Expérimentation animale : où en est la France ?

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Marion Renson-Bourgine, édité par la rédaction
Publié le 05 mai 2017 - 12:31
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Souris Expérience
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Ruud Hein/Flickr
L’expérimentation animale tue en moyenne 11,5 millions d’animaux dans les laboratoires européens chaque année.
Ruud Hein/Flickr
Toujours d’actualité, l’expérimentation animale est revenue au centre des discussions à l’occasion de la Journée mondiale des animaux dans les Laboratoires (JMAL), le 24 avril dernier. Pour "FranceSoir", Marion Renson-Bourgine, juriste spécialisée dans le droit animalier, dresse un état des lieux de cette pratique fortement décriée en France et dont la réglementation tend vers la suppression progressive.

Chaque année, l’expérimentation animale tue en moyenne 11,5 millions d’animaux dans les laboratoires européens et 2 millions dans les établissements français. Une pratique fortement décriée qui a refait parler d’elle le 24 avril dernier à l’occasion de la Journée mondiale des animaux dans les Laboratoires (JMAL). Celle-ci, s’appuyant sur la reconnaissance par les Nations unies, correspond à une campagne internationale abolitionniste de tout test et de toute expérience sur tous les animaux pour des raisons éthiques et scientifiques. Une minute de silence internationale est d’ailleurs organisée ce jour-là à 12h en hommage aux animaux utilisés en laboratoire.

Cela fait maintenant plusieurs années que le mouvement abolitionniste de l’expérimentation animale ne cesse de s’accroître. Ainsi, le 22 avril, a eu lieu un nouveau "happening STOP" aux animaux dans les laboratoires scientifiques à Nice. Il s’agit d’opérations d'envergure des suites desquelles d’autres manifestations se tiendront. Notamment, le 13 mai 2017, un happening à échelle régionale se déroulera au Havre. Ces manifestations sont de plus en plus nombreuses et radicales contre l’expérimentation animale. C’est un sujet sensible et délicat à traiter. En effet des intérêts contraires sont en jeu, défendus par des acteurs très différents comme les associations de protection animale, les lobbyings industriels et les laboratoires pharmaceutiques, ou encore les acteurs de la recherche scientifique. 

L’expérimentation animale est vue comme l’étape incontournable de la protection de la santé, de l’environnement et de la sécurité. Mais cette vision change pourtant au fur et à mesure. Les textes juridiques peuvent en attester. Au-delà des dispositions générales sur la considération de la qualité d’"êtres vivants doués de sensibilité"[1] imposant le respect du bien-être animal, il existe des dispositions spécifiques aux domaines d’utilisation des animaux à des fins scientifiques: le règlement européen du 30 novembre 2009 concernant le domaine des cosmétiques[2], le règlement européen du 18 décembre 2006 REACh[3] et la directive du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques[4]. Ces trois textes sont importants et vont dans le sens d’une meilleure protection de l’animal utilisé[5].

Deux chercheurs britanniques, Burch et Russel, ont cherché à responsabiliser les scientifiques à l’égard des animaux qu’ils utilisent en posant la règle éthique des "trois R"[6] (Remplacement de l'utilisation d'animaux, Réduction du nombre d'animaux utilisés ou Raffinement des techniques qui peuvent réduire la douleur chez les animaux). Il s’agit de principes éthiques et humanistes incontournables pour toute expérimentation animale. Aujourd’hui, ils sont devenus une règle juridique[7] avec la directive de 2010, leur conférant ainsi une force contraignante à l’égard des scientifiques[8]. C’est le dernier texte en date pour lequel de nombreuses avancées juridiques sont à noter. Tout d’abord, le fait d’ériger les 3R au rang juridique offre un contrôle plus important et occasionne des sanctions en cas de non-respect. Ensuite, les projets de recherche utilisant des animaux doivent obtenir un avis favorable par le comité d’éthique en expérimentation animale (CEEA) et être autorisés par le ministère de la Recherche.

