Thierry Breton : le janvier des trois gaffes
OPINION -
Thierry Breton demeure au cœur de l’actualité après son départ de la Commission Européenne. Le 9 janvier, il approuve les ingérences européennes dans les élections des États-membres. Le 15, sa nomination au Comité consultatif mondial de la Bank of America est validée par la Commission européenne. Le 20, il préside dans les locaux du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) au lancement d’une plate-forme "HelloQuitX" visant un transfert massif de comptes X.
Commissaire européen à partir de 2019, en charge du marché intérieur, de la politique industrielle, du numérique, Breton a réussi à faire adopter en 2022, le règlement Digital Services Act (DSA), réglementant les grandes plates-formes numériques, dont les réseaux sociaux. Après le rachat de Twitter par le Elon Musk, ce texte a été dirigé contre X (ex-Twitter), la Commission ouvrant dès décembre 2023 une enquête sur le respect par X de ses obligations DSA.
La première gaffe survient le 9 janvier sur RMC, au micro d’« Apolline Matin ». Apolline de Malherbe évoque l'annulation le 6 décembre par la Cour constitutionnelle de Roumanie du 1ᵉʳ tour des élections présidentielles. Un candidat indépendant, Calin Georgescu, est arrivé en tête (avec 22 %) au grand dam des milieux gouvernementaux en Europe. En effet, sa position, notamment quant au conflit russo-ukrainien, est similaire à celui des leaders hongrois et slovaques : son pays n’a rien à y faire et ne doit pas y être entraîné même via l’OTAN. La Cour argue que la campagne sur TikTok en faveur de Georgescu, est une ingérence étrangère. Or ces campagnes d’ampleur modeste (25 000 comptes TikTok concernés ; une centaine d’influenceurs) auraient été financées par le Parti National Libéral. Le recours de Georgescu (appuyé par la candidate arrivée en second) auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) est rejeté, pour “absence de risque imminent de dommage irréparable à un droit reconnu”. Cette appréciation découlerait de la convocation de prochaines élections ; elle crée un précédent sinistre comme le souligne la lettre du Réseau Voltaire du 24 janvier.
Dans ce contexte, Breton se félicite de l’arrêt du processus électoral : « on l’a fait en Roumanie, il faudra évidemment le faire, si c’est nécessaire, en Allemagne » pour les élections au Bundestag fin février 2025. « Si nécessaire » semble signifier : en cas de victoire du parti Alternative pour l’Allemagne (AfD), second dans les sondages le 27 janvier avec 21 % des intentions de vote.
Sans fonction à Bruxelles, que signifie Breton par « on » ? Le « Deep State » européen ? Qu’est donc ce droit, voire ce devoir d’intervention ? « On » fait quoi en Allemagne en cas de victoire de l’AfD ? Inciter le président fédéral, ou la cour constitutionnelle, à annuler l’élection pour des motifs aussi futiles qu’en Roumanie ? Et « on » fait quoi en Roumanie où Georgescu est crédité le 20 janvier de 38 % des intentions de vote au 1er tour du 4 mai ?
La seconde gaffe, c’est sa nomination au Comité consultatif mondial de Bank of America (BoA), l’une des trois 1ʳᵉˢ banques des USA, approuvée le 15 janvier par la Commission : le Comité d’éthique n’a pas trouvé à redire au rôle visé par Breton : contribuer à des discussions géostratégiques et économiques, ce qui « n’implique aucune obligation ni responsabilité en dehors des réunions ». Breton devra cependant s’abstenir de communiquer, et même utiliser toute information relevant du secret professionnel, et s’abstenir durant deux ans de tout lobbying sur des sujets liés à son activité de Commissaire. Il lui faudra ségréger cerveau droit et cerveau gauche durant deux ans, et se limiter aux deux séances annuelles. Le respect du dispositif sera difficile à contrôler…
Chacun peut comprendre Breton : il a déjà occupé cette fonction au sein de BoA avant sa nomination de Commissaire ; les trois jours de travail annuels peuvent rapporter un ou plus SMIC annuels, et pourquoi pas (mais pas avant deux ans !) des extras, par exemple, pour la filiale de banque d’affaires BoA Securities (ex-Merrill Lynch). Chacun peut comprendre la BoA : Breton, en charge de 2019 à 2024 de sujets clefs pour la banque et ses clients, pourra rendre bien des services. Des soucis d’éthique ? Allons donc, il a été professeur à Harvard de « leadership et responsabilité d’entreprise » : qui douterait qu’il soit prêt à respecter à 100 % les conditions posées par la Commission ?
Troisième gaffe le 20 janvier dans les locaux du CNRS, haut lieu de la recherche publique française. L’initiative "HelloQuitX" y est lancée en fanfare. David Chavalarias la dirige ; il est directeur de recherche au sein du CNRS et de l’Institut des Hautes Études en Sciences Sociales (IHESS), responsable de l’Institut des systèmes complexes de Paris-Île-de-France (ISC-PIF) qui regroupe autour du CNRS la fine fleur de l’université et de la recherche parisiennes. France-Soir y est présent. A la tribune, un vague projet de recherche sur la portabilité est évoqué ; puis les choses se corsent : pour l’avocat de la ligue des droits de l’homme, il s’agit d’imposer les règles du DSA à X, de créer un rapport de force politique et « un mouvement ». Breton intervient : « je suis derrière toute cette journée » ; « C’est David qui m’a appelé…j’ai dit oui tout de suite » ; il salue des scientifiques qui « travaillent pour ce que j’ai voulu faire » avec le DSA. David Chavalarias explicite : « X relaye » Robinson en GB, Musk « fait de la politique en Italie », y est proche de Mme Meloni, « fait monter » le parti ‘Alternative pour l’Allemagne’. Le même jour, Raphael Glucksman (co-responsable du parti Place Publique et député européen) est l’invité politique de J.J. Bourdin sur Sud-Radio ; interrogé sur "HelloQuitX", il confirme qu’il planifie, via un groupe de scientifiques du CNRS, un départ organisé et massif de X, car il faut agir groupé.
Une vidéo "HelloQuitX" montre une brochette de personnalités socialistes ou écologistes, Benoit Hamon, Anne Sinclair, Julie Gayet, Cécile Duflot, Cédric Villani, Rokhaya Diallo… déclamer des slogans sur l’urgence de quitter X, emplis d’informations biaisées, voire diffamatoires pour X et Elon Musk, et les Présidents Trump et Poutine…
Qui (hors la ministre Borne) peut voir dans ce galimatias un projet de recherche et non une réunion politique ? N’est-on pas aux antipodes de l’objet du CNRS, établissement public administratif censé faire de la recherche, ou de la mission de l’ISC-PIF, « développer des méthodes et outils transversaux pour mieux comprendre et maitriser les systèmes complexes » ?
Breton s’est associé à un projet politique mené sur fonds publics à partir d’un labo du CNRS, d’un amateurisme de pieds nickelés, ouvrant la voie à moultes contentieux contre le CNRS (qui dément son implication) et toutes les personnes associées à "HelloQuitX", dont lui-même.
Saluons la passe de trois gaffes (hat trick) réussie par Thierry Breton en ce mois de janvier : difficile de poursuivre à ce rythme, mais chacune donne du grain à moudre à la vigilance du journalisme citoyen.
Daniel Godet est ancien administrateur civil, cadre de grande entreprise en retraite, et esprit curieux.
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.