Une enquête de l'Associated Press met la lumière sur l’usage des technologies anti-Covid à des fins de surveillance

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FranceSoir
Publié le 29 décembre 2022 - 18:55
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Valery Hache/AFP
Dans une enquête, l'Associated Press (AP) dévoile la manière par laquelle des gouvernements à travers le monde exploitent les technologies créées pour lutter contre l'épidémie de Covid-19 à des fins de surveillance de leurs populations.
Valery Hache/AFP

Dans une enquête publiée le 21 décembre, l'Associated Press (AP) dévoile la manière par laquelle des gouvernements à travers le monde exploitent les technologies créées pour lutter contre l'épidémie de Covid-19 à des fins de surveillance de leurs populations. L'AP s’intéresse aux procédés utilisés par des pays des cinq continents, considérés comme dictatoriaux ou démocratiques, pour prévenir ou réprimer toute forme de contestation, “harceler des communautés” minoritaires ou exploiter les informations sur la santé à des fins d’espionnage.

Cette enquête, menée pendant plus d’un an, fait partie d'une série intitulée "Tracked", qui s’intéresse “au pouvoir” et aux “conséquences des décisions prises par des algorithmes sur la vie quotidienne des gens”. Dans cette partie, publiée par les journalistes de l'AP après avoir interviewé une multitude de “sources et consulté des milliers de documents”, il est expliqué “comment les technologies utilisées pour ‘aplanir la courbe’ des contaminations ont été utilisées à d'autres fins”.

“Tout comme l'équilibre entre la vie privée et la sécurité nationale a changé après les attentats terroristes du 11 septembre, le Covid-19 a donné aux autorités un argument pour intégrer des outils de surveillance de la société qui ont duré longtemps après les confinements”, résume l’AP, qui consacre également dans son enquête un encadré au projet "big data de la tranquillité publique" à Marseille, en France.

Les libertés individuelles suspendues à un QR Code

Cette enquête ne pouvait certainement pas faire l’impasse sur la Chine et sa politique “ultra-stricte” de zéro Covid. Les autorités chinoises, nationales comme locales, ont misé sur les confinements mais surtout les applications mobiles pour lutter contre l'épidémie. Les citoyens ont été obligés d’installer des programmes sur leurs smartphones pour pouvoir circuler librement entre les différents États chinois. À partir des données de santé et des résultats de tests PCR, ces applications génèrent des codes QR individuels, qui passent du vert au rouge, selon l’état de santé de chaque individu.

Pour circuler, embarquer sur des vols ou des trains, voire même accéder à un supermarché, à une salle de sport, un hôtel ou un restaurant, les citoyens chinois devaient naturellement présenter un QR Code vert. Toutefois, le QR code basculait vers le rouge dès que la personne est testée positive au coronavirus ou que les autorités locales imposent un confinement.

Mais “il existe des preuves que ce système de QR code a été utilisé pour étouffer la dissidence” et les manifestations qui se sont déclenchées en 2022 dans les grandes villes du pays contre la politique “zéro covid”. L'AP relate des cas de citoyens qui ont vu leur code QR devenir subitement rouge afin d’être restreints sous prétexte de danger sanitaire. Une des méthodes employées consistait à déclarer l'existence de cas positifs dans la zone où se trouvaient des citoyens soupçonnés de vouloir participer aux manifestations, afin de les confiner. Interrogé par l'AP, Yang Jiahao, qui avait acheté un ticket de train vers Pékin pour manifester, a expliqué que son code devenait devenir orange après la “détection d’un cas dans la zone où il se trouvait la veille”, en attendant de présenter des tests afin de prouver sa non-contamination. Mais son code QR a subitement basculé vers le rouge.

D’autres ont essayé en juin de se rendre vers la province de Henan pour manifester contre leur banque car leurs comptes bancaires étaient inaccessibles depuis des mois. Interceptés par la police à la gare, ils étaient plus de 1 300, selon l'AP, à avoir vu leur QR code scannés, devenir à chaque fois rouges. Pourtant, les passagers avaient soumis les résultats négatifs des tests lorsqu’ils ont sollicité un code vert auprès de la province de Henan avant de s’y rendre.

