Maroc, Algérie, Espagne, l’autre chaudron de crise énergétique et diplomatique

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Teresita Dussart, pour FranceSoir
Publié le 22 mars 2022 - 11:59
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Pedro Sanchez, le Premier ministre espagnol, à l'Elysée le 21 mars 2022
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LUDOVIC MARIN / AFP
Pedro Sanchez, le Premier ministre espagnol, à l'Elysée le 21 mars 2022
LUDOVIC MARIN / AFP

CHRONIQUE — Entre l’Espagne, l’Algérie et le Maroc se déroule un drame à trois qui n’est pas sans rappeler certains éléments du conflit russo-ukrainien. Un des dénominateurs communs se trouve être le rôle pervers de l’OTAN et de Washington, tous deux jouant des équilibres fragiles et des ambitions ponctuelles et médiocres des politiques européens. En l’occurrence, de Pedro Sanchez en Espagne. Ici aussi, la scène se déroule sur fond de crise énergétique, avec un gazoduc algérien qui traverse le Maroc. C'est comparable aux enjeux du gaz russe en Europe dans la mesure où il traverse une partie d’un pays qui depuis 2014 s’est déclaré ennemi.

Voir aussi : "L'Ukraine est une entité fragile instrumentalisée par les Occidentaux" Xavier Moreau

Il y a cette Albion nord-africaine, le Maroc, qui sait tirer profit de sa cote de sympathie atlantiste du moment. Hétaïre exigeante avec l’Espagne, déloyale, demandeuse, toujours prête à agiter le chantage aux immigrés et à jeter à la mer des mineurs non accompagnés si nécessaire, pour provoquer une crise d’un genre désormais bien connu.

« Trahison » et « ingratitude » envers l'Algérie

Vendredi dernier, le gouvernement de Pedro Sanchez a accepté le plan d’autonomie du Sahara, imposé par le Maroc, rompant avec des décennies de politique d’équidistance sur le sort de son ancienne colonie, le Front Polisario et son Projet d’une République arabe sahraoui démocratique. Projet soutenu par l’Algérie. En acceptant que ce territoire en dispute soit annexé au Maroc, avec quelques prérogatives autonomiques, l’Espagne s’est brusquement mise à dos son principal fournisseur de gaz (47 %), l’Algérie. Le pays ibérique fait donc face maintenant à une double crise d’approvisionnement. « Trahison » et « ingratitude » sont les termes qui reviennent aujourd’hui dans tous les titres de la presse algérienne.

Pour les Algériens, cette reconnaissance est une deuxième trahison. La première est d’avoir cédé à une roublardise du Maroc. Depuis le mois d’octobre 2021, par suite de la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, la Sonatrach algérienne a fermé la clé de passage de son gaz vers ce pays. En revanche, elle s’est engagée à mettre au point un système de bateau méthanier pour continuer à servir l'Espagne sans passer au travers du gazoduc traversant la Méditerranée. Pour la remercier, l’Espagne n’a rien trouvé de mieux à faire que de s’engager à fournir du GNL regazifié, provenant d’Algérie, au Maroc. Alger avait très mal vécu cette trahison, d’autant que la rupture faisait suite à une extorsion du Maroc, qui avait affecté à parts égales l’Espagne et l’Algérie.

La décision de Pedro Sanchez est d’autant plus surprenante qu’elle arrive au terme de douze mois d’attitude extrêmement hostile de la part du Maroc envers l’Espagne. En juin 2021, le général Brahim Ghali, leader du Front Polisario, avait été reçu en Espagne pour se soigner d’un problème pulmonaire dans le cadre d’une mission humanitaire. Cela s’était traduit par une crise diplomatique sans précédent. Le Maroc (qui venait de recevoir 30 millions d’euros de la part d’Espagne comme aide à la coopération pour l’achat de matériel de contrôle migratoire) engage alors une opération spectaculaire dans les enclaves de Ceuta et Melilla. Un lâchage de 6 000 migrants, la plupart mineurs. Des centaines d’enfants littéralement jetés à la mer, sous les yeux des forces de l’ordre marocaines interdisant à ces personnes de faire marche arrière. 

L’ambassadrice marocaine à Madrid, Karima Benyaich, ne nie pas la dimension d'extorsion. Au contraire. « Dans les relations entre les pays, il y a des actes qui ont des conséquences et doivent s’assumer », assurait-elle avant d'être rappelée à Rabat pour consultation. Le royaume de Mohamed VI ne se sentait nullement coupable, mais offensé. Il va de soi que l’Espagne n’a rien reçu du Maroc pour les soins à prodiguer à ses ressortissants. Depuis la décision de Pedro Sanchez vendredi, Karima Benyaich a repris les rênes de la Légation marocaine à Madrid, comme si rien ne s’était passé.  Comme si les milliers de mineurs jetés à la mer n’avaient jamais existé.

En Espagne, « nous devrions nous sentir menacés par le Maroc »

La propension de l’Espagne à vouloir aider le royaume chérifien est totalement incompréhensible. Ce pays l’injure, retire ses ambassadeurs pour un oui pour un non, inonde de drogue et de migrants les côtes voisines, a envahi certains territoires comme les Canaries, exige toutes formes d’aides financières en matière de coopération — dont les effets sont connus de ses seules autorités corrompues. Mais encore, elle n’a eu de cesse pendant ces dernières années — singulièrement à partir de l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche, de se positionner comme une meilleure base militaire en Méditerranée que celle que les États-Unis possèdent dans la ville de Rota, de la province de Cadiz.

Le Maroc avait d’abord offert Alcazarseguir, mais le Pentagone avait refusé du fait du manque de profondeur pour ses porte-avions. La nouvelle proposition porterait maintenant sur une base au Sahara occidental. Cette reconfiguration est d’autant plus inquiétante que le comportement agressif du Maroc est d’ores et déjà perçu comme une menace. Dans un livre qui vient de paraître, Rey Servido, Patria honrada, le général Fernando Alejandre, ex-Chef de l’État-Major et de la Défense (Jemad par ses sigles en Espagne) dit aux Espagnols : « Nous devrions nous sentir menacés par le Maroc ».

L'ingérence implicite de l'Occident

Cette volteface sur la question sahraouie a été prise par le Président du gouvernement espagnol, seul et de manière despotique, sans consultation du Congrès, mais encore sans consultation des États engagés au sein de l’ONU dans la résolution d’une des plus vieilles disputes territoriales. Pour Pedro Sanchez, compte tenu des conditions de son arrivée au pouvoir en 2018, dans le cadre d’un coup d’État parlementaire et de son association contre nature avec la gauche chaviste-woke de Podemos, ainsi que tous les groupes sécessionnistes d’Espagne, un recentrage atlantiste est indispensable pour la suite de sa carrière. Il n’a cessé de donner des signes de son zèle en envoyant proactivement quatre Eurofighters en Bulgarie, avant même que la Russie n’envahisse l’Ukraine.

Lire aussi : Comment les guerres s’entrecroisent ?

En somme, une fois de plus, une gravissime crise énergétique et diplomatique surgit pour satisfaire les velléités d’une puissance située à des milliers de kilomètres.

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