Visite d’Emmanuel Macron en Afrique centrale : "Regardez-nous en nous respectant", exige le président de la République démocratique du Congo
POLITIQUE INTERNATIONALE - Achevant une tournée en Afrique centrale, Emmanuel Macron a retrouvé son homologue congolais Félix Tshisekedi à Kinshasa samedi 4 mars. Lors d’une conférence de presse au "palais de la Nation", le président français souhaitait poser les jalons d'une " nouvelle relation, équilibrée, réciproque et responsable" entre les deux pays, mais s’est retrouvé bien vite rattrapé par des questions de souveraineté territoriale et démocratique.
"Les relations entre la République démocratique du Congo et la République française sont au beau fixe", assure le président congolais au début de la conférence de presse, comme pour convaincre le parterre de journalistes qui se tient devant lui, tandis que plusieurs dizaines de jeunes scandent au dehors que le président français n’est pas le bienvenu à Kinshasa.
"Depuis 1994 vous n’avez pas été capables de restaurer la souveraineté de votre pays."
Officiellement, Emmanuel Macron se trouve en RDC pour parler partenariats économiques, mais en réalité, les journalistes présents attendent le président français sur des questions de souveraineté territoriale.
Depuis plus d’un an, bien que Kigali s’en défende, la RDC accuse le Rwanda de soutenir la rébellion du groupe armé M23 qui s’est emparé d’une partie de la province du Nord-Kivu.
Selon les Nations Unies, plus de 520 000 personnes ont fui leurs foyers de cette région riche en minerais, au cœur de toutes les convoitises. "Nous sommes victimes d’une agression injuste et barbare, c’est dans le malheur qu’on reconnait les amis, et le président Macron est aussi là pour ça", renchérit Félix Tshisekedi.
Le journaliste Michel Kifinda, lui, doute de la candeur de l’amitié franco-congolaise. Il soupçonne l’Hexagone de ne pas vouloir incriminer frontalement le Rwanda. Pour lui, la France est responsable de la présence de militaires sur le sol de son pays.
Pendant le génocide des Tutsis, "l’Opération Turquoise" de 1994 aurait eu pour effet de déplacer les forces hutues vers le Zaïre (l’actuelle RDC). D’après le journaliste, on retrouve certains de ces hommes dans le groupe M23.
"Je pense que vous faites un raccourci", retorque le président français, avant de lancer à l’assemblée : "Depuis 1994 vous n’avez pas été capables de restaurer la souveraineté de votre pays, ni militaire, ni sécuritaire, ni administrative. C’est une réalité, et il ne faut pas chercher de coupable à l’extérieur".
Son interlocuteur remarque néanmoins qu’aucune sanction à l’encontre du Rwanda n’a été demandée par la France auprès Conseil de sécurité des Nations unies. Chose qui a pourtant été faite "avec agressivité" contre la Russie, souligne le journaliste, qui ne sera pas le seul à pousser Emmanuel Macron dans ses retranchements à ce stade de l’entretien.
Élections présidentielles : compromis à l’africaine ou double-standard à l’occidentale ?
Le président congolais perd le calme dont il a fait preuve durant toute la conférence de presse lorsqu’il s’agit d’aborder la question des élections à venir dans son pays.
Valérie Leroux, journaliste politique à l’AFP, s’est aventurée bien malencontreusement à demander au chef de l’Élysée s’il s’attendait à un nouveau "compromis à l’africaine", faisant référence aux propos tenus par Jean-Yves le Drian, Ministre des Affaires étrangères, à l'annonce de la victoire de M. Tshisekedi en 2019.
À peine le président français a-t-il eu le temps de répondre qu’un "processus de confiance" devait encadrer le prochain vote, que son homologue congolais dégaine : "C’est justement ça qui doit changer dans nos rapports".
Le président congolais pointe du doigt le double-standard dont fait preuve, selon lui, l’Occident. "Pendant les élections américaines, on ne parle pas de compromis à l'américaine. Lorsqu'en France il y a plusieurs années maintenant, lors des années Chirac, il y a eu un scandale sur des électeurs décédés qu'on a fait voter, on ne parlait pas de compromis à la française", s’insurge-t-il.
Il accuse les occidentaux d’anticiper des fraudes électorales alors que lui s’inquiète d’abord de la mise place d’élections. Avec un trop grand nombre de déplacés de guerre, elles pourraient tout simplement ne pas avoir lieu. "Regardez-nous autrement, en nous respectant, en nous considérant comme de vrais partenaires et non pas toujours avec un regard paternaliste avec l'idée de toujours savoir ce qu'il faut pour nous ", poursuit-il, sous les acclamations de la salle.
Emmanuel Macron, quelque peu gêné, réfute l’idée d’une différence de traitement. "Quand il y a des problèmes électoraux aux États-Unis d'Amérique ou en France, la presse française les dénonce de manière intraitable (…) et quand il y a des malversations, il y a des procès, des gens sont condamnés. Il y a une justice indépendante et une presse indépendante", se défend-il.
Mais pour Félix Tshisekedi, le mal est fait. En cas de soupçons de fraudes électorales ailleurs qu’en Afrique, il y a sans doute des attaques venant de la presse occidentale à l’égard des élus, mais aucun responsable politique ne parle de "compromis".
La tournée entamée par Emmanuel Macron, qui avait pour but de montrer une profonde humilité à l’égard de l’Afrique, semble être passée à côté de l’exercice … et s’achève sur une note humiliante pour le président français.
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