Twitter Files, partie 5 : la pression des employés pour bannir Trump, considéré comme le “chef d'un groupe terroriste”

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FranceSoir
Publié le 13 décembre 2022 - 16:45
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Olivier DOULIERY / AFP - AFP
La majorité des employés de Twitter étaient progressistes et orientés vers la gauche américaine, c’est-à-dire les démocrates.
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Bari Weiss prend le relais avec les Twitter Files. La journaliste, qui collabore avec Matt Taibbi dans la divulgation de ces documents, a publié lundi 12 décembre la suite des révélations sur les dessous de la suspension du compte Twitter de Donald Trump. Dans cette cinquième partie, elle retrace les moments suivant la décision des dirigeants de Twitter de suspendre définitivement le compte de l’ex-président des États-Unis, confirmant, comme expliqué par Matt Taibbi et Michael Shellenberger dans les parties 3 et 4, la manière exceptionnelle avec laquelle les dirigeants du réseau social ont enfreint leurs propres normes pour céder à une pression interne et externe.

Tout comme Michael Shellenberger, Bari Weiss a révélé que la décision de bannir Donald Trump ne faisait pas l’unanimité parmi les employés de Twitter, quoique ces derniers étaient très majoritairement en faveur de cette décision. "Peut-être parce que je viens de Chine, je comprends profondément comment la censure peut détruire la conversation publique”, a écrit un employé le 7 janvier. Bari Weiss fait toutefois savoir que “sur les canaux de Slack, de nombreux employés étaient contrariés que Trump n'ait pas été banni plus tôt”.

Dans son thread, la journaliste rappelle à son tour que Twitter a “résisté pendant des années à la pression interne et externe” à suspendre le compte de l’homme d’affaires américain. Elle a rappelé les mêmes motifs évoqués par le réseau social dans un tweet de 2018, selon lequel “bloquer un leader mondial bloquerait des informations importantes... et entraverait la discussion nécessaire autour de ses paroles et de ses actions”.

Les deux tweets de “la discorde”

Néanmoins, la pression, notamment interne, était de plus en plus forte. “Après le 6 janvier (évènements du Capitole, NDLR), les employés de Twitter se sont organisés pour demander à leurs dirigeants d'interdire Trump”, écrit Bari Weiss. "Nous devons faire ce qui est juste et interdire ce compte", lit-on dans une capture d’écran d’un employé. “Il est assez évident qu'il (Trump, NDLR) va essayer d’inciter sans violer les règles", a estimé un autre.

Pour rappel, les révélations faites par Michael Shellenberger ont démontré comment les dirigeants de Twitter, notamment Roth Yoel et VIjaya Gadde, se “démenaient avec les règles” et les politiques de la plateforme afin de pouvoir justifier le bannissement de Trump. Outre des extrapolations dans l’interprétation de ses tweets, cette “Cour suprême de modération” a décidé d’adopter un système de récidive. Au matin du 8 janvier 2021, Donald Trump “n’avait qu’un seul coup restant” avant une cinquième infraction et un bannissement définitif.

Ce matin-là, le président sortant a tweeté deux fois, rappelle Bari Weiss. Dans le premier, Donald Trump a rendu hommage à ses électeurs, de “grands patriotes américains" et dans le second, il a annoncé sa non-participation à la cérémonie d’installation de Joe Biden le 20 janvier 2021.

Le push des employés de Twitter pour bannir Trump

Le même jour, dans l’après-midi, la pression interne de la part des employés de Twitter est montée d’un cran puisque leur position a été médiatisée. Le Washington Post publiait ainsi une lettre ouverte signée par plus de 300 employés de Twitter, adressée au PDG de l’époque, Jack Dorsey, exigeant l'interdiction de Trump. "Nous devons examiner la complicité de Twitter dans ce que le président élu Biden a qualifié à juste titre d'insurrection" (Assaut des partisans de Trump contre le Capitole, NDLR).

Michael Shellenberger a rappelé dans la partie 4 que la “majorité des employés de Twitter étaient progressistes” et orientés vers la gauche américaine, c’est-à-dire les démocrates. 

L’instauration d’un système de récidive exclusivement pour justifier le bannissement de Trump, et la modification de l’approche de Twitter pour le concept d’intérêt public ne semblaient pas suffire pour prononcer “le verdict” ce même 8 janvier. Les captures d’écran des conversations entre les employés de Twitter, partagés par Bari Weiss dans son thread, montrent ainsi la manière avec laquelle les deux derniers tweets de Trump étaient interprétés dans un sens bien précis. 

