Une simple prise de sang pour détecter les troubles bipolaires
Un test sanguin pourrait détecter les personnes souffrant de troubles bipolaires parmi les personnes en dépression. Une avancée scientifique qui permettrait d’éviter l’aggravation de la maladie et les risques de suicide faute du bon traitement.
Lors des confinements successifs, un actif sur cinq a été sujet à des troubles dépressifs. Parmi la population globale en France, 5 à 10 % de personnes vivent une dépression. On compte 1 à 2,5% de la population, soit entre 650 000 et 1 600 000 personnes qui souffriraient de troubles bipolaires, anciennement appelée psychose maniaco-dépressive. Un enjeu national qui mérite d’être pris en considération.
Bien souvent, c’est le médecin traitant qui est en première ligne. Il fait le diagnostic à partir d’un questionnaire remis au patient dans le meilleur des cas. Il y a des erreurs de dépistage, car la personne bipolaire partage des symptômes similaires à ceux de la personne dépressive. « Idéalement, le patient devrait consulter un psychiatre. Mais les délais d’attente sont importants. Les psychiatres n’ont jamais été autant sollicités depuis la crise sanitaire. Il y a, au-delà de cette période inédite, une appétence aux soins psychologiques. S’occuper de sa santé mentale est devenue une préoccupation moins taboue que par le passé », souligne Raoul Belzeaux, professeur de psychiatrie à la faculté de médecine de Montpellier, psychiatre et chercheur au CHU de Montpellier.
Risque de suicide accru chez bipolaires
Parmi les patients confrontés à une dépression, 10 à 20 % d’entre eux souffrent, en fait, d’un trouble bipolaire. La bipolarité est une pathologie chronique et récidivante, alors que la dépression peut être un problème isolé, plus souvent lié à un contexte ou des évènements de la vie : deuil, chômage, solitude, peur de la maladie…
Cette maladie psychiatrique au long cours n’est hélas pas toujours bien identifiée. La bipolarité se caractérise par l’alternance de phases d’euphorie (ou maniaques) puis de phases dépressives. Une personne en phase maniaque est anormalement euphorique, hyperactive, voire irritable. Exaltée, elle a une très haute opinion d’elle-même, ne supporte pas la critique et fourmille d'idées, suivant à la fois plusieurs projets, parfois incongrus. Lorsque la phase dépressive s’installe, d’euphorique, la personne devient alors indifférente à tout, abattue, triste, démotivée, fatiguée. Les épisodes peuvent durer des jours à des mois, avec divers degrés d’intensité. Chez certaines personnes, il existe des phases dites mixtes au cours desquelles des symptômes de manie et de dépression se produisent simultanément. Les idées suicidaires sont fréquentes : la personne, souvent en proie à une incapacité à pouvoir gérer son hyperactivité émotionnelle, perçoit à tort le suicide comme seule porte de sortie pour se libérer de sa maladie.
Entre les premiers symptômes (avec ou sans consultation d’un médecin) et le bon diagnostic, il se passe, dans la plupart des cas, entre 7 à 10 ans. Des antidépresseurs sont souvent prescrits par le médecin généraliste alors qu’ils ne sont pas adaptés aux patients souffrant d’un trouble bipolaire. Malheureusement, ils sont inefficaces et sont même susceptibles d’aggraver la maladie. Avec un risque de suicide à la clé ! L’absence de traitement peut aussi entraîner l’irréparable.
C’est le triste et célèbre destin de Bernard Loiseau, le chef étoilé qui s’est suicidé en utilisant son fusil de chasse. Dominique Loiseau tente d’analyser la personnalité de son mari dix-huit ans après le drame : « Nous n’avions pas de difficultés financières. Michelin avait confirmé à Bernard qu’il gardait ses trois étoiles. Mais il n’allait pas bien, il avait mal vécu certaines critiques. Non, les guides ne l’ont pas tué. Il avait un fond dépressif, il était épuisé. Un jour, il a consulté un psychiatre. Je ne sais pas ce qu’il lui a raconté. Il est reparti sans diagnostic ni traitement. Trois jours après son décès, Philippe Labro, un ami de la famille, est venu me voir pour m’expliquer que Bernard était bipolaire. Une maladie qui était mal diagnostiquée à l’époque. »
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Combinaison de cytokines et intelligence artificielle
Selon les études du CHU de Montpellier, plus de 50 % des personnes ayant un trouble bipolaire font des abus d’alcool, de drogues et autres addictions. Elles mettent en danger leur vie privée et professionnelle.
Plus vite le diagnostic est posé, plus vite les personnes souffrant d’un trouble bipolaire échappent aux risques élevés de la pathologie. Une fois la maladie reconnue, ils peuvent alors bénéficier d’une prise en charge psycho-sociale et éducative adaptée.
Raoul Belzeaux souhaite accélérer le repérage des patients. Avec son équipe, il travaille depuis plusieurs années sur la création d’un test sanguin pour dépister les troubles bipolaires. Les chercheurs ont identifié que la combinaison de plusieurs cytokines, des protéines qui assurent la communication entre les cellules, permet de déceler des troubles bipolaires. Mais pas seulement. Il faut y ajouter l’intelligence artificielle qui croise différents critères comme l’âge, l’intensité des troubles, la consommation de tabac et permet de sélectionner les données les plus pertinentes.
« Un brevet a été déposé au niveau international en 2018. Malgré la concurrence existante sur la création d’un test sanguin, notre équipe dispose d’une nette longueur d’avance sur l’analyse des cytokines », confie le psychiatre-chercheur à FranceSoir.
Commercialisation du test sanguin d’ici trois à cinq ans
Raoul Belzeaux, psychiatre et chercheur au CHU de Montpellier, lauréat du prix Marcel Dassault 2022
Cette innovation a été récompensée par le prix Marcel Dassault remis à Raoul Belzeaux par la Fondation FondaMental, dirigée par Marion Leboyer, et le Groupe Dassault, le 13 octobre 2022.
La dotation de 100 000 € va permettre au CHU de Montpellier de débuter une étude clinique sur plus de 600 patients qui souffrent de dépression et dont on ne sait pas s’ils sont bipolaires ou pas.
« À partir du test sanguin et d’un algorithme défini avec des biomarqueurs sur la base des études précédentes, nous pourrons mieux détecter les personnes atteintes de troubles bipolaires qu’avec le seul questionnaire rempli par les patients », précise Raoul Belzeaux.
Une innovation très attendue pour soulager les personnes en détresse psychique et leur famille dont la vie est souvent bouleversée.
Mais le test sanguin a encore du chemin à faire. Il devra obtenir un marquage CE pour être commercialisé. Sur prescription médicale, ce test coûtera moins de 120 € ; il sera effectué auprès des laboratoires d’analyses médicales. Il a vocation à être sur la liste des produits autorisés et remboursés par la Sécurité sociale.
« Au total, le coût de cette innovation représente 600 000 €. Avec l’appui de la Fondation FondaMental, nous recherchons des mécènes, souligne Raoul Belzeaux. Plus vite, nous trouverons des fonds, plus rapidement, nous pourrons sortir le test, soit entre trois à cinq ans. »
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