Covid 19 : impréparation, ignorance, déni, déclin démographique
TRIBUNE
Depuis la fin de l’hiver dernier, rien ne fut véritablement déduit des difficultés dans lesquelles on se débat. Le nez sur le guidon, on ne voit rien d’une course. Aucun recul pris pour comprendre le contexte général dans lequel nous sommes. Or, la chose est simple à formuler : si notre population était jeune, il n’y aurait eu aucun confinement car aucun risque de voir les structures hospitalières débordées. Mais dans un pays vieux comme le nôtre, on confine jeunes et vieux, et on finit par masquer les enfants de six ans… On ferme même les magasins à l’entrée de l’hiver empêchant les parents de les vêtir chaudement !
La France est vieillissante, et c’est un problème évidemment médical et hospitalier. D’après l’Institut national des études démographiques, la part des 60 ans et plus, qui est aujourd’hui de 26,4%, sera de 29,6% dans dix ans et de 31,7 dans vingt ans… En 2050, elle sera de 32,9% alors qu’elle n’était que de 23,8% en 2013. L’INSEE estime quant à lui qu’il pourrait y avoir deux fois plus de personnes de plus de 75 ans à l’horizon 2070 qu’en 2013.
Plus important encore : d’après le même institut, sur la période 1997-2019, les catégories d’âge « 0 à 19 ans » et « 20 à 59 ans » n’ont cessé de baisser en proportion de la population totale, tandis que les catégories « 60 à 64 », « 65 ou plus » et « 75 ou plus » n’ont pas cessé d’augmenter. La natalité ne sera pas suffisamment forte pour éviter un déséquilibre à venir et déjà perceptible avec ce virus épidémique. A l’instar des autres pays occidentaux et des pays développés extrême-orientaux, la France expérimente pour la première fois dans son histoire le vieillissement généralisé de sa population.
La crise du Covid est donc révélatrice de notre fragilité démographique. Or, quand en France on prend en compte le vieillissement de la population, c’est uniquement pour élaborer une énième réforme des retraites afin de prolonger le temps de vie active. Car nous avons pris acte de l’espérance de vie qui augmente et nous rêvons secrètement d’être tous des centenaires. Mais il est possible que cette espérance de vie stagne, voire qu’elle régresse quelque peu. Surtout, faire progresser cette espérance de vie c’est reporter le problème à plus tard. Et plus tard, c’est aujourd’hui : 2020.
Dans un article de 2016, dans la revue de l’INED Population & Sociétés, les démographes Gilles Pison et Laurent Toulemon constataient : « Le nombre de décès va augmenter en France dans les prochaines années ». D’une part, la mortalité basse due à l’augmentation de l’espérance de vie pour les personnes nées avant la seconde guerre mondiale ne peut être prolongée indéfiniment. D’autre part, la première génération dite du baby-boom, née après-guerre, parvient à des âges critiques. Les auteurs concluaient : « Même dans un scénario improbable où des innovations majeures en matière de lutte contre le vieillissement biologique permettraient à l’espérance de vie de faire un bond rapide de 10 à 20 ans, on n’échapperait pas à une forte hausse du nombre de décès quand viendrait le moment de la mort pour les baby-boomers, leurs propres décès n’étant alors retardé que d’une à deux décennies ».
Nous avons souvent tendance à penser deux choses infondées en France sur le plan démographique. D’abord que nous serions les champions de la natalité en Europe, alors que nous sommes désormais en dessous de l’indice de fécondité permettant un renouvellement naturel (2,1 enfants par femme). Dans le « club des pays dénatalistes » (autour de 1,5 enfant par femme), nous sommes comme une personne de 65 ans qui se croit jeune parce qu’elle est entourée d’individus de dix ans plus âgés qu’elle. Nous sommes un pays de « vieux jeunes », qui ne croit plus en lui et s’en remet donc à des autorités légitimées par la peur de l’avenir proche. Comment avoir une vision à moyen et long terme dans de tels pays ?