Tout projet fait l'objet d'une évaluation éthique par un CEEA agréé par arrêté du ministre chargé de la Recherche. Ce comité doit être composé de cinq personnes au moins (dont une n’ayant pas de compétence spécifiques dans le domaine de l’expérimentation animale d’un point de vue scientifique et un vétérinaire; les autres étant spécialisés dans l’expérimentation animale). Le projet doit satisfaire plusieurs critères. Tout d’abord, il doit être justifié du point de vue scientifique ou éducatif, ou requis par la loi. De plus, les objectifs doivent justifier l'utilisation des animaux. Enfin, le projet doit être conçu pour permettre le déroulement des procédures expérimentales dans les conditions les plus respectueuses de l'animal et de l'environnement.

Lors de l'évaluation éthique des projets, le comité d'éthique en expérimentation animale prend en compte les principes énoncés dans la charte portant sur l’éthique de l’expérimentation animale[9]. Il est notamment le gardien des 3R. Toute personne responsable du projet de recherche utilisant des animaux se doit de réaliser en outre un résumé non technique (RNT). Son objectif est de faire jouer la transparence à l’égard du public. Ainsi, ils doivent être compréhensibles pour le grand public et fournir des informations sur "les objectifs du projet, y compris les dommages et les avantages escomptés, ainsi que sur le nombre et les types d’animaux à utiliser" et "une démonstration de la conformité avec les exigences de remplacement, de réduction et de raffinement" (art. 43, Directive 2010). De plus, tout établissement éleveur, fournisseur ou utilisateur doit se doter d'une structure chargée du bien-être des animaux[10].

La réglementation globale sur l’expérimentation est riche et seulement un extrait est exposé ici. Il est cependant important de préciser le sens vers lequel elle se dirige: celui de la suppression progressive de l’expérimentation animale. Le règlement sur les cosmétiques a déjà posé l’interdiction. La directive de 2010 a pour objectif final le remplacement total des procédures appliquées à des animaux vivants à des fins scientifiques et éducatives, dès que ce sera possible sur le plan scientifique. Et il ne s’agit pas d’une règle laissée au hasard puisqu’elle est révisable afin de procéder à un état des lieux des méthodes alternatives à l’expérimentation animale permettant de mettre progressivement fin à l’expérimentation animale pour certains domaines (notamment les expériences réalisés sur les primates non humains). Le règlement REACh fait quant à lui la promotion des méthodes alternatives à l’expérimentation animale.

La question récurrente attachée au domaine sensible de l’expérimentation animale portant sur le mal nécessaire[11] connaît une réponse évolutive. Sa nécessité est de plus en plus remise en cause. Ainsi, la moralité publique et la science amènent à envisager d’autres horizons pour protéger la santé, l’environnement et la sécurité, qui se concrétisent notamment dans le développement des méthodes alternatives à l’expérimentation animale.

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[1]Art. 515-14 C. civ. ou Art. L.214-1 C. rural et de la pêche maritime.

[2]Règlement (CE) n° 1223/2009 DU PARLEMENT ET DU CONSEIL du 30 novembre 2009 venu réviser la directive 76/768/CEE du Conseil du 27 juillet 1976 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux produits cosmétiques.

[3]Règlement (CE) n° 1907/2006 du PE et du CONSEIL du 18 décembre 2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACh).

[4]Directive 2010/63/UE DU PARLEMENT ET DU CONSEIL du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques.

[5]J.-P. MARGUENAUD, Expérimentation animale: Entre droit et liberté, Editions Quæ, "Sciences en questions", 2011, 88 p.

[6] William RUSSEL et Rex BURCH, The Principles of Humane Experimental Technique, Londres R.-U., 1959.

[7] Art. R.214-105 C. rural et de la pêche maritime.

[8]J.-P. MARGUENAUD, "La nouvelle directive européenne du 22 septembre 2010 relative à laprotection des animauxutilisésàdes fins scientifiques: une révolutionmasquée", RSDA 2-2010, pp. 35-42 (http://www.unilim.fr/omij/files/2013/10/61_RSDA_2-2010.pdf)

[9]https://www.aaalac.org/accreditation/RefResources/chartexpeanimale_20-01-09_62118_FRENCH.pdf.

[10] Art. R.214-101 à R.214-103 C. rural et de la pêche maritime.

[11]F. Burgat, "Expérimentation animale: un mal nécessaire", RSDA 1-2009, pp 193-201 (http://www.unilim.fr/omij/files/2013/10/50_RSDA_1-2009.pdf).

 

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