Juan Branco arrêté et inculpé pour "attentat" au Sénégal, ses avocats dénoncent une "persécution politique" et saisissent l'ONU
INTERNATIONAL - Samedi 5 août, vers 6 heures du matin, l'avocat français Juan Branco a été arrêté par les autorités mauritaniennes à Rosso, ville inter-frontalière entre la Mauritanie et le Sénégal. Alors qu'il semblait vouloir gagner Nouakchott par la route, celui-ci a été appréhendé à bord d'une embarcation légère de pêche. Les conditions exactes de son arrestation n'ont pas été officiellement détaillées. Une procédure d'extradition a été rapidement exécutée. Transféré à Dakar dans l'après-midi, il a été placé "entre les mains de la BIP (la brigade d'intervention polyvalente, ndlr), l'unité d'élite de la police" du Sénégal, d'après les propos du ministre de l'Intérieur Antoine Diome.
Inculpé pour "attentat"
Actuellement sous détention dans une prison du centre de la capitale, Branco a été inculpé ce dimanche 6 août pour "attentat, complot, diffusion de fausses nouvelles, actes et manœuvres de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles politiques graves". Des actes passibles de peines qui peuvent aller jusqu'à la réclusion à perpétuité, selon un avocat sur place, Me Ciré Clédor Ly, et les avocats parisiens de Branco, Maîtres Luc Brossolet, François Gibault et Robin Binsard.
L'arrestation du franco-espagnol fait suite à un mandat d'arrêt d'international lancé à son encontre par le procureur de la République du Sénégal, le 14 juillet dernier, pour des "crimes et délits".
Or, l'avocat français est entré il y a une dizaine de jours au Sénégal par voie terrestre, vraisemblablement par la Gambie pour contourner son interdiction d'atterrir dans un aéroport sénégalais, et a réalisé dimanche 30 juillet dernier une apparition surprise : au nez et à la barbe de l'exécutif, il est intervenu lors d'une conférence de presse dédiée à la défense d'Ousmane Sonko.
Le 1er juin dernier, le président du parti désormais dissous "Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité" (PASTEF), a été condamné à deux ans de prison fermes pour "corruption de la jeunesse", puis arrêté le vendredi 28 juillet. Engagé à ses côtés depuis 2021, Maître Branco conseille la défense de cet opposant politique au président Macky Sall, dans un pays aux prises avec des troubles sociaux issus d'un meurtrier bras de fer partisan.
En conséquence, il est accusé par les autorités sénégalaises, à l'instar de son client, d'être responsable de nombreux "appels à l'insurrection" et de faire la "promotion de la violence".
Une certaine idée de son magistère
Juan Branco a porté plainte courant juin 2023 en France et saisi la Cour Pénale internationale de la Haye contre Macky Sall et son administration pour "crime contre l'humanité" présumé envers ses adversaires politiques.
Volatilisé après son discours d'une dizaine de minutes tenu lors de la conférence, l'avocat français a eu le temps de rappeler solennellement son "serment de défendre" Sonko et les raisons de son engagement depuis deux ans, "en tant qu'avocat et en tant qu'homme, pour tous ceux qui luttent, quelles que soient leur origine ou leur couleur de peau".
L'auteur de "Treize pillards, petit précis de la Macronie" a vivement attaqué l'establishment sénégalais, en s'adressant directement au procureur de la République. Sans détour, il a évoqué les "crimes commis" d'après lui par "les gouvernants, magistrats et hauts fonctionnaires" qui "se sont inscrits dans la chair de l'humanité", responsables par ailleurs "de la misère" du pays.
Au sujet de son éventuelle arrestation, que le soutien de Julian Assange envisageait comme possible, Branco a lancé à distance au procureur : "Vous pouvez arrêter un homme, mais vous ne pourrez rien contre la vague et le ressac qui viendront ensuite vous frapper". "Nous serons vos spectres", a-t-il averti. La traque de l'avocat, débutée pour ainsi dire une fois ces mots prononcés, a trouvé son épilogue sur les bords du fleuve Sénégal.
L'Organisation des Nations Unies saisie par ses avocats
Les avocats français de Juan Branco ont déclaré dans un communiqué publié hier que "son combat judiciaire pour Ousmane Sonko ne justifie pas la persécution politique dont il fait l’objet à Dakar".
Ces derniers déplorent vivement "cette remise aux autorités sénégalaises par les autorités mauritaniennes, alors que celui-ci s'était rendu dans ce pays régulièrement et en vue d'échapper" à cette persécution. Une remise qui, selon eux, "méconnaît les règles de droit international, et expose Juan Branco a de graves violations de ses droits humains". Malgré leur volonté d'opposer "toutes les voies du droit" à la procédure d'extradition, celle-ci n'a pas pu être empêchée.
Ce dimanche, Maîtres Luc Brossolet, François Gibault et Robin Binsard ont saisi l'ONU afin de contester cette "détention arbitraire" et pour dénoncer une procédure "gravement attentatoire aux libertés individuelles" dont les "chefs d'inculpation trahissent la véritable nature (...), qui n'a pour autre but que de faire cesser les combats judiciaires de Juan Branco". Dans leur communiqué de samedi, il rappelaient qu'"aucun avocat ne devrait être inquiété en raison de l'exercice de sa profession, ou qu'il soit dans le monde, quelle que soit la défense qu'il a choisie, et quelle que soit la personnalité de ses clients. C'est la sauvegarde des droits de la défense qui est en jeu".
À propos de son client et de sa "personnalité", Juan Branco s'est exprimé lui-même dans un message vidéo tourné en catimini au Sénégal et diffusé la semaine dernière. Il a balayé d'un revers de main toutes les accusations envers le président emprisonné du PASTEF. Branco parle d'un "acharnement judiciaire pour le persécuter et le salir comme cela a été fait envers tant de dissidents à commencer par Julian Assange." À ses yeux, "le pouvoir a montré sa véritable face, celui d'une tyrannie sale, qui ne supporte pas l'opposition politique et qui cherche par tous les moyens à se perpétuer au sein d'instances dominantes qu'elle utilise pour piller et accaparer des ressources au détriment des Sénégalais".
L'avocat présente "les crimes" des membres du pouvoir sénégalais et leurs affidés comme "imprescriptibles" et détaillés dans "la plainte auprès des institutions françaises et internationales" qu'il a déposée. Juan Branco persistait et signait donc dans ses déclarations en affirmant "ne pas parler en fugitif, mais en robe d'avocat", se sentant menacé comme "tous ceux qui portent la parole" d'Ousmane Sonko.
Une grève de la faim entamée
"Je tiens à saluer le courage de beaucoup de journalistes sénégalais qui, contrairement à leur collègues oligarchisés français ont au moins cette passion de la diversité et de la différence", a-t-il ajouté à propos du monde de la presse, concentrant ses piques contre le journal Le Monde et son actionnaire.
Décidé à "travailler dur pour nous assurer des droits des personnes qui se sont engagées sur ce territoire" du Sénégal, Branco a constaté "l'inertie de la communauté internationale et de la France", un pays qui a décidé d'après lui de "s'asseoir sur ses principes", n'ayant eu "aucun mot pour l'arrestation" de son client et "soutenant (son) mandat d'arrêt à (son) encontre".
Le jeune avocat s'est décidé à se rendre en Afrique de l'Ouest pour ne pas rester "dans l'incantatoire" et se montrer "capable de prendre des risques". Mais aussi pour poursuivre "le travail" mené "avec des membres de la société civile et des confrères". Préférant garder le silence face aux autorités sénégalaise, iI refuse dorénavant de boire et de s'alimenter depuis son arrestation.
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