Le passeport vert pourrait-il influencer les Israéliens réticents à la vaccination ?
La gestion des urgences sanitaires va-t-elle entraîner une restriction des libertés individuelles ? La mise en place d’un « passeport vert » pour toutes les personnes vaccinées en Israël est encore loin de faire l’unanimité. S’il pourrait donner l’espoir à certains de retrouver une « vie normale », beaucoup s’insurgent contre une mesure jugée liberticide. Enquête.
Manger au restaurant, visiter des musées, aller à des concerts... Voyager. « Retrouver une vie normale » Avec un passeport ? Le nouveau et controversé « laissez-passer » proposé par le ministère de la Santé israélien serait destiné à encourager la vaccination contre la Covid-19 et permettre ainsi la réouverture des secteurs de l’économie fermés par les restrictions sanitaires. Alors qu’il pourrait officiellement entrer en vigueur d’ici la fin février, il suscite bien des réserves au sein d’une population de plus en plus réticente à franchir le seuil des centres de vaccination. Bien qu’une première manifestation se soit tenue le 6 janvier devant la Knesset pour dénoncer une mesure jugée discriminatoire et liberticide, Israël prévoirait quand même d’ouvrir des hôtels, des salles de sports et d’autres infrastructures de loisir uniquement aux personnes immunisées contre le virus, selon une récente déclaration du ministre israélien de la Santé Yuli Edelstein. Les autorités sanitaires devraient donc proposer très prochainement une application officielle destinée à délivrer le fameux document. Aujourd’hui, la pression s’accentue encore puisqu’une loi serait par ailleurs à l'étude pour autoriser les employeurs à refuser l'accès du lieu de travail aux employés non vaccinés, ou n'ayant pas réalisé un test de dépistage 48 heures auparavant.
Rappelons que depuis la mi-décembre, Israël, largement ravitaillé par le géant pharmaceutique Pfizer, aurait vacciné plus de 3,6 millions de personnes (près de 40% de sa population), sur environ près de 9,29 millions d’habitants*. Si le passeport vert est adopté, les citoyens qui, dans les semaines et les mois à venir, décideraient de ne pas se faire immuniser (quelle qu’en soit la raison) pourraient être écartés peu à peu de la vie publique et sociale du pays. Car que signifie, concrètement, cette idée de passeport sanitaire ? Un retour à une relative normalité pour les uns, une marginalisation pour les autres ? Yonathan a 61 ans et vit à Jérusalem. Il explique : « Je me serais fait vacciner de toute façon, parce que je crois que ce vaccin fonctionne, d’après ce que j’ai lu. Je n’ai vraiment aucun souci là-dessus. C’est vrai que ce « passeport », c’est le petit plus, pour nous donner la possibilité de retrouver une vie normale, et c’est génial. » La vaccination permettrait-elle de se protéger soi-même et aussi de protéger autrui ? : « En tant que vacciné, je sais que j’ai 95% de probabilités de moins de contracter le virus et ça c’est déjà extraordinaire. Forcément, en ayant moins de chances de l’attraper moi-même, cela protège la société. Je pense que le laissez-passer va convaincre pas mal de gens qui veulent revenir à une vie normale, embrasser leurs amis, aller aux mariages, à la synagogue. Cela va provoquer un tsunami, de nombreuses personnes voudront se faire vacciner. »
Les Israéliens réticents et qui s’insurgent contre des décisions liberticides ne l’émeuvent pas outre mesure : « Je pense que c’est assez logique qu’il y ait des limitations à leurs libertés de se déplacer et surtout d’entrer en contact avec d’autres gens. Dans l’intérêt de protéger les personnes à risque et allergiques au vaccin, je comprends cette mesure. Quand le vaccin de la variole est arrivé, est-ce que les personnes non-immunisés auraient revendiqué de prendre le train comme tout le monde ? Je ne pense pas. A l’époque, il n’y avait pas Facebook, ce qui veut dire qu’il n’y avait pas accès aux messages de gens qui se disent médecins, infectiologues, virologues… Personnellement, j’ai plus grande confiance dans les autorités médicales que dans ces gens-là. Mais je pense qu’ils vont progressivement y venir. »
Stéphane, 68 ans, de Tel-Aviv, a aussi franchi le pas : « Le passeport vert ? « C’est la raison pour laquelle je me suis faite vacciner. Pour retrouver une vie normale mais aussi pour protéger les autres, pour permettre aux commerces qui vont le faire d’ouvrir leurs portes. Avec ce document, j’espère pouvoir aller dans des salles de spectacles, dans des cinémas, dans des restaurants, qui seront ouverts si les propriétaires ont aussi leur laissez-passer. Je souhaite que le plus de gens l’aient, pour qu’on puisse revenir à la normale. Ma fille a un restaurant sur la plage, ça fait un an qu’il est fermé. Ils ont décidé de tous se faire vacciner, les serveurs, tout le personnel, en espérant que ça puisse leur permettre de rouvrir. »
Malgré les pressions qui ne manquent pas de s’exercer du côté politique et médical, des citoyens de tous bords ont décidé pourtant de dire non. De fait, la campagne d’immunisation aurait ralenti de 50% ces derniers jours en Israël**. Même si les vaccins sont dorénavant proposés à tous les Israéliens de plus de 16 ans, beaucoup moins de monde se presserait au portillon, malgré les sollicitations répétées des centres de santé locaux.
