La paysannerie européenne s’ébroue : des dizaines de tracteurs devant Westminster, en France l’A16 fermée , Dijon envahi
Des agriculteurs britanniques manifestent ce mercredi avec leurs tracteurs devant le Parlement, dans le centre de Londres, pour protester contre une taxe controversée sur la succession visant certaines exploitations, annoncée récemment par le gouvernement travailliste.
Les sacrifiés de l’Europe se réveillent petit à petit, pays par pays.
"Ne mordez pas la main qui vous nourrit", pouvait-on lire parmi les pancartes des manifestants, au milieu de dizaines tracteurs --dont beaucoup ornés de drapeaux britanniques-- garés à deux pas du palais de Westminster.
"L'impôt sur la succession est la goutte d'eau qui fait déborder le vase", raconte, entre coups de klaxons et musique à fond, William Pickering, 44 ans, qui possède une exploitation majoritairement laitière à Tunbridge, dans le Kent.
"Nous attendons que (le gouvernement) réalise qu'il a fait une énorme erreur et qu'il la supprime", ajoute-t-il, se disant prêt à revenir manifester tant qu'il le faudra.
Près de 10.000 personnes s'étaient déjà rassemblées le 19 novembre contre ce projet.
A ses côtés, sa fille Grace, 16 ans, craint de ne pouvoir reprendre l'exploitation familiale : "Nous devrions vendre des champs (pour payer la taxe, ndlr) et la ferme ne serait plus viable, car il n'y aurait plus assez de terres à cultiver."
Jusqu'à présent, les exploitations agricoles britanniques pouvaient bénéficier d'une exonération des droits de succession sur leurs biens et propriétés, une mesure censée faciliter à juste titre la reprise des fermes.
Mais le gouvernement a annoncé le 30 octobre, lors de la présentation de son budget, que cette exonération ne s'appliquerait plus aux exploitations de plus d'un million de livres (1,20 million d'euros), à partir d'avril 2026.
Elles seront désormais soumises à une imposition de 20%, la moitié du taux habituel des droits de succession.
L'exécutif estime cependant que le seuil réel à partir duquel ces droits de succession seraient payés pourrait s'élever à 3 millions de livres (3,6 millions d'euros), en raison des abattements prévus quand un couple souhaite transmettre son exploitation à un enfant.
"La grande majorité des exploitations familiales ne seront pas touchées. Nous nous attendons à ce qu'environ 500 d'entre elles seulement le soient", a estimé mercredi Shabana Mahmood, ministre de la Justice, sur Sky News. Ce qui ne servirait donc à rien budgétairement parlant, et deviendrait finalement une réforme impopulaire.
Les agriculteurs, eux, s'appuient pour leur part sur un chiffre du ministère des Affaires rurales selon lequel 66% des entreprises agricoles valent plus d'un million de livres, ce qui n’est plus pareil.
Exclus de la politique agricole commune européenne (PAC), depuis le Brexit, les agriculteurs britanniques souffrent de pénuries de main-d’œuvre et d'un déficit de financement.
Pendant ce temps de l’autre côté de la manche, une centaine de tracteurs bloquaient ce mercredi l'autoroute A16 dans le sens Boulogne-Dunkerque à Coquelles, près du tunnel sous la Manche, pour protester contre l'accord de libre-échange UE-Mercosur, a constaté un correspondant de l'AFP.
Cette action n'avait cependant "aucun impact sur les plateformes transmanches", c'est-à-dire le tunnel et le port de Calais, selon la préfecture du Pas-de-Calais interrogée par l'AFP. Des déviations ont été mises en place, a-t-elle précisé.
"On bloque l'A16 pour montrer le mécontentement des agriculteurs, des éleveurs en particulier, suite aux annonces sur le Mercosur", a expliqué Antoine Peenaert, président de la FDSEA du Calaisis. Il a déploré qu'Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, soit "déjà partie signer quelque chose en Uruguay sans vraiment l'accord de l'Europe".
L'annonce vendredi à Montevideo, en présence de Mme von der Leyen, de la finalisation de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et quatre pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) a relancé une vague de protestations dans le monde agricole français et européen. Il redoute d'être confronté à une concurrence sud-américaine à prix cassés, notamment sur le marché de la viande.
Cette action symbolique près du grand centre commercial Cité Europe de Coquelles, qui a démarré en fin de matinée, doit durer "jusqu'à 16H00, pour montrer notre détermination" et la capacité des agriculteurs de "bloquer" davantage l'économie française et européenne "s'il le faut", a ajouté M. Peenaert.
La France est la cheffe de file de pays européens opposés à cet accord, qui pour entrer en vigueur doit être ratifié par au moins 15 des 27 Etats membres de l'UE, représentant au moins 65% de sa population.
A Dijon des dizaines de tracteurs ont bloqué ce mercredi le centre-ville, déversant fumier et pneus usagés en signe de protestation contre l'accord entre l'UE et le Mercosur et la censure du gouvernement.
"Paysans sans blé", "N'importons pas ce que l'on a interdit en France", était-il inscrit sur des panneaux accrochés à la calandre des tracteurs stationnés face au Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, à la Maison de l'Europe et près de la préfecture.
Des bennes chargées de vieux pneus, paille et lisier, ont été déversées devant la Maison de l'Europe. Un important dispositif policier les a empêché de faire de même devant la préfecture, sans trop de troubles.
"Plus d'une centaine" de tracteurs étaient présents, selon les organisateurs, qui dénoncent encore "l'accord honteux" entre l'Union européenne et le Mercosur et la censure du gouvernement Barnier. La préfecture en a dénombré 73.
"On réclame que le prochain gouvernement reprenne intégralement ce qui était dans le projet de loi agricole qui devait être validé début janvier".
"On continuera à avoir des actions fortes et massives", a-t-il ajouté sous les coups de klaxon des engins agricoles.
"On veut un gouvernement qui prenne conscience des problématiques agricoles encore plus que ce qu'on connaissait auparavant", a renchéri Yannick Salomon, secrétaire générale des JA de Côte-d'Or.
Lundi soir, la permanence de trois députés NFP et un RN de la région, qui ont voté la censure, a été emmurée par des manifestants, comme de nombreuses autres dans le reste du pays.
L'une des députées visées, l’écologiste Catherine Hervieu, a été touchée par un jet de peinture alors qu'elle discutait avec des agriculteurs qui muraient sa permanence. Elle a cependant décidé de ne pas porter plainte.
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