Proportionnelle : le piège tendu aux opposants ...
TRIBUNE - Scrutin de liste, à un seul tour, la représentation proportionnelle n'a jamais manqué et ne manquera jamais de partisans. Le plus souvent, sous couvert de la justice qu'elle est censée symboliser.
Mais, en matière électorale, tout dépend de ce que l'on attend d'un mode de scrutin. S'il s'agit de transposer sur les bancs de l'Assemblée nationale une photographie de l'opinion, alors la représentation proportionnelle est le mode de scrutin idéal, même si les sondages suffisent à mesurer l'importance des grands courants politiques dans le pays. S'il s'agit de rechercher une majorité cohérente, bien décidée à soutenir de ses votes à l'Assemblée nationale le gouvernement nommé par le président de la République élu du peuple, alors c'est une tout autre affaire : Il vaut mieux se tourner vers le scrutin majoritaire.
Au moment où le sujet redevient d'actualité, comment ne pas voir que si le changement du mode de scrutin avait été une priorité du pouvoir issu des urnes de 2017, il n'aurait pas attendu sept ans pour s'en préoccuper ? M. Macron a, du reste, été bien heureux de pouvoir compter sur le scrutin majoritaire pour disposer d'une majorité compacte au Palais Bourbon de 2017 à 2022.
Certes, de temps à autre, François Bayrou, chantre de la représentation proportionnelle, a bien fait entendre sa petite musique pour obtenir d'Emmanuel Macron la mise en œuvre du scrutin proportionnel. Mais, à aucun moment, le président du Modem n'a menacé de rompre la coalition gouvernementale s'il n'obtenait pas satisfaction. L'attribution du commissariat au plan - dont les travaux ne brillent pas d'un éclat particulier ! - l'a au demeurant bien aidé à mettre en sourdine sa revendication du respect de l'engagement de 2017 sur la loi électorale.
Si le changement du mode de scrutin pour l'élection des députés venait à être mis très sérieusement sur la table, il n'est pas douteux que de tous côtés les mérites de la représentation proportionnelle seraient célébrés. Pour les dirigeants des partis, et leurs proches, qui arrêtent la composition des listes - et on le voit, ces jours-ci, très clairement avec la préparation des élections européennes - c'est l'assurance de l'élection ou de la réélection. A l'évidence, ce mode de votation est moins risqué qu'une candidature dans une circonscription, où l'élu n'est jamais à l'abri d'un désaveu du corps électoral.
Pourtant, à la place des opposants à M. Macron, j'y regarderais à deux fois, voire davantage, avant de voter un changement de l'actuel scrutin majoritaire. Et, surtout, je m'interrogerais sur le calendrier comme sur le contexte politique : ne s'agit-il pas tout simplement d'une manœuvre savamment orchestrée par la présidente de l'Assemblée nationale en vue d'échéances au résultat incertain ?
D'ici au 9 juin, il est peu probable que l'Assemblée nationale mette un terme à l'actuelle législature par l'adoption d'une motion de censure, qui signifie normalement retour devant les électeurs. Mais, alors que la vérité vient d'éclater au grand jour sur l'état catastrophique de nos comptes publics, l'hypothèse d'une censure du gouvernement est évoquée à propos de la loi de finances pour 2025, qui viendra en discussion devant le Parlement à l'automne 2024.
La censure du gouvernement - si l'on s'en réfère au seul précédent de 1962 - entraînerait la dissolution de l'Assemblée nationale et l'organisation d'élections législatives anticipées. Avec le scrutin majoritaire, et étant donné le niveau d'impopularité du chef de l'Etat, la déroute est assurée pour le pouvoir en place, et Emmanuel Macron pourrait difficilement demeurer en fonction, le peuple ayant mis un terme au contrat de confiance de l'élection présidentielle. Mais bien différent serait le résultat des élections législatives à la représentation proportionnelle, ou avec un scrutin mixte. Même défait, et puisqu'aucune majorité ne serait sortie des urnes, le président de la République pourrait assurer sa survie et achever son mandat, vaille que vaille, avec un gouvernement de cohabitation.
C'est très exactement ainsi que François Mitterrand a pu rester au pouvoir après sa défaite aux élections législatives de 1986, la représentation proportionnelle intégrale ayant amorti le choc, et ...se faire réélire deux ans plus tard. Cette situation n'a certainement pas échappé aux dignitaires de la Macronie.
Autre échéance, certaine celle-là, et plus importante encore, tant elle est l'élection-clé de notre République : l'élection présidentielle de 2027. Bien sûr, trois ans nous en séparent. Mais le doute n'est pas permis : dans la situation calamiteuse, à tant d'égards, qui est celle de notre pays, le nouveau titulaire de la fonction suprême aura le plus grand besoin d'une majorité solide à l'Assemblée nationale pour assurer le redressement de la France. Et ce n'est assurément pas la représentation proportionnelle - les douze années de la IVème République sont là pour l'attester - qui la lui apportera.
Pour des raisons de fond comme d'opportunité, les opposants à M. Macron seraient par conséquent bien inspirés de laisser les institutions en paix. Ils en auront le plus grand besoin après 2027, ou avant. Ce ne sont pas elles qui ont failli, mais les femmes et les hommes au pouvoir, qui ont montré leur vraie nature au fil du temps : de grands diseux et de petits faiseux.
Alain Tranchant, président fondateur de l'Association pour un référendum sur la loi électorale
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