“Mais l’équipe chargée d'évaluer les tweets a rapidement conclu que Trump n'avait *pas* violé les politiques de Twitter. Je pense que nous aurions du mal à dire que c'est de l'incitation (à la violence, NDLR)", a écrit un membre du personnel. "Il est assez clair qu'il dit que les 'patriotes américains' sont ceux qui ont voté pour lui et non les terroristes (on peut les appeler ainsi, n'est-ce pas ?) à partir de mercredi", lit-on encore parmi les messages de Slack. 

Un autre employé a exprimé son avis : "Je ne vois pas l'angle d'incitation ici." "Je ne vois pas non plus d'incitation claire ou codée dans le tweet de DTJ (Donald Trump Jr.)", a écrit Anika Navaroli, responsable de la politique de Twitter. "Je répondrai sur le canal [Slack dédié aux] élections et je dirai que notre équipe a évalué le tweet et n’a trouvé aucune violation", dit-elle. 

Bari Weiss dévoile aussi que “l’équipe de sécurité de Twitter a décidé que le (second) tweet de Trump n'est pas non plus une violation". "Ce n'est clairement pas une violation. C'est juste pour dire qu'il n'assiste pas à l'inauguration", avait alors écrit l'équipe de modération.

Dans le même thread, la collaboratrice du nouveau patron de Twitter insiste sur “l’exception” Trump. Elle évoque des cas d’autres chefs d’État et dirigeants politiques, dont les tweets, qui incitaient parfois à la violence voire à la guerre, n’ont, dans certains cas, même pas été supprimés et les comptes n’ont pas été inquiétés. Elle évoque le cas de l'ayatollah iranien Ali Khamenei qui a qualifié Israël de “tumeur cancéreuse et maligne”, ou encore des tweets de responsables malaisien, indien, nigérian ou éthiopien. “Mais les dirigeants de Twitter ont interdit Trump, même si des membres clés du personnel ont conclu que Trump n'avait pas incité à la violence, même pas de manière codée”, poursuit-elle. 

“Chef d’un groupe terroriste” 

Cela ne convainc pas Vijaya Gadde, responsable des affaires politiques, pour autant. “À peine 90 minutes après que les employés de Twitter aient déterminé que les tweets de Trump n'enfreignaient pas la politique de la plateforme, Vijaya Gadde a demandé s'il pouvait en fait s'agir d'une "incitation codée à davantage de violence"”, écrit Weiss.

Des employés du réseau social “suggèrent que le tweet de Trump a peut-être violé la politique de glorification de la violence de Twitter”, en interprétant l'expression ‘patriotes américains’ comme faisant référence aux émeutiers”, poursuit la journaliste, qui explique que “les choses dégénèrent à partir de là”. Des captures d’écran montrent ainsi que des employés en sont venus à "le considérer comme le chef d'un groupe terroriste responsable de violences/morts comparables au tireur de Christchurch ou à Hitler et sur cette base et sur la totalité de ses tweets, il devrait être ‘dé-plateformé’"

Entre-temps, les employés de Twitter favorables à son bannissement ne décolèrent pas, nous apprend encore la même source. Et une réunion avec le PDG Jack Dorsey et Vijaya Gadde, durant laquelle ces deux dirigeants expliquent les raisons pour lesquelles Trump n'a pas encore été interdit, n’apaise pas leur colère.

Bari Weiss dévoile aussi que Jack Dorsey “a demandé un langage plus simple pour expliquer la suspension de Trump”. Une heure plus tard, la sentence tombe. Twitter annonce la suspension permanente de Trump “en raison du risque de nouvelles incitations à la violence”.

Les messages dévoilés démontrent les félicitations et l’état d'extase", pour reprendre les termes de la journaliste, dans lequel se trouvaient les employés. Parag Agrawal, successeur de Dorsey, exprimait, quant à lui, des appréhensions quant à cette décision. "Je pense que quelques-uns d'entre nous devraient réfléchir aux effets de l'interdiction de Trump (...) la modération centralisée du contenu a maintenant atteint un point de rupture”, a-t-il dit.

Dans la suite de son thread, la journaliste confirme les propos de son collaborateur, Matt Taibbi, qui avait affirmé, dans la partie 4 des Twitter Files, que les dirigeants de Twitter se sont préparés "à interdire [de la plateforme] les futurs présidents et les Maisons-Blanches – peut-être même Joe Biden". Elle dévoile surtout l’intention, plutôt “l’empressement” des employés à “lutter contre la 'désinformation médicale' dès que possible”.

Après avoir rappelé les réactions de plusieurs dirigeants, dont Emmanuel Macron ou Angela Merkel, au bannissement de Trump, Bari Weiss estime que “les efforts de Twitter pour censurer les informations sur l'ordinateur portable de Hunter Biden, pour mettre sur liste noire des opinions défavorables et interdire un président” suscitent des inquiétudes car “il s'agit du pouvoir d'une poignée de personnes dans une entreprise privée d'influencer le discours public et la démocratie”.

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