Secret défense : la journaliste Ariane Lavrilleux sous la menace d'une mise en examen
La journaliste Ariane Lavrilleux, qui a écrit sur la possible implication de l'armée française dans des actions visant des opposants égyptiens, risque une mise en examen vendredi à Paris pour des atteintes au secret défense, au grand dam d'organisations professionnelles et de syndicats.
Disclose, le site d'investigation avec lequel elle collabore, a annoncé début décembre la convocation de la journaliste ce vendredi à 09h30 aux fins d'une possible mise en examen pour "appropriation et divulgation du secret de la défense nationale".
Une centaine d'organisations ont demandé lundi dans une lettre au gouvernement de "garantir la protection du secret des sources" et appelé à se rassembler vendredi matin devant le Tribunal judiciaire de Paris.
Si le secret des sources est protégé depuis 2010 par la loi Dati, le cadre légal actuel, "insuffisamment protecteur (...) est désormais abusé ou contourné", plaident les signataires, dont l'ONG Reporters sans frontières, les syndicats SNJ et CFDT, l'association du Prix Albert Londres et une série de médias dont StreetPress et Médiacités.
- "Campagne d'exécutions" -
L'enquête se concentre sur plusieurs articles publiés par Disclose depuis 2019, relatifs aux ventes d'armes françaises à l'étranger mais aussi à l'opération "Sirli", une mission de renseignement française en Egypte que ce pays aurait détournée pour cibler et tuer des opposants.
Sur LinkedIn, Ariane Lavrilleux a affirmé lundi qu'on lui reprochait notamment "d'avoir contribué à une enquête de Disclose en 2021 qui a révélé le soutien de la France à une campagne d'exécutions de civils dans le désert égyptien par la dictature militaire d'Al-Sissi."
L’Égypte est un des principaux destinataires d'équipements militaires français.
Après des plaintes du ministère des Armées, une instruction est ouverte depuis juillet 2022.
La journaliste avait été placée en garde à vue et perquisitionnée en septembre 2023. Dans la foulée, un ancien militaire avait été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire pour détournement et divulgation du secret de défense nationale par son dépositaire.
Le porte-parole du gouvernement de l'époque, Olivier Véran, avait refusé de répondre à plusieurs questions sur cette affaire.
A l'approche de son interrogatoire, comme permis par la procédure, Mme Lavrilleux et son avocat, Me Christophe Bigot, ont pu consulter le dossier judiciaire, qui témoigne d'après Disclose d'une "traque" par les policiers de la DGSI.
"On sait où elle se trouve, où elle va, qui elle rencontre", résume auprès de l'AFP Me Bigot.
Pour autant, d'après lui, "il n’y a aucun élément pour dire qu’elle a commis, en tant qu’auteur ou complice, une violation du secret de la défense", a-t-il poursuivi.
- "Pression délirante" -
Il annonce qu'il va demander son "placement sous le statut de témoin assisté", ce qui lui éviterait un procès.
D'après Me Bigot, une "pression délirante" est exercée sur sa cliente et la presse dans ce "dossier emblématique".
"Ça fait 35 ans que je fais du droit de la presse, c’est la première fois que je vois un journaliste géolocalisé, c’est très choquant", s'indigne ce conseil, président de l'AAPDP, l'association des avocats praticiens du droit de la presse.
"Au niveau du parquet et de l’instruction, ils font tomber toutes les barrières, il n’y a plus de secret des sources", accuse encore Me Bigot, pour qui la suite du "combat" se tiendra ensuite devant la cour d'appel de Paris, pour faire annuler les actes d'enquête d'après lui injustifiés.
Alors qu'une source proche du dossier a affirmé à l'AFP que le dossier mettrait en cause la manière dont Mme Lavrilleux aurait obtenu ses informations, Me Bigot balaie "des présomptions" et recentre : "On recherche les sources d’une journaliste. La loi a été totalement dévoyée".
Sur LinkedIn, Ariane Lavrilleux estime que "cette histoire n'est pas extraordinaire" car "27 journalistes ont été intimidé.es par la DGSI avant moi depuis 2010".
Au moins deux d'entre eux ont subi ces dernières années des mesures coercitives : le journaliste Alex Jordanov, auteur d'un livre sur le renseignement intérieur, a été placé en garde à vue et poursuivi en juin 2022 pour divulgation du secret défense.
Début décembre, un journaliste, Philippe Miller (pseudonyme), a été interpellé et son matériel saisi dans un dossier de vol de données confidentielles d'un cabinet d'avocat.
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