Ensuite, en malthusiens que nous sommes, nous pensons que la notion de crise démographique serait attachée à l’augmentation forte du nombre d’habitants – l’explosion démographique ! Mais la crise démographique n’est pas en Afrique subsaharienne, où la natalité reste importante tout en baissant progressivement selon les pays puisqu’ils sont entrés dans la phase dite de « la transition démographique ». Qu’on se le dise, la crise démographique est en Europe : natalité trop basse, part âgée pesant de plus en plus sur les structures économiques et sociales des Etats, jeunesse entravée qui rêvera de départ.
Tout dirigeant politique, passé, présent et futur, commet une faute grave en ne prenant pas en compte la population vieillissante du pays. Il ne suffit pas de conseiller aux papys et mamies de ne pas aller chercher leurs petits-enfants à l’école, il faut des structures hospitalières robustes et des autorités de santé cohérentes dans leurs décisions. Il faut de la médecine et non de la science. Que l’on s’en soit immédiatement remis à « la » science indique une attitude qui est le contraire même de toute science. Une science n’est pas censée rassurer mais expliquer. Et comme l’énonce le physicien Etienne Klein, toute science implique de la recherche et toute recherche requiert du temps.
Or, dans cette crise, le plus incroyable est que « la » science a été invoquée comme « entité salvatrice », créant ainsi plus d’irrationalité que de rationalité, générant de la peur. Nous avons cru aller de l’avant alors que c’était une attitude de repli. Cette attitude consiste même à impacter les enfants en leur imposant les règles sanitaires des adultes et des adolescents alors qu’ils ne sont, heureusement, que peu concernés par la contagion virale. D’ailleurs, l’un des signes de notre déclin démographique a été de ne pas nous réjouir de la bonne santé de nos enfants et de nos jeunes…
On observe à ce sujet un renversement des valeurs inédit : on demande aux enfants de protéger leurs aînés… Dans toute société, même brutale, même peu développée, les adultes, quel que soit leur âge, ont la charge naturelle de protéger les enfants. Parce qu’ils sont l’avenir, la continuité de la société. Comme aimait les nommer avec ironie le philosophe Michel Serres, de « vieux grincheux » se plaignaient du « jeunisme » alors que nous sommes en plein « vieillisme ».
Par orgueil, aveuglement, le gouvernement actuel s’est entêté comme le précédent, refusant d’accorder le crédit nécessaire au seul institut hospitalier et de recherche qui gère bien la crise sanitaire, au point même de ne jamais y mettre les pieds, même lorsqu’il se déplace à Marseille… L’ennemi invisible n’est pas le virus mais notre peur panique. Décédé en 2018, l’urbaniste et essayiste Paul Virilio s’était fait prophète en clamant notamment : « La peur a certes toujours existé mais la voici aujourd’hui administrée, orchestrée, politisée ». Et elle est en train de ruiner le pays et de mettre à mal la société. Car cette peur ne conduit pas à l'action thérapeutique mais seulement à faire l’autruche, la tête masquée et l’esprit confiné.
Pourtant, Philippe Sansonetti dans son cours du Collège de France de 2017 sur les maladies émergentes avait préconisé d'agir ainsi:
"la combinaison d’un diagnostic précoce par des outils adaptés et robustes au chevet du patient (POC, point of care), la modélisation des étapes précoces de l’épidémie, la prise des mesures de base de santé publique, en particulier un isolement raisonné et efficace" et "dans certains cas impliquer des traitements – même moyennement efficaces – pouvant diminuer la charge virale, donc le niveau de transmission de l’agent infectieux et ainsi casser la chaîne épidémique."
Mais il ne fit pas partie du conseil scientifique et ne se mobilisa finalement en faveur d'aucun traitement moyennement efficace... L'autruche.
Christophe Lemardelé, docteur en histoire des religions, chercheur associé au CNRS (UMR 8167 Orient & Méditerranée)
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