"C'est un modèle de gouvernance, l’objectif est de renforcer le contrôle social grâce à la technologie. Il est renforcé par des applications de santé, et il va certainement se poursuivre après la pandémie de Covid”, a déclaré Yaqiu Wang, chercheur et membre de Human Rights Watch. "Je pense que c'est très, très puissant”, a-t-il renchéri auprès de l'AP.

Des SMS pour menacer les citoyens

À Jérusalem, cette enquête s’est intéressée aux caméras de surveillance qui “bordent le labyrinthe de voies caverneuses” de cette vieille ville et “les technologies avancées” utilisées pour accroître la surveillance. L'agence de sécurité intérieure, le Shin Bet, utilise la technologie de surveillance de masse, acquise pour détecter des cas de coronavirus, contre les résidents en Israël et les citoyens israéliens “à des fins totalement étrangères au Covid-19”.

L'AP explique que “les Israéliens s’étaient habitués à ce que la police se présente chez eux pour vérifier s’ils observaient ou pas la quarantaine". Ils savaient, grâce à la presse, que le “Shin Bet réutilisait la technologie de surveillance téléphonique, utilisée auparavant pour surveiller les militants palestiniens”.

Une année plus tard, cette agence de sécurité intérieure israélienne a eu recours aux mêmes technologies pour envoyer des menaces aux Arabes d'Israël et aux résidents que les autorités soupçonnaient d’avoir participé à de violentes manifestations. “Certains d’entre eux vivaient ou travaillaient dans la zone, ou étaient juste de passage”, explique AP, qui cite le cas de Majd Ramlawi, serveur dans un café à Jérusalem, qui a reçu un de ces SMS. “C'est comme si le gouvernement était dans votre poche”, a-t-il déclaré.

Cette pratique a suscité un tollé en Israël. Le Shin Bet a justifié cette pratique en évoquant “un besoin clair en matière de sécurité d'envoyer un SMS urgent à un très grand nombre de personnes, qui avaient toutes des soupçons crédibles d'être impliquées dans la perpétration de crimes violents". La démarche a vite été légitimée en février, lorsque le procureur général d'Israël a confirmé l'utilisation continue de la technologie hors covid, affirmant qu'il s'agissait d'un “outil de sécurité légitime”, tout en reconnaissant des problèmes dans le système. “La Cour suprême d'Israël examine actuellement la question”, note l'Associated Press.

Un système de surveillance à 360°

En Inde, c’est la reconnaissance faciale et l’intelligence artificielle qui est utilisée depuis l'arrivée au pouvoir du parti nationaliste hindou Bharatiya Janata du Premier ministre Narendra Modi en 2014, devenant un outil permettant à la police de surveiller les rassemblements de masse. “Le pays cherche à construire ce qui sera l'un des plus grands réseaux de reconnaissance faciale au monde”, affirme l'AP.

Au début de l'épidémie, dans la ville de Hyderabad, ces technologies étaient déployées pour photographier les personnes qui “portaient mal le masque ou qui ne le portaient pas du tout”. La ville a dépensé des centaines de millions de dollars ces dernières années pour des véhicules de patrouille, des caméras de surveillance, des applications de reconnaissance faciale et de géolocalisation ainsi que plusieurs centaines de caméras de reconnaissance faciale.

Le commissaire de la ville a justifié ces mesures par la volonté de “rassurer les entreprises qui investissent en examinant l'état de l’ordre public”. Et d'affirmer à l'AP : "Les gens ici sont conscients de ce que les technologies peuvent faire, et il y a un soutien pour cela”.

Cette enquête rapporte qu’en mai 2020, le chef de la police de l'État de Telangana a tweeté que son département déployait un logiciel basé sur l'IA, utilisant la vidéosurveillance pour cibler les personnes ne portant pas de masque. Une année plus tard, un autre tweet montrait les policiers scanner eux-mêmes à l'aide de tablettes portables les visages des personnes à l'aide d'une application de reconnaissance faciale. "Lorsqu’ils voient quelqu'un qui ne porte pas de masque, ils prennent une photo sur leur tablette, notent leurs coordonnées comme le numéro de téléphone et le nom”, expliquait à l'AP un responsable. Il poursuit en soulignant que “l'application sur la tablette vérifiera ensuite les données pour chercher un antécédent criminel de la personne scannée”.