Alors, qu’en est-il des refuzniks, ces citoyens qui, en dépit de cette campagne menée tambour battant, restent très réticents ? Corinne, 61 ans, de Jérusalem, n’hésite pas d’emblée à dénoncer une ségrégation fondée sur le critère de la santé :
« On veut imposer à l’ensemble de la population un vaccin qui est en phase d’expérimentation. C’est vraiment scandaleux ! Ce n’est pas influencer, c’est imposer de manière coercitive une substance, un médicament, à des gens qui se posent des questions de façon légitime. C’est criminel d’un point de vue politique, hors-la-loi, illégal d’imposer un produit dont la mise sur le marché a été voté dans l’urgence. On n’est pas dans une situation où tout a été pesé, mesuré, vérifié, examiné, avec le recul qui est nécessaire. » Corinne, à l’instar d’autres réfractaires, se révolte que tout cela puisse être justifié par un discours moralisateur et culpabilisant, sur un devoir de solidarité qui s’imposerait à tous. Elle précise : « Oui, on peut émettre des doutes raisonnables sur la dangerosité potentielle de ce vaccin. C’est normal qu’il suscite des interrogations. On a le droit d’adopter une position de prudence ! Même avec dix ans de recul, comme pour les vaccins du tétanos ou de la rubéole, où il y a une maîtrise technologique, scientifique, médicale, même avec des vaccins aussi reconnus et répandus dans la population, personne n’en a fait une obligation. C’est ça qui pose vraiment problème. C’est une atteinte à nos libertés fondamentales, à plus forte raison avec un vaccin en phase expérimentale, qui reste potentiellement à risque. »
Pour Shira, 48 ans, qui habite aussi Jérusalem, le plus inquiétant encore est la disparition de tout esprit critique, et le fait que des mesures aussi radicales que le confinement généralisé ou le passeport vert ne suscitent plus aujourd’hui de réelles indignations. Elle s’interroge : « Le ministère de la Santé envisage la création d’un laissez-passer qui donnerait aux vaccinés l’accès aux lieux publics avec un retour à la « vie normale ». Si cela paraît positif et responsable, susceptible d’endiguer la pandémie et de permettre aux citoyens de recouvrer une liberté confisquée par la loi d’état d’urgence, cela pose aussi un certain nombre de questions. » Des interrogations qui accroissent sa perplexité et sa défiance vis-à-vis de la campagne actuelle : « Premièrement, je m’interroge sur ce « vaccin », qui est en réalité une innovation technologique sans recul quant à ses effets sur l’être humain. Comment prouver des effets secondaires à long terme ? Qui me dédommagera, sachant que les laboratoires ont reçu une décharge de toute responsabilité ? L’État, qui est à la fois juge et partie ? Et si ce vaccin ne protégeait pas contre les différentes mutations du virus ? » Shira tient également à dénoncer une mesure impliquant la quasi obligation de se faire immuniser : « Pour ma part je m’inquiète que le débat démocratique et la liberté d’opinion ou de vaccination cèdent si vite et si facilement le terrain… Le passeport vert contourne l’impossibilité légale d’imposer le vaccin, pour que les gens d’eux-mêmes y voient la solution pour « retourner à la vie normale ». Comme si on était heureux qu’on nous prenne pour des idiots ! Pour ma part, la contrainte éveille ma suspicion. Qui dit laissez-passer dit surveillance et contrôle. »
De fait, selon Nachman Ash, le responsable en charge de la lutte contre le coronavirus en Israël, le document serait censé vérifier l’immunité collective et donc définir une « marge de sécurité » pour un retour à la normale. Des arguments qui ne lassent pas de laisser perplexe, même chez ceux qui auraient souhaité se faire immuniser. Sabine, 51 ans, résidente de Kfar Vradim, dans le nord du pays, fait partie de cette catégorie. Mais pour elle, pas d’alternative possible, pour des raisons médicales : « Plusieurs membres de ma famille et moi-même avons des allergies qui sont des contre-indications aux vaccins. Donc, de toute façon, on ne peut pas se faire immuniser, même si on le veut. Moi, je n’ai rien contre. Mais mon sentiment, avec cette nouvelle mesure, c’est que ça va créer deux catégories de personnes, les « verts » et les « rouges ». Si vraiment passeport entre en vigueur, les « rouges » verraient leur liberté de mouvement entravée à cause de l’existence de ce document. C’est un prix à payer sur notre liberté individuelle qui me parait disproportionné par rapport au fait qu’on peut circuler en prenant certaines précautions. Pourquoi être obligé de faire un test pour avoir un laissez-passer de 72 heures, si on n’a aucun symptôme ? C’est le choix de chacun de se faire vacciner ou pas. Le gardien du centre commercial n’a pas besoin de le savoir. C’est mon secret médical, et mon intimité. »
*Source : I24 News
**Source : Times of Israël
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