Thomas Piketty : "on a fait de l'argent avec la dette grecque" assure l'économiste français
La victoire de Syriza
"Je pensais déjà en 2012, lors des précédentes élections grecques, qu'il aurait fallu un choc de ce type. La cure d'austérité imposée à la Grèce et à la zone euro dans son ensemble est une catastrophe: le chômage a explosé dans la zone euro, alors qu'il a diminué à l'extérieur, aux Etats-Unis par exemple".
"On a fait les mauvais choix et la Grèce en particulier a payé un prix très lourd pour ces choix. Il faut se saisir de cette opportunité pour un changement plus global".
Est-il possible que la dette grecque soit effacée?
"C'est ce qui s'est passé dans l'histoire, à chaque fois que la dette a atteint ce niveau là (celui de la Grèce, NDLR). C'était le cas de l'Allemagne à la sortie de la Seconde guerre mondiale. Ils s'en sont sortis par un mélange de restructuration, parfois d'inflation très élevée et de renégociation".
"Si vous voulez rembourser 200% du PIB, il faut 50 ans, 60 ans, sans inflation. Ce n'est pas réaliste, ce n'est jamais arrivé dans l'histoire".
"On a besoin de restructurer la dette grecque, mais je pense qu'il faut aller au-delà. Il faut repenser la façon dont on organise la zone euro. Le gouvernement français a un rôle central à jouer".
"Le nouveau traité budgétaire, adopté en 2012, organise l'austérité. Il est temps que François Hollande reconnaisse qu'il n'a pas marché. Que fait ce traité? Déjà, il donne des cibles de réduction du déficit trop rapides. On ne peut pas choisir le rythme auquel on réduit le déficit indépendamment de la conjoncture économique".
"Ensuite il a surtout un système de gouvernance qui n'est pas démocratique. Quelques pays ne peuvent décider seuls. On a besoin que chaque pays soit représenté en fonction de sa population, ni plus ni moins. Si on avait fait ça au grand jour, on aurait eu moins d'austérité, plus de croissance, moins de chômage. Aujourd'hui, il faut se saisir de cette occasion pour remettre cela en cause et arrêter de dire qu'on ne peut pas modifier les traités alors qu'on le fait tout le temps".
"Il va y avoir des élections en Espagne à la fin de l'année avec Podemos qui pourrait avoir un résultat comparable à Syriza".
"Il faut reprendre le problème européen dans sa globalité et pas seulement bricoler des solutions".
La victoire de Syriza annonce-t-elle une réorientation de l'Europe?
"L'initiative doit d'abord venir de France, d'Italie et d'Espagne. Ces pays, avec la Grèce, doivent mettre sur la table un nouveau projet de refondation démocratique de la zone euro, avec par exemple un impôt en commun sur les sociétés".
"L'impôt sur les sociétés, même la France et l'Allemagne n'arrivent pas à faire payer les multinationales, qui font des deals avec le Luxembourg. Comment voulez-vous que la Grèce y arrive?".
"On est très hypocrites sur nos demandes aux Grecs et sur l'absence de coopération avec eux".
La dette grecque est détenue par des entités publiques. L'effacer serait une perte nette pour les contribuables de la zone euro.
"Il faut remettre en perspective. Premièrement la Grèce c'est 2% du PIB de la zone euro. Il y a donc 98% du PIB qui n'est pas grec. Deuxièmement, il faut baisser les taux d'intérêt de la dette grecque à 1% ou 0%. Ces dernières années, on a fait de l'argent avec la dette grecque: on a emprunté à 1% pour leur prêter à 4 ou 5%. On a gagné de l'argent".
"On a une responsabilité énorme dans la dépression du PIB grec de 25% en cinq ans. C'est une dépression de l'ampleur de la crise des années 1930 en France ou au Royaume-Uni".
"(L'austérité) n'a servie à rien du point de vue de la réduction de la dette, au contraire, c'est ça qui a fait plonger le PIB, qui est très bas, et donc augmenter le poids de la dette".
"Le fait de réduire fortement les intérêts et de rallonger la dette grecque, et il y aura une combinaison de ces mesures, allègera la dette".
"Le problème est global. Il faut un fond commun où l'on mettrait toutes les dettes publiques, de tous les pays européens, au-delà de 60% du PIB. C'est ce fond qu'on réduira à zéro et qui réémettra ensuite de la dette avec un taux commun. Cela permettrait à la BCE d'être beaucoup plus efficace dans sa cible d'inflation. Les mesures prises il y a quelques jours par la BCE vont-elles permettre de retrouver une inflation de 2%? Ce n'est pas sûr du tout".
"Ce qu'on mettrait en commun, ce serait le taux d'intérêt de la dette, et c'est déjà énorme. L'Italie verse ainsi chaque année 5% de son PIB en intérêts. Le mettre en commun permettrait aussi de se prémunir contre les crises futures. Tant qu'on aura une monnaie unique mais 18 dettes publiques, il y aura d'autres paniques financières".
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