Le variant Delta change-t-il la donne de la vaccination ?
Trois chercheurs en biologie moléculaire de l'Université d'Aix-Marseille viennent de publier dans le « Journal of Infection » des données sur le rôle des anticorps facilitant l’infection des cellules par le Sars-CoV-2, un phénomène qui pourrait représenter un risque potentiel pour la vaccination de masse au cours de l’épidémie actuelle de variant Delta.
Dans un article publié dans le « Journal of Infection » en date du 9 août 2021, Jacques Fantini, professeur de biochimie, attaché à l’université Aix-Marseille et à l’Institut universitaire de France, Nouara Yahi, professeur de biochimie et de biologie moléculaire à l’université d’Aix-Marseille et Henri Chahinian, chercheur en biochimie attaché à l’université d’Aix-Marseille, donnent de larges explications sur certains anticorps qui pourraient renforcer l’infection de Sars-CoV-2 notamment dans le contexte d’une épidémie dominée par le variant Delta.
Rappelons que lors d’une infection ou d’une vaccination, l’organisme répond par des anticorps. Par anticorps, nous comprenons tous qu’il s’agit d’agents pour neutraliser les agents pathogènes. Cependant, cette explication est partiellement fausse ou plutôt incomplète car il existe plusieurs sortes d’anticorps qui se forment au moment de l’infection de Sars-CoV-2 :
Il y a les anticorps neutres qui reconnaissent la protéine de pointe Spike mais qui ne sont pas protecteurs.
Il y a les anticorps neutralisants qui combattent le virus.
Enfin, les anticorps baptisés facilitants car ils favorisent l’infection des cellules par le virus.
Les anticorps favorisants en question
La découverte des anticorps facilitants ne date pas du Sars-CoV-2. Leur présence a été observée dans de nombreuses maladies notamment pour les virus de la dengue, Ebola, Zika, VIH, Mers-Cov et rougeole. Ce phénomène est appelé ADE (antibody-dependent enhancement en anglais, ou facilitation dépendante des anticorps).
Une infection peut être renforcée par certains anticorps. Dans une publication récente, Li et al (cell 184 : 1-17, 2021) ont mis en évidence que les anticorps favorisants de l’infection dirigés contre le domaine NTD (N-Terminal Domain) de la protéine de pointe Spike, facilitent l’infection du virus in vitro mais pas in vivo. Cependant, cette étude a été réalisée avec la souche originale du virus, celle de Wuhan/D614G.
Aujourd’hui, cette souche a disparu et la pandémie est dominée par le variant Delta. Les chercheurs ont analysé l’interaction des anticorps facilitants avec le NTD de la protéine Spike de ce variant, en utilisant une stratégie de modélisation moléculaire. Ils ont observé une affinité plus élevée des anticorps facilitants pour les NTD du variant Delta que pour celui de Wuhan.
Comme le NTD est également ciblé par les anticorps neutralisants, ils ont observé leur action et ce, afin de rendre leur conclusion sur la stratégie de vaccination actuellement en cours.
Leurs données suggèrent que l’équilibre entre les anticorps neutralisants et facilitants chez les individus vaccinés est en faveur de la neutralisation pour la souche originale de Wuhan. Cependant, il en va différemment pour le variant Delta où les anticorps neutralisants ont une affinité réduite pour la protéine Spike, tandis que les anticorps facilitants présentent une affinité accrue frappante.
La stratégie de vaccination peut-elle être remise en cause dans le cadre du variant Delta ?
Selon les chercheurs, l’équilibre entre anticorps neutralisants et anticorps facilitants peut être très différent selon la souche virale.
Les vaccins actuels contre le Covid-19 (ARNm ou vecteurs viraux) ont été élaborés à partir de la séquence originale de virus de Wuhan. Dans la mesure où les anticorps neutralisants l’emportent sur les anticorps facilitants, les effets indésirables médicamenteux ne sont pas une préoccupation pour la souche originale. Toutefois, l’émergence de variants du Sars-CoV-2 pourrait faire pencher la balance en faveur d’un renforcement de l’infection. Les données structurelles et de modélisations effectuées par cette équipe de recherche suggèrent que cela pourrait être le cas pour le variant Delta.
Ainsi, les effets indésirables médicamenteux (EIM) peuvent être un problème pour les personnes recevant des vaccins (qu’ils soient à ARNm ou à vecteurs viraux) élaborés à partir de la séquence originale de Wuhan et qui sont ensuite exposées à un variant Delta.
À leur connaissance, l’ADE des variants Delta n’a pas été évaluée. Étant donné que leurs données indiquent que les variants Delta sont particulièrement bien reconnus par les anticorps renforçant l’infection et ciblant le NTD de la protéine Spike, la possibilité d’une ADE devrait être étudiée car elle pourrait représenter un risque potentiel pour la vaccination de masse au cours de la pandémie actuelle de variants Delta.
Dans ces circonstances, les trois chercheurs pensent qu’il faut envisager des vaccins de deuxième génération avec des formulations de la protéine Spike dépourvues d’épitopes structurellement conservés, liés à l’ADE.
Lexique
- Le NTD (N-Terminal Domain) est une sous-unité de la protéine Spike qui participe à la fusion de la membrane de la particule virale avec l’enveloppe de la cellule.
- L’épitope, également appelé déterminant antigénique, est la partie d’un antigène pouvant être reconnue par un récepteur présent à la surface de l’anticorps spécifique qui lui correspond et qui peut stimuler la production de cet anticorps.
Références
- Nouara Yahi, Henri Chahinian, Jacques Fantin, Infection-enhancing anti-SARS-CoV-2 antibodies recognize both the original Wuhan/D614G strain and Delta variants. A potential risk for mass vaccination?
- Li D & al. In vitro and in vivo functions of SARS-CoV-2 infection-enhancing and neutralizing antibodies. Cell. 2021; 184: 4203-4219
- Fantini J, Yahi N, Azzaz F, Chahinian H. Structural dynamics of SARS-CoV-2 variants: a health monitoring strategy for anticipating Covid-19 outbreaks. Infect. 2021; 83: 197-206
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