Que reproche-t-on au Pr Perronne ?
TRIBUNE - Le 13 septembre prochain, le Pr Christian Perronne sera entendu par la chambre disciplinaire de première instance d'Île-de-France de l'Ordre des médecins, suite à deux plaintes déposées en 2020, par le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), et par le Dr Nathan Peiffer-Smadja.
Ces audiences permettront au Pr Perronne, et à son avocat, de s'exprimer dans le cadre de ces procédures ordinales pour lesquelles il encourt des sanctions disciplinaires.
Ces procédures ont été initiées dans le contexte de la crise du Covid-19, suite à des propos tenus par le Pr Perronne.
Ainsi, les griefs retenus à l'encontre de cet infectiologue mondialement réputé, qui était chef du service infectiologie de l'hôpital universitaire Raymond Poincaré de Garches au début de la crise du Covid-19 (il est aujourd'hui à la retraite), concernent uniquement ses interventions médiatiques.
Mais que lui est-il précisément reproché ?
Cette question nous expose à un paradoxe vertigineux... qui sera exposé ci-après.
Tout d'abord, concernant la plainte déposée par le Dr Peiffer-Smadja.
Celui-ci estime avoir été attaqué personnellement par le Pr Perronne sur la valeur scientifique de ses publications au regard de son jeune âge et de sa qualité d'interne, estimant que l'article 56 du code de déontologie qui dispose que « les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité », aurait été violé.
Cette plainte concerne des propos tenus par le Pr Perronne dans les médias ainsi que dans le documentaire « Hold-Up ».
Le Dr Peiffer-Smadja reproche ainsi au Pr Perronne d'avoir fait état de sa qualité d'interne afin de critiquer la valeur scientifique de ses publications. Or, si le Pr Perronne a bien fait état de la qualité d'interne d'un des auteurs d'une étude qu'il a critiqués, c'est que cette précision est de toute première importance. En effet, la valeur d'une étude scientifique ne sera pas la même suivant que ses auteurs sont des internes ou bien des professeurs. Le fait de souligner que l'un des auteurs d'une étude est un interne, ne saurait donc être constitutif d'une violation de l'article 56 du code de déontologie.
Concernant ce premier dossier qui sera examiné le 13 septembre, il convient de préciser que la chambre disciplinaire examinera également la plainte déposée par le Pr Perronne contre ce même Dr Peiffer-Smadja, relative à des faits autrement plus problématiques. En effet, le Pr Perronne a pu produire devant la chambre disciplinaire un constat d'huissier attestant que sur une période de six mois, entre les mois de mai et octobre 2020, le Dr Peiffer-Smadja a publié pas moins de 14 tweets désobligeants, injurieux, diffamatoires, menaçants, à son encontre, tout en usurpant le titre d'« infectiologue » dans les médias et sur son compte Twitter.
Enfin, concernant la plainte déposée par le Conseil national de l'Ordre des médecins. Celui-ci considère que le Pr Perronne aurait violé le Code de la santé publique en s'étant exprimé dans la presse nationale, sur les réseaux sociaux, et dans un ouvrage en mettant « gravement en cause des confrères ayant pris en charge un membre de sa famille ou ayant participé à des décisions sanitaires des pouvoirs publics », et d'une manière générale, en n'ayant pas apporté son concours aux actions de santé publique mises en place par le gouvernement (en se fondant sur l'article R 4127-12 du Code de santé publique : « Le médecin doit apporter son concours à l'action entreprise par les autorités compétentes en vue de la protection de la santé et de l'éducation sanitaire. Il participe aux actions de vigilance sanitaire »). Il lui est par ailleurs reproché d'avoir dénigré les « politiques de santé publique » mises en place durant la crise du Covid-19.
Il apparait ainsi que la plainte du CNOM est motivée, d'une manière générale, par des propos tenus par le Pr Perronne dans le cadre d'interventions médiatiques, durant la crise de la Covid-19. Interventions au cours desquelles le Pr Perronne exposait sa vision de la crise sanitaire.
Or, la jurisprudence est claire et sans appel : il n'est pas possible de limiter la liberté d'expression d'un médecin enseignant chercheur qui s'exprime afin de commenter une crise sanitaire. En effet, les universitaires, comme le Pr Perronne, bénéficient, en France, d'une liberté d'expression et de recherche quasi absolue, que ce soit dans le service ou en dehors du service.
La Cour européenne des droits de l'homme a pu souligner « l'importance de la liberté académique, qui autorise notamment les universitaires à exprimer librement leurs opinions sur l'institution ou le système au sein duquel ils travaillent ainsi qu'à diffuser sans restriction le savoir et la vérité » (CEDH, 23 juin 2009, n° 17089/03, Sorguç c/ Turquie, § 35). Il est également possible de soulever que, pour la Cour européenne des droits de l'homme, un professeur ne peut être condamné suite à des propos tenus dans la presse dès lors qu'il a agi avec bonne foi et soulevé un problème d'intérêt public sans émettre des critiques de nature personnelles et gratuites (CEDH, n° 12138/08, 19 janv. 2016, Aurelian Oprea c/ Roumanie).
En l'espèce, quoique le CNOM puisse penser des propos tenus par le Pr Perronne dans les médias, il est incontestable que celui-ci a agi avec bonne foi pour tenter de soulever des problèmes, liés à une crise sanitaire majeure, dont l'intérêt public n'est pas à démontrer, et qu'il n'a émis aucune critique de nature personnelle et gratuite.
Il convient enfin de mentionner le paradoxe vertigineux qu'implique la plainte du CNOM.
Comme exposé précédemment, le CNOM considère que le Pr Perronne aurait violé l'article R 4127-12 du Code de santé publique qui prévoit que « le médecin doit apporter son concours à l'action entreprise par les autorités compétentes en vue de la protection de la santé et de l'éducation sanitaire ».
Ainsi, dans ses écritures, le CNOM met en avant cet article afin de soutenir qu'il serait interdit, pour un médecin, de contester une décision qui serait prise par le Premier ministre ou le ministre de la Santé, afin de mettre en place une « politique de santé publique ».
Dès lors, afin d'observer si le Pr Perronne a commis une infraction au code de déontologie, la chambre disciplinaire devra se prononcer, d'une manière générale, sur la question de la liberté d'expression des médecins universitaires. Mais elle devra surtout répondre à cette question paradoxale : un médecin peut-il avoir un avis différent de celui exprimé par le gouvernement, et peut-il en faire état publiquement ? Autrement dit, alors que n'importe quel citoyen, homme politique, patient ou syndicaliste peut contester et critiquer une politique de santé publique mise en place par un gouvernement, seuls les médecins, qui sont les mieux à même de comprendre les enjeux de santé publique, n'auraient pas le droit d'exprimer un avis critique à ce sujet.
Vertigineux, n'est-ce pas !
Voici l'enjeu des débats qui se tiendront le 13 septembre prochain devant la chambre disciplinaire de première instance d'Île-de-France de l'Ordre des médecins.
Me Thomas Benages est l'avocat du professeur Christian Perronne.
À LIRE AUSSI
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.