pour démontrer le bienfait de l’association. Ça signifie des résultats dans deux à trois mois…
FS : Il a été porté à notre attention par un médecin qu’une piste qu’il explorait était l’usage de l’éther dans sa forme volatile afin d’éradiquer le virus dans les poumons au risque des effets secondaires.
CP : Je ne peux pas répondre à ce sujet, c’est la responsabilité du médecin.
FS : Le dépistage est-il indispensable ?
CP : Il est indispensable au début pour les isoler et traiter mais la France n’avait pas les moyens du dépistage au début de l’épidémie. En pleine vague cela présente moins d’intérêt car les symptômes sont connus et identifiés. Ce sera important quand la vague va redescendre pour dépister les gens et anticiper la seconde vague.
Cependant dans les ephad les tests sont essentiels pour mieux gérer car les médecins essaient d’isoler les malades pour éviter la propagation. Ce n’est pas chose facile car ils n’ont pas les tests, de plus Ils sont inquiets à cause du manque de médicaments et le personnel peut porter la charge virologique aux résidants.
FS : Y-a-t-il, comme pour la maladie de Lyme, (ndlr le Professeur Perronne est spécialiste) des formes chroniques du coronavirus ?
CP : Je ne peux pas vraiment encore dire cela. Les chinois n’ont pas publié d’études assez fiables à ce sujet, des patients ont rechuté après 3 semaines mais il est encore trop tôt pour dire si certains patients présentaient des défaillances génétiques dans la création des anticorps ou une erreur de laboratoire dans les tests initiaux. Il peut y avoir des faux positifs (des patients testés positifs ou diagnostiqués positifs qui n’étaient pas contaminés). On manque de recul et c’est à évaluer avec prudence.
FS : Avez-vous imaginé, étiez-vous préparé, à une pandémie de cette ampleur face à un agent pathogène complètement nouveau qui dans l’esprit collectif appartient aux siècles passés ?
CP : Depuis 20 ans à l’hôpital de Garches nous y avions pensé. L’hôpital présente des caractéristiques physiques le permettant avec plusieurs grands bâtiments donc il était facile d’isoler les patients. Isoler c’est la priorité pour éviter la prolifération. Les équipes étaient sensibilisées à cela et tout s’est très bien passé. Ce qui est sympa c’est l’entraide entre médecins et entre personnel du corps médical et autres services. Par exemple Philippe Douste-Blazy (médecin, ancien ministre de la Santé, des Affaires étrangères et de la Culture) est venu prêter main forte à la régulation du Samu. Après une petite formation, il a été rapidement opérationnel.
FS : Que faites-vous de différent au quotidien ?
CP : Les journées passent vite, quelques interviews, ma femme est aussi médecin et travaille sur le Covid 19. Une vie de routine, on est comme tous les français, on téléphone aux proches mais on fait attention.
FS : Qu’est-ce qui vous révolte dans la situation d’aujourd’hui ?
CP : Ce n’est pas de la révolte mais je constate que les gens ont l’air dépassés. Le comité scientifique me parait trop insistant sur la méthodologie (ndlr la médecine basée sur l’évidence). Il faut avoir des gens pragmatiques qui savent prendre des décisions
Interview préparée en mode collaboratif avec les lecteurs et contributeurs de France Soir sur la base de leurs préoccupations et considérations : « quelle question vous brule les lèvres ? »
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