Les autorités locales sont notamment soupçonnées d’avoir procédé à une gigantesque collecte de données de la population durant l'épidémie afin de se doter d’un “système de surveillance à 360°, qui liera plusieurs données sur le logement, l'aide sociale, la santé et d'autres types de données autour d’un profil”.

Les données de santé pour résoudre des crimes

Les pays jugés dictatoriaux ne sont pas les seuls à figurer dans cette enquête. L'Associated Press s’est également intéressé au cas de l’Australie, où les agences de renseignements ont été surprises en train de collecter des données depuis les applications Covid, qui servaient à informer les citoyens se trouvant à proximité d'une personne testée positive.

Ces applications servaient aussi à enregistrer leurs profils, via des codes QR, pour pouvoir être contactés en cas de flambée des cas. Les données ont été exploitées pour enquêter sur des crimes. La police locale à Perth, capitale de l’Australie-Occidentale, a accédé aux enregistrements des noms et numéros de téléphones de 2 439 personnes, des fans de courses de dragsters, pour enquêter sur le meurtre d’un chef de gang de motards.

Cette mesure allait à l’encontre de la promesse du Premier ministre d'Australie-Occidentale, Mark McGowan, selon laquelle les données liées au Covid-19 ne seraient accessibles qu'au personnel de recherche des contacts du ministère de la Santé.

Aux États-Unis, le gouvernement fédéral s’est doté d’une “boîte à outils de surveillance”, à travers, notamment, deux contrats en 2020 d'une valeur de 24,9 millions de dollars. Des documents auxquels l'AP a pu accéder ont montré que les fonctionnaires fédéraux étaient prêts à partager les données au-delà de leur usage dans la lutte contre l'épidémie de Covid-19.

L’objectif était, entre autres, de recourir à des “données identifiables sur les patients” telles que des informations sur leur santé mentale, la consommation de drogues et ou encore de données provenant de foyers de groupe, de refuges, de prisons, d'établissements de désintoxication et des écoles.

"La pandémie a fait exploser une industrie de collecte massive de données biométriques et biographiques", a déclaré Paromita Shah, directrice exécutive de Just Futures Law, un groupe de défense des droits des immigrants qui a obtenu les documents dont l'AP a eu accès. L’enquête révèle que les CDC (Centers for Disease Control) des États-Unis ont acquis, l’année dernière, des données détaillées sur la localisation des téléphones portables révélant les allées et venues quotidiennes des personnes, dans tout le territoire américain.

La porte-parole du CDC, Kristen Nordlund, a déclaré que l'agence a acquis ces données “avec des protections étendues de la vie privée, pour la recherche en santé publique”.

La France épinglée pour le projet “Big data de la tranquillité publique”

Plusieurs pays ont été concernés par cette enquête, même lorsque les technologies utilisées sont antérieures à l'épidémie de covid. L'AP cite la Russie, qui a obligé ses citoyens testés positifs à télécharger une application pour s'assurer qu'ils soient en quarantaine en les traquant via un GPS. La Colombie est épinglée pour l'usage d'hélicoptères équipés de vision nocturne et de caméras de reconnaissance faciale pour réprimer des manifestations. En Afrique du Sud, l'agence de presse s'est intéressée à un outil de suivi en temps réel des cas contacts, qui a été développé à l'origine pour suivre les braconniers d'animaux sauvages, par la suite imposé aux citoyens après de violentes manifestations.

Cette enquête épingle notamment la France et son projet “Big data de la tranquillité publique” à Marseille. Officiellement, la mairie a suspendu ce projet de "vidéoprotection intelligente" lancé en 2017 par l’administration Jean-Claude Gaudin. Un document judiciaire, signé par un avocat de la ville, laisse entendre que le dispositif est toujours en cours de développement. Le projet a rapidement inquiété les défenseurs des libertés publiques, qui y voient un outil de surveillance.

"Toute intervention qui renforce le pouvoir de l'État pour surveiller les individus est de long terme", a déclaré John Scott-Railton, chercheur principal au Citizen Lab, un organisme de surveillance Internet basé à Toronto, à AP. "Une fois que vous l'obtenez, il est très peu probable qu'il ne disparaisse jamais”.

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