Pédocriminalité : l'ex-chirurgien Joël Le Scouarnec face à ses juges
Jugé pour la première fois après avoir échappé à la justice pendant 30 ans : l'ex-chirurgien Joël Le Scouarnec fait face depuis lundi à Saintes aux quatre victimes, mineures à l'époque des faits, qui l'accusent de viols et agressions sexuelles, premier volet d'une gigantesque affaire de pédophilie.
Interrompu il y a 8 mois par le confinement, ce procès qui repart de zéro devant les assises de Charente-Maritime se tiendra comme en mars à huis clos à la demande de plusieurs parties civiles. Une mesure "de droit" en raison des faits jugés, a rappelé la présidente de la Cour Isabelle Fachaux.
A l'ouverture de l'audience, l'air impassible, les bras parfois croisés dans son box, l'accusé a longuement promené un regard insistant derrière ses lunettes fines sur la salle spécialement aménagée en raison des mesures sanitaires. Masqué, crâne dégarni entouré de cheveux blancs, pull gris, il a décliné son identité d'une petite voix : "Le Scouarnec Joël. Domicile: maison d'arrêt de Saintes. Profession : retraité", avant que les portes ne se ferment. Le verdict est attendu jeudi, jour de son 70e anniversaire.
"Ce premier volet est important, c'est celui qui déclenche tout et permet de révéler des faits intrafamiliaux et professionnels", a expliqué en marge de l'audience Me Francesca Satta, avocate des parents de la petite voisine de l'ex-chirurgien, dont la dénonciation avait lancé l'affaire. "L'important c'est qu'on arrive à des aveux véritables sur les faits de viol", a-t-elle ajouté.
Il comparaît pour des accusations de viols - des pénétrations digitales - sur cette fillette et sur une nièce dans les années 90 à Loches, ainsi que pour des agressions sexuelles à la même période dans cette commune d'Indre-et-Loire: une autre nièce et une patiente qui n'avait que 4 ans en 1993. Il reconnaît des attouchements mais conteste les viols pour lesquels il encourt 20 ans de réclusion criminelle.
- "Briser l'omerta" -
Ce n'est qu'une première étape dans une affaire de pédocriminalité sans précédent en France. Le récit en avril 2017 de Lucie*, cette voisine de 6 ans à Jonzac, qui avait évoqué le "zizi" du voisin, avait permis de déclencher une enquête tentaculaire avec, pour fil rouge, les écrits glaçants retrouvés en perquisition chez le médecin. Des pavés de listings et de journaux intimes tapés à l'ordinateur qui ont fait basculer l'affaire dans des dimensions hors normes : jour après jour, le chirurgien digestif a consigné les noms de centaines de victimes potentielles associés à une litanie de récits d'agressions pendant ses 30 ans de carrière dans des hôpitaux du Centre et l'Ouest.
Mis en examen en octobre dans un deuxième volet à Lorient, il est désormais soupçonné de viols et agressions sexuelles commis entre 1986 et 2014 sur 312 victimes majeures et mineures.
Alors que ce volet "hospitalier" se poursuit à Lorient, le procès de Saintes va lui se plonger aux origines de l'itinéraire de l'accusé, dans le huis clos familial. Dès les années 90, sa femme qui "savait" selon lui, et sa sœur, qui avait reçu les confidences de ses filles, l'avaient bien questionné sur ses penchants mais le secret n'est jamais sorti du clan.
Une chappe de plomb que l'avocate Francesca Satta a de nouveau soulevé au moment de plaider en faveur d'un huis-clos partiel pour "briser l'omerta qui a permis ces exactions". Les avocats des trois autres victimes s'y opposaient, demandant notamment "une stricte intimité" pour permettre à leurs clientes de témoigner "sereinement" alors que "des images épouvantables" vont être évoquées à l'audience, a souligné Me Delphine Driguez, avocate des deux nièces.
Pour cette première journée, la cour doit entendre les proches du chirurgien, notamment son épouse, sa soeur, et ses trois fils, avant le début des auditions des victimes mardi. Depuis le même banc, deux femmes écartées de l'enquête pour prescription, une ancienne voisine et une autre nièce, probable première victime du chirurgien au milieu des années 80, vont pouvoir suivre les débats comme parties civiles, "une reconnaissance symbolique", s'est réjoui leur avocate Nathalie Bucquet.
L'avocat de l'accusé Thibaut Kurzawa a promis: "Il va s'exprimer".
*Prénom d'emprunt
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