Au Liban, une crise économique et politique aux racines profondes

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FranceSoir
Publié le 19 octobre 2021 - 22:38
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Un manifestant anti-gouvernemental libanais, enveloppé dans un drapeau national à Beyrouth, le 14 janvier 2020.
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PATRICK BAZ / AFP
Un manifestant anti-gouvernemental libanais, enveloppé dans un drapeau national à Beyrouth, le 14 janvier 2020.
PATRICK BAZ / AFP

Depuis octobre 2019 et le début de la contestation populaire face à un régime oligarchique toujours en place, le Liban fait face à sa pire crise économique et politique depuis le commencement de la guerre civile (1975-1990). Face à cette impasse et à la pauvreté qui les menacent, médecins, infirmiers, banquiers, professeurs, ne croient plus en leur avenir et décident de tenter leur chance à l'étranger.

Éviter le chaos sanitaire

C'est dans un contexte de chaos économique, social et politique que le 17 septembre dernier, le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus et le directeur régional de l’organisation en Méditerranée orientale, Ahmed Al-Mandhari, se sont rendus à Beyrouth pour faire un point sur la situation sanitaire très dégradée qui affecte le pays tout entier. Même si l’épidémie de Sars-CoV-2 a précipité les choses, cette détérioration avait commencé bien avant et s’inscrit dans un contexte économique et politique menacé un peu plus chaque jour d’effondrement.

À l’issue de leur visite, les responsables de l’OMS ont alerté sur l’exode du personnel de santé après avoir estimé que 40 % des médecins et 30 % du personnel infirmier avait déjà quitté le pays de manière temporaire ou permanente.

Explosion du port de Beyrouth : un drame qui s'ajoute à une crise économique sans précédent

Depuis l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 qui a fait 218 morts, plus de 6500 blessés et des destructions matérielles considérables puisque des quartiers entiers de la ville ont été détruits, la crise économique qui sévissait depuis le début de l’année 2019, s’est encore accentuée.

Des pénuries de mazouts et de médicaments manquent cruellement et empêchent le fonctionnement des hôpitaux qui « opèrent seulement à 50% de leur capacité ». Pour remédier à cette situation désastreuse, le ministre de la Santé Firas Abiad a écrit le 9 octobre 2021 sur son compte Twitter « les quatre grands défis auxquels est confronté le secteur de la santé : la pénurie de médicaments et de fournitures médicales, le coût élevé des hospitalisations, la migration du personnel médical infirmier."

Cette crise qui touche particulièrement le secteur médical, s’inscrit dans un contexte général de déliquescence économique qui se traduit par une contraction du PIB, une dépréciation de la monnaie et une inflation galopante qui s’élevait à 84,8 % pour la seule année 2020.

Les difficultés d’approvisionnement qui frappent aujourd’hui le pays ne concernent pas seulement le secteur médical, mais affectent tous les domaines de la vie économique. Les classes populaires, mais également les classes moyennes sont touchées ; plus de 900 000 Libanais ne sont plus en mesure de se procurer des produits de première nécessité et la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

Depuis 2019, de très nombreux mouvements de protestation ont éclaté pour exiger le départ d’une classe politique jugée corrompue et responsable de la faillite du pays. La déflagration imputée aux 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, restée dans le port pendant plus de six ans, sans qu’aucune mesure de sécurité n’ait été prise, n’a fait que renforcer la colère du peuple qui accuse directement l’État de négligence tandis que l’enquête peine à avancer dans un contexte où trois anciens ministres ont demandé le retrait du juge le juge Tarek Bitar, en charge du dossier. Cette nouvelle qui n’a pas manqué de soulever l’indignation des associations proches des victimes, a cependant été rejetée par la Cour de cassation qui a autorisé le juge à poursuivre l’enquête.

Le poids du système politique qui ne se renouvelle pas 

Cette corruption endémique qui ronge le pays est favorisée par la construction du système politique qui repose sur le partage du pouvoir entre communautés religieuses. 

À la dimension communautaire qui rend la gouvernance très compliquée, s’ajoute un système dynastique qui ne permet pas le renouvellement des élites politiques. L’accès au pouvoir est depuis longtemps cadenassé dans un système bloqué où aucun candidat porteur de programmes opposés ne peut faire entendre sa voix et où le renouvellement des élites politiques ne semble possible que par la promotion de la progéniture. Cette situation n’est pas nouvelle puisque depuis le 18ème siècle et la dynastie des Salam jusqu’à celle plus récente de la famille Hariri, le pouvoir politique se transmet en famille.

Cette dérive dynastique qui entraîne la reproduction d’un même pouvoir par les « grandes familles », est toujours mieux supporté lorsque la situation économique d’un pays est stable. Mais, dès lors que les difficultés se font jour, les velléités de changement s’élèvent. Aujourd’hui, les griefs se multiplient contre un pouvoir jugé frauduleux et la très grande majorité des Libanais appellent à refonder le système politique dans sa totalité.

Si certains dénoncent la corruption, l’immobilisme et se battent pour un changement radical de l’organisation politique, d’autres abandonnent la lutte, lui préférant l’exode. Il est vrai que les difficultés matérielles que rencontrent les Libanais au quotidien et le peu de perspectives de changement pour un avenir meilleur, expliquent cette émigration qui dépasse largement le secteur du personnel médical.

S’inscrivant dans une vague migratoire très large, la fuite des cerveaux touche tous les domaines d’activité et de plus en plus de travailleurs qualifiés cherchent à quitter le pays. Selon le magazine Courrier international qui reprend les chiffres officiels cités par le quotidien panarabe Asharq Al-Awsat, ce sont pas moins de 260 000 passeports qui ont été délivrés depuis le début de l’année 2021, ce qui représente une augmentation de 82 % si on compare ce chiffre avec celui de 142 000 l’année précédente à la même période.

L’observatoire de la crise du Liban réalisé par l’université américaine de Beyrouth a estimé que cette crise pourrait s’inscrire dans le temps long et que cette vague migratoire était l’une des plus importantes de l’histoire du pays après celles survenues entre la fin du 19ème siècle et la Première Guerre mondiale, puis celle qui avait touché le pays pendant la guerre civile (1975-1990).

Jeudi dernier, des affrontements sanglants ont encore frappé Beyrouth (vidéo AFP).

Emmanuel Macron, qui a tenu à se montrer aux côtés du Liban dans cette crise, quitte à "en faire beaucoup trop, comme d'habitude, et avec des manières odieuses", confie atterré un Libanais "amoureux de la France" et resté à Beyrouth, n'ignore certainement pas que l'ambassade de France a lancé un appel aux soignants libanais pour pallier le manque d'effectifs dans les hôpitaux français, chronique mais aggravé par la suspension de ceux qui refusent l'injection obligatoire. Est-ce vraiment à la hauteur des enjeux et de ce que méritent l'histoire et les liens innombrables, mais d'abord affectifs, qui lient aujourd'hui notre pays et "la terre du lait et du miel" ?
 

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