Sommet de l'Otan : clôture d'un "conseil de guerre" à l'ambiance triviale
CHRONIQUE — Le sommet de l’Otan de mardi se clôture et avec lui s’énoncent des concepts fondateurs pour le paysage de sécurité, mais aussi pour la souveraineté de l’Europe. Sous couvert de retour à la guerre froide, la présence militaire américaine sur le sol européen en sort renforcée, « par terre, air et mer ».
La Maison Blanche a fait savoir que deux compagnies de destructeurs viendront s’ajouter aux quatre déjà présentes sur la base militaire américaine de Rota (province de Cadiz, Espagne). Au Royaume-Uni, deux escadrons de F35 viendront s’ajouter. Une base militaire permanente sera créée en Pologne. De nouveaux systèmes de défense aériens seront instaurés en Allemagne et en Italie. À ce dispositif s’ajoute un certain nombre de déploiements nouveaux dans la région baltique et en Roumanie. Ce ne sont plus les États-Unis de la débandade d’Afghanistan, mais ceux de la colonisation de pays alliés.
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Mais il est un aspect plus subtil qui déborde de l’analyse sécuritaire et géopolitique. Il s’agit de cette ambiance empreinte de trivialité, intimiste, entre chefs d’États devenue marque de fabrique des sommets internationaux occidentaux. Si au cours du G7 en Allemagne, Boris Johnson et Justin Trudeau ont cru bon plaisanter sur la différence entre eux et Poutine — « faisons voir à Poutine que nous sommes des durs aussi », ont-ils dit, Justin Trudeau suggérant une photo torse nu à cheval, la comparaison ne résiste pas à la réalité. En Russie, l’heure grave se traduit par l’attitude du personnel politique. Les codes protocolaires sont en accord avec le moment et la fonction des protagonistes. Le culte de la personne s’efface derrière le sens de la fonction. Il n’y a pas d’égotisme, de tutoiement. Du moins face aux caméras.
Par contraste, depuis le G7 de 2021, à Cornwall en Écosse, cette ambiance de séminaire motivationnel commence à inspirer ce que les plus jeunes qualifieraient de « gênance ». C’est devenu une habitude. Au cours de ce sommet, réalisé en pleine phase covidienne, l’attitude des « leaders » était en clair contraste avec le message de dramatisme sanitaire. Les mesures de distance sociale s’évaporaient loin des caméras. En 2022, au Covid, s’est substitué la crise en Ukraine. Et là encore, à Madrid, dans le cadre du sommet de l’Otan, l’attitude des exécutifs était tout sauf celle de chefs d’État face au « retour du tragique dans l’Histoire ».
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Toutes les images de la semaine madrilène, se déroulent entre faste et hilarité. Tous les discours du sommet sont ponctués de la menace qui plane sur l’Europe, mais les gestes entre eux, sont ceux d’un pince-fesse mondain. Jill Biden et la Reine Letizia vont faire du shopping dans la mille d’or de Madrid. Ils et elles s’embrasent. Ils sont en bras de chemises. Ils se font des blagues de potaches. C’est une famille qui se réunit, qui fait du tourisme. Toutes les épouses sont là en muses. Les mesures prises sont celles d’un conseil de guerre, mais l’ambiance celle d’un mariage. Biden est même arrivé en retard à l’inauguration du sommet mercredi. À Kiev, la situation serait insoutenable, propre à une ville sous siège, mais l’intégralité du Philarmonique de Kiev s’est déplacé. Il aura plus de chance que ce couple de touristes ukrainiens rencontrés autour de la place Santa Ana, lequel se plaint des coupures de rues. Mais, comment, vous n’êtes pas réfugiés ? Non. Juste en vacances.
Les organisateurs du sommet ont eu la délicatesse de ne pas inviter les vainqueurs de l’Eurovision. Le cadre luxurieux ne saurait s’accompagner de fausses notes. Pour les éviter, très peu de conférences de presse auront été concédées. La production journaliste aura surtout été photographique et confine en une esthétique, plus people que d’actualité politique. Il y a même eu un moment Almodovar en ouverture du sommet lorsque Pedro Sanchéz a toréé Poutine : « Poutine tu ne gagneras pas ».
Tous les potes étaient là. Ceux de l’Union Européenne. Ursula von der Leyen est invitée partout en tant que chef d’État. Ça s’est installé. Louis Michel, le président de cette entité dont personne ne sait à quoi elle sert, le Conseil Européen, est forcément de la partie. Et bien sûr, Emmanuel Macron le plus familier de tous. La mascotte des sommets.
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Boris Johson fait son adolescent turbulent. Il lâche une blague graveleuse face aux trois grâces de Ruben de la pinacothèque du Prado. Joe, tantôt montre des photos de famille sur son téléphone portable au Premier ministre de Malte et son épouse, Robert et Lidya Abela, tantôt se promène en donnant la main à Bégonia Gomez, l’épouse de Pedro Sanchez. Jill de son côté a sorti toutes les robes à fleur d’Oscar de la Renta. Sanchez explique à Joe Stoltenberg et Viktor Orban ce que Velazquez a voulu faire passer dans le tableau des Menines. Justin Trudeau fait office de figurant partout. Mark Rutte d’Hollande, Antonio Costa, Premier ministre du Portugal… Ce groupe à fort à faire, il doit sauver le monde.
D’où le traitement de faveur pour Recep Erdogan. Celui-ci peut se gausser. Il a encore réussi un grand coup, il faut le reconnaître. En donnant son accord à l’entrée de la Finlande et de la Suède dans l’Otan, il a obtenu que ces deux nations lèvent leur embargo sur la vente d’armes à la Turquie, qu’elles amendent leurs lois sur le terrorisme, qu’elles s’engagent en un partage d’intelligence avec Ankara, qu’elles soutiennent l’entrée de la Turquie dans la Structure Permanente de Défense des États Membres de l’UE (PESCO) (cf. Trilateral memorandum). Si l’Otan voulait voir la Russie rire jaune, c’est fait. Un des plus cyniques promoteurs de groupes djihadistes en Syrie, impulseur du plus grand chantage aux migrants d’histoire contemporaine lors de la crise des réfugiés de 2015, remercié de la sorte. Que le dernier qui sorte éteigne la lumière, doit-on penser à Moscou.
La bande des amis d’Asie-Pacifique a été invitée. Ça, c’est à cause de la Chine. C’est bien de montrer du muscle à Pékin, même si c’est en invitant des chefs d’États qui ont été élu avec son aide. Justement, Jacintha Andern de Nouvelle-Zélande, aux faux airs de Rosario Murillo du Nicaragua est là. Elle vient de lancer à Madrid une sorte de fondation, « Association des valeurs globales », ça ne s’invente pas, avec Pedro.
Pourtant, dehors, ils se passent des choses. Ce n’est pas l’Ukraine, mais ce n’est pas totalement inintéressant. Un autre sommet se passe en Espagne, celui de l’inflation, en deux chiffres (10,2 %). L’Espagne se latino-américanise comme bien d’autres pays. Dans d’autres régions du monde, les jeux de la faim atlantistes commencent à produire leur résultat. En Lybie, mercredi dernier, 20 personnes sont mortes de soif en tentant de traverser le désert. Des jeunes cherchent logiquement à échapper à la dégradation dramatique de leur condition de vie. À Melilla, les témoignages des rescapés de la répression marocaine en disent long sur ce qui nous attend, face à une dynamique que l’Europe ne peut pas absorber, mais qu’elle ne peut pas non plus ignorer. Une manière d’arrêter le massacre serait de mettre un frein au suivisme des aventures américaines. On peut être allié sans coucher ensemble.
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