En renonçant à son référendum "vert", M. Macron justifie pleinement le procès en insincérité qui lui a été fait, et donne raison sur toute la ligne à ses détracteurs, en particulier à l'auteur de ces lignes. Son appel aux suffrages populaires n'était donc rien d'autre qu'un subterfuge destiné à occuper le terrain politique pendant six mois. Bien sûr, il pourra dire que le peuple français aura la parole dans moins d'un an. Mais il connaissait le calendrier électoral en lançant à grand son de trompe l'idée de ce référendum. Entre temps aussi, les élections régionales et départementales sont passées par là, et la débâcle de ses ministres et de son camp ne lui a pas échappé ...
Le 9 mai dernier, un député de la majorité avait bel et bien vendu la mèche dans le
Journal du Dimanche, en expliquant que ce n'était "pas encore officiel, mais acté" : le référendum annoncé par le président de la République en décembre 2020, pour conclure les travaux de la Convention citoyenne sur le climat, n'aura pas lieu. Le Premier ministre l'a confirmé le 6 juillet : le projet de référendum est abandonné, faute d'accord entre le Sénat et l'Assemblée nationale sur le texte référendaire.
En arrivant à l'Hôtel Matignon, Jean Castex avait indiqué qu'on allait voir ce qu'on allait voir, qu'il ne saurait être question pour lui de jouer le rôle de "collaborateur" du chef de l'Etat. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les méandres de la politique ont eu vite fait de remettre le Premier ministre à la place qui est la sienne, constitutionnellement parlant. Après avoir feint d'être l'organisateur d'une manœuvre décidée au-dessus de lui lors des élections régionales en Provence Alpes Côte d'Azur, le voilà en qualité de porte-parole de M. Macron pour confirmer au peuple français que le référendum de révision constitutionnelle est définitivement porté en terre.
Relatant dans ses Mémoires l'épisode du référendum de révision constitutionnelle (déjà !) du président Mitterrand, qui n'eut jamais lieu (déjà !), Jean-Claude Gaudin, ancien maire de Marseille, donne pour titre à ce chapitre : "Le petit marionnettiste de l'Elysée". La formule va comme un gant à l'actuel Président et, ne lui en déplaise, en la circonstance, l'hôte de Matignon est réduit au rôle de "grand commissionnaire". Il est vrai qu'il en a pris l'habitude depuis quelque temps avec la gestion de la crise sanitaire : au président de la République les bonnes nouvelles, et le plus souvent au Premier ministre les moins bonnes.
Au-delà de ce partage des rôles, il y a évidemment beaucoup plus grave. Comme je l'avais écrit dans "
Macron : le plébiscite avorté", il est clairement avéré que "dans la lutte contre le dérèglement climatique, M. Macron jouait avec les institutions". Et, bien entendu, à tous les niveaux du pouvoir, on fait semblant d'ignorer qu'un référendum était parfaitement possible, sans demander au préalable à l'opposition, majoritaire au Sénat, d'offrir au chef de l'Etat une consultation populaire gagnée d'avance, et sans autre risque politique qu'une abstention massive, comme cela a été le cas lors du référendum instaurant le quinquennat, marqué par un taux d'abstention de 69,8 %, le 24 septembre 2000.
Si M. Macron avait véritablement voulu aller au référendum, il lui suffisait de mettre en œuvre l'article 11 de la Constitution et de demander au gouvernement, dont il préside les réunions, de lui présenter un projet de loi à soumettre au peuple français. Parce que le gouvernement est l'émanation du président de la République, qui nomme les ministres, et d'abord le premier d'entre eux, il aurait été à l'évidence impossible au gouvernement de s'opposer à la volonté de M. Macron de consulter le peuple français par référendum. Il n'y a qu'en situation de cohabitation (Mitterrand à l'Elysée, Chirac et Balladur à Matignon ; Chirac à l'Elysée, Jospin à Matignon) que le gouvernement dispose -en fait, sinon en droit- du pouvoir d'empêcher le président de la République de recourir au référendum direct de l'article 11. Ce qui montre à quel point la cohabitation est contraire à l'esprit des institutions de la Vème République.
Au demeurant, "en parler toujours, en organiser jamais", telle pourrait être sur le sujet du référendum la devise des Présidents qui se succèdent à l'Elysée. Comme s'ils se méfiaient des réactions du peuple français. Comme s'ils craignaient le jugement du peuple français. Instrument de démocratie directe, le référendum est pourtant l'une des innovations majeures des institutions adoptées en 1958 à l'appel du général de Gaulle, qui voyait dans ce mode de votation le moyen d'associer les Françaises et les Français aux grandes décisions qui les concernent.
Depuis plusieurs mois déjà, la France est entrée en campagne électorale pour l'élection présidentielle de 2022. Pour toutes et tous ceux qui ont des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, il est clair comme le jour que toutes les décisions -ou, pire, les non-décisions- du pouvoir exécutif sont désormais prises en fonction de cette échéance. Dans les dernières lignes de ses Mémoires d'espoir, évoquant les conséquences du plan de stabilisation adopté en septembre 1963, et ce qu'il "implique de rigoureux à l'égard de chacun des intérêts particuliers", le général de Gaulle écrit : "Mais comment n'aurais-je pas appris que ce qui est salutaire à la nation ne va pas sans blâmes dans l'opinion, ni sans pertes dans l'élection ?"
A l'évidence, n'est pas de Gaulle qui veut, et il ne suffit pas d'apposer une croix de Lorraine sur l'emblème de sa présidence, comme l'a fait non sans audace M. Macron, pour mettre ses pas dans ceux du chef de la France libre et du fondateur de la Vème République. A l'évidence aussi, afin que le président de la République assume le pouvoir du premier au dernier jour de son mandat, et pour que l'année qui précède le terme de celui-ci cesse d'être une année perdue pour l'action gouvernementale, le moment est venu d'apporter un correctif à nos institutions en interdisant le renouvellement du mandat présidentiel. Sans doute convient-il aussi de revenir au septennat. Du fait de ce mandat plus long, le chef de l'Etat étant tenu de vérifier s'il bénéficie toujours de la confiance du pays, ou bien à l'occasion des élections législatives, qui ne seraient plus nécessairement corrélées à l'élection présidentielle, ou bien lors d'un référendum, un vrai référendum, un référendum de l'article 11 de la Constitution, sans approbation préalable du texte soumis au peuple français par les deux assemblées du Parlement, et assorti de la question de confiance.
En somme, si l'on veut redonner vie au référendum, pour organiser la participation du peuple français à la gestion de ses affaires, il convient de proscrire dans la pratique le "référendum de ratification", celui qu'envisageait M. Macron. Les constituants de 1958 estimaient d'ailleurs qu'il n'avait guère d'intérêt. Sinon celui -on le vérifie en 2021, comme cela avait été le cas en 1985- de permettre des opérations de diversion qui discréditent la politique aux yeux du peuple français tout entier.
Mandat présidentiel unique, rétablissement du septennat, référendum-question de confiance, consécration du scrutin majoritaire par son inscription dans la Constitution, fusion du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental, voilà le grand référendum qu'il convient d'organiser afin de rebâtir la République et de donner au gouvernement la durée indispensable au redressement de la France.
Alain Tranchant, Président fondateur de l'Association pour un référendum sur la loi électorale